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l'autorité, le théâtre a été fermé, ne serait pas agir justement si cet ordre avait été la cause majeure d'une violente dépossession.

Il y a pour nous, en pareille occurrence, une situation toute spéciale, qui réclame par suite une appréciation exceptionnelle. La jouissance des lieux destinés à une exploitation théâtrale n'est pas la jouissance d'une maison bourgeoisement ou commercialement habitée. Elle est soumise par sa nature, et elle se soumet par son existence même, à des prescriptions de l'autorité qui pourront l'atteindre, la suspendre, la diminuer, la modifier, en un mot. Des troubles dans la cité, un deuil public, une épidémie, ce sont autant de faits qui peuvent motiver ces restrictions. La guerre et les mesures d'intérêt général qu'elle peut réclamer de l'autorité sont dans le même ordre d'idées et rentrent par cela même dans les causes de trouble qui doivent être prévues par toute direction.

Lors donc qu'un arrêté de police vient ordonner, en pareil cas, la fermeture d'un théâtre, on ne peut pas dire qu'il y ait là cette éviction violente causée par un événement de force majeure impossible à prévoir comme à éviter. Non, la guerre arrivant, l'ennemi envahissant la patrie, le locataire directeur ne pouvait que s'attendre à la cessation temporaire de son exploitation. Le fait, d'ailleurs, comme l'a dit avec raison le jugement, avait précédé l'acte de l'autorité, et l'exploitation était tombée déjà alors qu'en signe de deuil la fermeture était ordonnée.

Disons donc qu'ici la raison de décider se rencontre dans la nature même de l'entreprise, que la privation de jouissance est née du chômage de l'industrie bien plus que de l'éviction des lieux; que la situation des exploitants a été celle des locataires dont la guerre a ruiné le

commerce, non de ceux qu'elle a violemment dépossédés; et qu'enfin la mesure de police qui les a atteints rentrait dans les mesures d'autorité qu'ils avaient dès l'origine acceptées.

Le jugement du tribunal de Lyon devait à fortiori être rendu dans le même sens, puisque le chômage avait lieu dans une ville préservée de l'approche de l'ennemi et sans défense de l'autorité.

2 5.

Application aux baux à ferme et à tout ce qu'ils comportent, baux d'usines, de fabriques, de carrières, de mines, etc., etc. Application aux récoltes sur pied ou aux récoltes faites; application aux baux à cheptel.

4 mars 1871.

per

Arrivons aux baux à ferme et voyons, en ce qui les concerne, quelles solutions les dispositions de la loi mettent d'adopter. Nous rencontrons naturellement en premier lieu les mêmes hypothèses que celles que nous avons indiquées pour les baux à loyer.

La privation par cas fortuit ou par force majeure des immeubles loués aura été le résultat d'une destruction matérielle, totale ou partielle, ou bien, sans destruction matérielle, d'une dépossession violente et irrésistible. La destruction matérielle sera née d'ailleurs des divers faits que nous avons énoncés: démolition, bombardement, incendie, œuvre de l'ennemi, ou renversement, œuvre de la défense. La dépossession sans destruction matérielle aura eu également les mêmes causes : l'irruption ou l'occupation de l'ennemi, l'expulsion violente des habitants, leur fuite pour échapper à la captivité ou à la mort, et d'autre part l'occupation par ordre de l'autorité pour les besoins de la défense.

Dans tous ces cas, il va sans dire que nous applique

rons aux locations rurales les mêmes solutions qu'aux locations urbaines. La loi ne laisse aucun doute à cet égard puisque l'article 1722 du Code civil, source première de ces solutions, est placé sous la rubrique générale Des règles communes aux baux des maisons et des biens ruraux.

Bâtiments d'habitation, bâtiments d'exploitation, granges, étables, greniers, pressoirs, moulins, cours d'eau, fabriques, usines, terres, bois, carrières, mines, tourbières, etc., partout où le locataire établira son éviction par suite de destruction, incendie, ravage ou dépossession forcée, il aura droit suivant les cas, dont le juge sera appréciateur, à la résiliation, à la réduction du prix du bail ou à la décharge temporaire des loyers.

Moulins, pressoirs ravagés et brisés, cours d'eau desséché, fabriques, usines privées de tout matériel, bois coupés, carrières bouleversées, mines épuisées, etc., tels seront les faits spéciaux qui viendront s'ajouter aux actes de destruction ordinaire.

Mais il y a plus en pareille matière que les lieux, quels qu'ils soient, objet du contrat de bail entre les parties. Il y a des récoltes faites et des récoltes sur pied. Toutes sont anéanties par les excès de la guerre. Que faudra-t-il décider?

C'est ici que se place l'application des articles 1769 à 1773 du Code civil, articles particuliers aux baux à ferme. Les articles 1769 et 1770 s'expriment ainsi :

ART. 1769. Si le bail est fait pour plusieurs années et que, pendant la durée du bail, la totalité ou la moitié d'une récolte au moins soit enlevée par des cas fortuits, le fermier peut demander une remise du prix de sa location, à moins qu'il ne soit indemnisé par les récoltes précédentes. S'il n'est pas indemnisé, l'estimation de la

remise ne peut avoir lieu qu'à la fin du bail, auquel temps il se fait une compensation de toutes les années de jouissance; et cependant le juge peut provisoirement dispenser le preneur de payer une partie du prix, en raison de la perte soufferte.

ART. 1770. Si le bail n'est que d'une année, et que la perte soit de la totalité des fruits, ou au moins de la moitié, le preneur sera déchargé d'une partie proportionnelle du prix de la location. Il ne pourra prétendre aucune indemnité si la perte est moindre de moitié.

Ainsi le droit du fermier est bien établi : il a droit en principe à une remise du prix de son bail en cas de perte de récolte par cas fortuit, à deux conditions toutefois, à savoir que la perte soit au moins de moitié, et que les autres récoltes du bail, par leur abondance, ne lui soient pas une compensation suffisante de sa perte. Si les récoltes antérieures lui ont donné cette compensation, la chose sera réglée immédiatement. S'il n'en est pas ainsi, on attendra la fin du bail pour faire une balance entre toutes les années, et décider si le produit moyen de chacune a été une rémunération suffisante pour couvrir le fermier de la perte alléguée.

Toutefois, comme ce serait souvent réduire le fermier à la plus grande gêne que l'obliger, dans l'année du désastre, à payer tout son bail, alors qu'il lui faudra en attendre la fin pour voir régler son indemnité, la loi permet au juge de le dispenser provisoirement de payer une partie de son prix, en prenant en considération la perte qu'il a subie. Provisoirement indique que le règlement définitif de sa situation n'aura lieu qu'à la fin du bail, et qu'à cette époque la remise sera maintenue ou non, suivant que la perte sera ou non confirmée par le calcul de compensations qui s'opérera sur les diverses années.

Lorsqu'il ne s'agira que d'un bail à ferme d'une année, le règlement de la perte sera immédiat, et le preneur libéré d'une partie de son prix proportionnelle au dommage qu'il aura souffert.

Les art. 1772 et 1773 enseignent que le droit à une remise de loyers dans les cas qui nous occupent ne peut être enlevé au fermier que par une clause du bail qui le chargerait formellement de tous les cas fortuits prévus ou imprévus, et non pas seulement des cas fortuits en général, car ceux-ci ne s'entendraient que des cas fortuits ordinaires, tels que grêle, feu du ciel, gelée ou coulure, et non des cas fortuits extraordinaires, tels que les ravages de la guerre, l'inondation, etc., etc.

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L'article 1771 ajoute, comme autre exception au droit d'obtenir une remise, - et cela va de soi, le cas où la cause du dommage était existante et connue à l'époque où le bail a été passé.

L'article 1771, d'autre part, en réglant le sort des récoltes faites ou détachées de la terre, précise bien que les dispositions précédentes ne s'appliquent qu'aux récoltes sur pied. Il n'est dû, dit-il, aucune remise au fermier lorsque la perte des fruits arrive après qu'ils sont séparés de la terre, à moins que le bail donne au propriétaire une quotité de la récolte en nature, auquel cas le propriétaire doit supporter sa part de la perte, pourvu que le fermier ne fût pas en retard de lui délivrer sa portion de récolte.

Les effets de la force majeure et du cas fortuit s'appliqueront enfin au bail à cheptel, c'est-à-dire au contrat par lequel une personne donne à une autre un fonds de bétail pour le garder, le nourrir et le soigner, sous de certaines conditions convenues entre elles. Soit qu'il s'agisse du cheptel simple, c'est-à-dire de celui où l'une des par

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