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leur existence eût empêché l'une d'elles de contracter, si plus explicitement de tels événements se présentent que le locataire soit empêché par eux, sans qu'aucune faute puisse lui être imputée de remplir ses obligations, il doit être forcément dispensé de payer son loyer, tant que dure l'état de choses qui lui ôte les moyens de le faire.

L'existence du contrat de louage, disent les autres pour arriver au même résultat, est subordonnée aux cas de force majeure dont l'effet est de rendre impossible aux parties l'exécution de leurs obligations. Quand la force majeure ou le cas fortuit ont pour effet d'anéantir l'immeuble loué, on résilie le bail sans exiger du propriétaire qu'il en fournisse un autre. Quand le même fait ruine le commerce ou l'industrie qui ont été pour le locataire la cause de son engagement, il doit amener aussi à son profit la résiliation.

Ailleurs, se tenant dans un moyen terme, on distingue entre les locataires et on demande l'affranchissement des loyers pendant la durée de la guerre, soit pour les petits locataires, les ouvriers, qui, privés absolument de travail, ne pourraient, sans iniquité, être réduits à cette extrémité de voir vendre, à défaut de payement, leur modeste ménage; soit pour des locataires particuliers, tels que les maîtres de garnis qu'on a forcé de garder leurs sous-locataires sans payement; soit enfin pour les propriétaires des grands hôtels meublés qui n'ont loué, au su du bailleur, que pour loger les voyageurs étrangers et dont la guerre a anéanti l'industrie, cause déterminante de leur location.

Enfin, s'inspirant d'arbitraire et d'injustes récriminations, sans se préoccuper de droit ou de foi promise, les derniers demandent pourquoi tant d'hésitation en pareille matière. Les propriétaires n'ont-ils pas abusé de

leur situation depuis dix ou quinze années, n'ont-ils pas, par des élévations incessantes du prix des loyers, mis les locataires à contribution forcée, n'ont-ils pas fait ainsi des bénéfices énormes, excessifs, blâmables?

Quel mal, quelle iniquité y aurait-il donc à leur faire supporter par compensation une diminution de revenus, une privation de deux termes de loyer pendant la guerre ? En la leur imposant, la loi, placée entre plusieurs maux, ne fera que choisir le moindre. Les avantages du passé compenseront largement pour le propriétaire la perte occasionnelle que par nécessité on lui fera subir.

Telles sont ou à peu près, résumées en quelques mots, les idées qui circulent en faveur de la modification des

contrats.

Disons-le résolûment, parce que, quelque peine qu'on ait à le faire, il ne faut jamais reculer devant ce qu'on regarde comme la vérité et la justice, aucune de ces solutions n'est admissible; disons-le parce qu'il faut, dans une société républicaine surtout, à l'heure grave où nous sommes surtout, proclamer les principes qui sont le fondement et la base de toutes sociétés civilisées, à savoir la suprématie du droit sur l'arbitraire, le respect de la foi promise, le maintien des engagements librement con. tractés, parce que, à ce point de vue élevé, il ne s'agit plus de propriétaire et de locataire, il s'agit d'un intérêt bien autrement élevé, celui de la valeur, de la stabilité des rapports entre les membres de la société.

Or ces principes enseignent que, en semblable matière, le législateur comme le juge sont liés par la loi sous laquelle des conventions privées ont été réalisées.

Toute législation digne de ce nom a inscrit dans ses règles fondamentales que la loi n'a pas d'effet rétroactif, c'est-à-dire que la loi ne peut pas toucher aux faits ac

complis, aux droits acquis avant elle, parce que ces droits, nés sous la protection de la loi antérieure, ne seraient plus qu'un leurre s'il était permis par une loi contraire de les détruire ou même de les modifier.

Une exception est admise et ne pouvait manquer de l'être, c'est lorsque la loi nouvelle adoucit les rigueurs de la loi pénale, supprime la peine de mort, pour prendre l'exemple le plus saillant.

Tout accusé, tout condamné même, qui a commis un crime capital avant cette loi profitera néanmoins de ses dispositions, par une raison décisive : c'est que la loi nouvelle, déclarant que le pouvoir social n'a plus le droit de frapper, qu'il s'était à tort arrogé ce droit jusque-là, ne peut pas plus atteindre désormais les faits passés que les faits de l'avenir. Elle serait criminelle si elle levait encore le glaive du jour où elle a proclamé l'inviolabilité de la vie humaine.

Mais, en matière civile, alors que spontanément, librement, après mûre réflexion, après débat de leurs intérêts, deux personnes ont contracté des engagements réciproques, réguliers et licites, alors que chacun a agi sous la protection de la loi qui garantissait le respect de ces engagements, donner au législateur, fût-il le plus normalement élu, le pouvoir de modifier ou de détruire par une loi nouvelle ce que la loi antérieure a sanctionné, c'est ébranler dans leur base tous les rapports sociaux, c'est décider qu'ils n'ont plus de valeur que celle que le législateur voudra leur laisser, c'est décréter leur insignifiance et leur instabilité; c'est violer manifestement l'axiome indiscutable qu'il n'y a pas de droit contre le droit, c'est entrer, voiles dehors, dans la voie de l'arbitraire, du bon plaisir, de l'anarchie.

Aujourd'hui le législateur trouvera qu'il y a lieu d'exo

nérer le locataire au détriment du propriétaire, demain rien ne l'empêchera de juger au contraire que les propriétaires, par suite d'événements imprévus, ont vu dépérir leurs immeubles, aggraver leurs impôts, et qu'ils sont par suite dans la nécessité d'augmenter le prix des loyers, ou bien de décréter que des ventes devenues trop onéreuses dans leur exécution seront résolues, que des marchés de commerce ou d'industrie seront modifiés comme renfermant une spéculation excessive, etc., etc.

Où s'arrêtera-t-on ? Il n'y a plus de limite dès que la barrière est levée, et, pour rester dans notre sujet, ne voit-on pas que le propriétaire, dépouillé de ses revenus, privé ainsi des moyens de satisfaire à ses propres engagements, impôts, intérêts de ses emprunts, réparations nécessaires, dira avec même raison à l'État, à ses créanciers, à ses locataires: Je ne payerai ni impôts, ni intérêts; je ne ferai aucune réparation, quelque urgente qu'elle soit, car l'état de guerre est un cas de force majeure qui, en m'ôtant mes ressources, m'a affranchi de mes obligations.

Ce n'est pas tout encore. Oublie-t-on que ce même état de guerre livre la propriété sans recours possible en indemnité, soit aux nécessités de la défense, soit aux dévastations de l'ennemi, que l'immeuble abattu ou bombardé, que la forêt incendiée ou coupée, que la ferme ou les champs ravagés, sont perdus absolument pour le propriétaire, abstraction faite des revenus qui lui sont enlevés.

Revenons donc aux vraies règles du droit, et précisons-les pour en mieux justifier l'explication :

« Les conventions légalement formées tiennent lieu « de loi à ceux qui les ont faites. Elles ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel ou pour

་་

« les causes que la loi autorise. Elles doivent être exé«< cutées de bonne foi. »>

Tel est le texte de l'art. 1134 du Code civil, qui consacre évidemment une règle de morale dont la source est dans la conscience. Le contrat de louage est une de ces conventions, il est la loi que librement propriétaire et locataire se sont imposée; ils ont été d'accord pour se la donner, ils devront être d'accord pour la modifier. Ce que leurs volontés réunies ont établi, leurs volontés réunies pourront seules le défaire.

Sinon, la révocation ne saurait émaner que des causes prévues, inscrites dans la loi au jour où la convention a eu lieu; et, à vrai dire, c'est encore là une révocation par mutuel consentement, puisque bien évidemment les parties, en ne les excluant pas, ont implicitement accepté les causes de révocation de la loi.

Ces causes, quelles sont-elles en ce qui concerne notre sujet? Elles sont pour les baux de maisons comme pour les baux à ferme, que la destruction de la chose louée en totalité ou en partie, arrivée par cas fortuit, entraîne la résiliation du bail ou au moins une diminution de son prix. Il n'y a plus alors d'objet du bail, il n'y a plus possibilité pour le propriétaire de remplir sa première obligation, celle de donner la jouissance paisible d'un local; il n'y a plus par contre de cause de payement pour le locataire.

Elles sont encore en matière de baux à ferme seulement, que la perte de la récolte arrivée par cas fortuit peut amener pour le fermier une remise du fermage de l'année, et qu'il en est ainsi lors même que le fermier a pris à sa charge les cas fortuits, lorsqu'il s'agit d'un cas fortuit extraordinaire comme le ravage de la guerre.

Il n'y a rien de plus d'exprimé dans la loi. Il n'y a

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