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DES EFFETS DE LA GUERRE

A PARIS ET EN FRANCE

SUR

LE LOUAGE, LA PROPRIÉTÉ

ET LES DIVERS CONTRATS

TITRE PREMIER

DES EFFETS DE LA GUERRE SUR LE LOUAGE ET SES DIVERSES
ESPÈCES; SUR LE PRÊT, LE DÉPOT ET LE GAGE.

$1.

CHAPITRE PREMIER

Solution provisoire pour les loyers de Paris.

- Atermoiements accordés aux locataires les décrets du Gouvernement
de la défense nationale. Appréciation.

30 décembre 1870.

La question des loyers est, de l'aveu de tous, un des graves problèmes qu'offre à résoudre le temps exceptionnel dans lequel nous vivons. La prolongation de la crise ne fait que la compliquer, puisque, avec les mois qui s'écoulent, une échéance va succéder à l'autre et grossir la créance des propriétaires en même temps que la dette des locataires.

Au 15 janvier prochain, sans parler des loyers qui, avant le 15 octobre dernier, se trouvaient encore dus, deux termes se trouveront accumulés pour tous les loca

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taires qui n'auront pu payer. Et au mois d'avril suivant, quel que soit le sort qui nous attende, il n'est malheureusement que trop probable, la guerre continuant ou la paix conclue, que la reprise des affaires sera loin d'avoir donné de sérieux résultats, et que, par suite, la difficulté de payement ne sera pas levée.

Qu'arrivera-t-il donc, quelle sera la solution définitive, quel sera le règlement, s'il en peut intervenir un, de la situation respective des propriétaires et des locataires? Voilà la difficulté.

Si l'on n'avait devant les yeux qu'un mal temporaire, devant certainement s'arrêter avec la guerre, si l'on pouvait dire qu'au jour où elle finira, la situation de chacun redeviendra ce qu'elle était auparavant, la question serait simple. La concession de délais répondrait à tout; le propriétaire aurait souffert, sans doute, mais enfin il n'aurait généralement perdu que l'intérêt de sa créance et les avantages du payement immédiat.

Il y a plus que cela. Il faut bien le comprendre; on est en face d'un mal permanent, d'une situation critique qui est loin de son terme, et, par suite, ce qui peut être en question, ce n'est pas seulement l'époque d'exigibilité des loyers, mais la possibilité de les payer, c'est-à-dire le sort même de la créance des propriétaires.

C'est en ce point qu'apparaît la gravité du problème et qu'il convient de l'étudier sérieusement.

Le public l'a bien compris, partout il l'a mis à l'ordre du jour. Dans les clubs, dans des conférences, dans des comités divers, on l'examine, on le discute, on propose des solutions. On est loin de s'entendre assurément, mais du moins peut-on constater que les principes du droit y rencontrent un respect à peu près unanime.

Rappelons, avant d'émettre notre jugement personnel,

les actes du gouvernement de la Défense nationale sur la matière. Ils sont au nombre de trois et portent les dates des 7 septembre, 30 septembre et 9 octobre derniers.

Par le premier décret, le gouvernement a donné le droit aux tribunaux, en cas de contestation entre propriétaire et locataire, d'accorder, selon les circonstances, des délais au locataire pour le payement du loyer, et de suspendre toute poursuite en exécution. C'est l'application à la question des loyers de l'article 1244 du Code civil.

Par le second décret, se fondant sur le fait de l'investissement, qui a interrompu les relations commerciales, suspendu le travail, et par là même tari la source des salaires et revenus, le gouvernement a été plus loin, il a tranché la question que son premier décret livrait aux tribunaux ; il a accordé un délai de trois mois aux locataires qui déclareront être dans la nécessité de recourir à ce délai pour le payement de leur loyer.

Par le troisième enfin, le gouvernement a soumis le locataire à faire sa déclaration d'impossibilité de payement devant le juge de paix qui la consignera sur un registre.

Il a fait plus d'une part, il a touché au privilége du propriétaire en donnant au juge de paix le droit, quand il y a congé et que le locataire quitte les lieux sans payement, d'autoriser l'enlèvement de tout ou partie du mobilier, gage du loyer; d'autre part, il a prorogé d'un terme l'effet des congés donnés pour le terme d'octobre, et, au cas où le local serait déjà reloué, il a permis au juge, s'il n'a pu concilier les parties, de désigner, sur l'indication des maires, les locaux vacants de l'arrondissement qui pourront être occupés, soit par le locataire sortant, soit par le nouveau locataire.

Telle est la législation, toute provisoire nécessairement, qui a paru commandée par les circonstances. Qu'est-il advenu de son application?

Le premier décret a naturellement disparu en fait devant le second, puisque toute action en payement de loyers comme toute poursuite ou exécution s'y rattachant n'ont plus été possibles devant le délai de trois mois accordé.

Les deux autres ont donné au juge de paix trois missions à remplir: 1° Avant tout concilier les parties; 2o recevoir et consigner la déclaration des locataires appelés devant lui; 3° en cas de congé impossible à proroger par suite de relocation des lieux, statuer sur la question d'enlèvement du mobilier, et faire désigner par le maire le local où ira le locataire qui quitte sans payer.

La conciliation a eu lieu dans beaucoup de cas, il faut le constater. C'est en quoi l'idée d'appeler le locataire à faire une déclaration devant le juge, bien que sujette à critique, a eu son bon côté. Ou bien, en effet, plus d'un locataire mal disposé plutôt qu'insolvable, venu devant le juge, a cédé à ses avis paternels, et il y a eu payement, payement partiel au moins; ou bien le seul fait de l'obligation de venir déclarer devant la justice une insolvabilité qui n'était pas bien réelle en a arrêté certains autres, et il y a eu encore payement.

On doit néanmoins reconnaître que la majorité des loyers n'a pas été payée; qu'en d'autres termes, soit les locataires qui n'ont pas payé en faisant la déclaration prescrite, soit les locataires qui n'ont pas payé parce que les propriétaires se sont contentés de leur dire sans exiger de déclaration, soit les locataires qui n'ont pas payé parce que les quittances ne leur ont même pas été

présentées; soit enfin les locataires qui n'ont pas payé parce que des propriétaires généreux leur ont fait remise gratuite de leur dette, constituent la plus grande partie des locataires, les deux tiers au moins de la totalité.

Tel est le passé, tels sont les faits accomplis.

Que sera l'avenir? Il n'est que trop certain que la situation, loin de s'améliorer pour les locataires, n'a fait que s'aggraver encore. A part deux ou trois industries spéciales, toutes les autres sont arrêtées, absolument improductives. Ceux qui n'ont pu payer le terme d'octobre pourront donc encore moins payer le terme de janvier.

Cela étant, un délai nouveau va leur être accordé. Le gouvernement ne pourra que prendre une initiative nouvelle à cet égard, et proroger en principe de trois mois encore l'exigibilité des payements, ce qui fera six mois pour le terme d'octobre, et neuf mois ou plus pour les termes précédents en retard.

Mais, d'une part, le gouvernement devra-t-il accorder ce nouveau délai comme le premier, le subordonner uniquement à la condition d'une déclaration devant le juge de paix? D'autre part, en dehors de cette solution provisoire, qui laisse subsister la dette et n'en modifie que l'exigibilité, quel sera le règlement définitif de la situation des propriétaires et des locataires? Le gouvernement devra-t-il, pourra-t-il surtout intervenir à cet égard entre les parties intéressées?

Tels sont les deux points en litige.

Sur le premier, il nous paraît qu'il est opportun et juste de penser plus sérieusement qu'on ne l'a fait à l'intérêt dont les circonstances ont pu jusqu'ici expliquer sinon justifier le sacrifice, l'intérêt des proprié

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