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Code civil. Si les désastres de la guerre ont mis les choses sur lesquelles ces droits portaient en tel état qu'on n'en puisse plus user, les servitudes cesseront; par contre, elles revivront si les choses sont rétablies de manière qu'on en puisse user, à moins que le non usage n'ait duré, dans les conditions indiquées par l'art. 707 du même Code, l'espace de temps nécessaire pour en amener l'extinction par la prescription. J'avais un droit de vue sur une propriété voisine; ma maison a été bombardée, je ne la reconstruis pas : la servitude cesse pour le voisin, et elle cessera définitivement si je ne la rétablis pas dans le temps légal. J'avais un droit d'aqueduc à travers les champs du voisin; l'aqueduc a été détruit par l'ennemi, je ne le réédifie pas : la servitude cesse encore, et elle s'éteindra si je reste dans l'inaction pendant le temps fixé par la loi pour sa prescription.

TITRE TROISIÈME

des effets de lA GUERRE SUR LES VENTES, MARCHÉS, COMMANDES, CESSIONS ET TRAITÉS EN GÉNÉRAL EFFECTUÉS, MAIS NON RÉALISÉS, AVANT SON ENGAGEMENT.

CHAPITRE UNIQUE

$ 1.

· Des ventes et marchés de marchandises. Espèces jugées par le tribunal de commerce de la Seine. Règle générale à en induire. Des marchés administratifs; fournitures à la liste civile.

23 mars 1871.

La question des ventes et marchés conclus, mais non réalisés avant la guerre, a trouvé déjà son application dans une espèce soumise le 2 janvier dernier au tribunal de commerce de la Seine. (Voir le Droit du 14 janvier.)

Au commencement de 1870, des négociants de Paris avaient acheté une certaine quantité de farines, livrables aux quatre derniers mois de l'année. Les vendeurs n'ont fait aucune livraison, pas plus en septembre que dans les trois autres mois. Les acheteurs les ont en conséquence assignés, d'une part, afin d'obtenir la résiliation de la vente en ce qui concernait la livraison de septembre, avec 3,900 francs de dommages-intérêts, et

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d'autre part, à fin d'exécution des trois autres livraisons dès que les communications avec les départements seraient rétablies et que l'état de choses, actuel alors, aurait disparu.

Les défendeurs, de leur côté, ont demandé la résiliation du marché dans son entier sans dommages-intérêts. Ils se fondaient sur l'état de guerre, le blocus de Paris et la réquisition des farines faites par décret du gouvernement, tous faits de force majeure qui les avaient mis dans l'impossibilité d'exécuter leurs engage

ments.

Le tribunal a tranché le débat par une distinction. A l'égard de la livraison à faire en septembre, il a jugé que les vendeurs, même en admettant qu'ils ne se fussent pas prémunis à l'avance, comme le leur commandait la prudence la plus vulgaire, avaient pu faire cette livraison en se procurant les farines, soit à Paris, soit au dehors, jusqu'à la fin de la première quinzaine de ce mois, et même en acheter à Paris jusqu'au 30, puisque le décret qu'ils invoquaient n'était que du 29 et n'avait été promulgué que le 3 octobre; qu'ils excipaient donc à tort d'un cas de force majeure tiré soit de l'état de blocus de la ville de Paris, soit du décret relatif aux réquisitions de blés et farines. Il les a par suite condamnés à payer aux vendeurs la somme de 2,650 fr. de dommages-intérêts pour réparation du préjudice que leur causait la résiliation.

A l'égard des livraisons à faire dans les trois derniers mois, le tribunal a, au contraire, décidé que la réquisition faite par le gouvernement depuis octobre et l'impossibilité d'introduire dans Paris les farines nécessaires à l'exécution des marchés aux époques fixées par les livraisons constituaient un cas de force majeure qui

devait entraîner la résiliation pure et simple du marché sans dommages-intérêts; que remettre les vendeurs, comme le demandaient les acheteurs, à s'exécuter après le rétablissement des communications avec les départements, c'était reporter à une époque indéterminée des engagements qui devaient être accomplis en octobre, novembre et décembre, et créer à ces vendeurs une situation que ni l'une ni l'autre des parties n'avait pu apprécier lors du contrat. Le tribunal a donc déclaré résiliés, par suite de force majeure et sans indemnité, les marchés qui n'avaient pu être exécutés dans les trois derniers mois.

Cette décision nous paraît reposer sur une saine interprétation du contrat en même temps que sur une appréciation exacte des circonstances qui ont été de nature à en modifier l'exécution.

En stipulant le délai fixé pour la livraison, les vendeurs s'étaient implicitement réservé le droit de profiter pour la faire des fluctuations de cours que les marchandises pouvaient subir jusqu'à l'exécution, et, par conséquent, d'attendre jusque-là pour les acquérir, ou du moins, s'ils les avaient acquises antérieurement, pour se les faire expédier à Paris. On ne saurait donc leur reprocher de n'avoir pas eu à l'avance en magasin les farines qui ne devaient être livrées qu'en octobre, novembre et décembre. Et dès lors, la force majeure survenant, et mettant obstacle à tout moyen de se les procurer, amenait forcément la résiliation du contrat.

Les contraindre à l'exécuter postérieurement, après les communications rétablies, c'était, comme l'a dit le jugement, changer absolument les conditions du marché originaire, substituer à une situation que les parties avaient pu librement apprécier et accepter une si

tuation tout autre qui, celle-là, était imposée par des événements qu'ils n'avaient pu ni prévoir ni empêcher.

La règle générale de solution pourra facilement s'induire de la décision des juges consulaires pour tous marchés ou ventes de même nature. Elle a d'ailleurs son principe dans l'article 1148 du Code civil.

Existence du contrat antérieure à la guerre, époque de son exécution échéant pendant la guerre, impossibilité de cette exécution résultant des faits mêmes de la guerre, telles seront les conditions de la résiliation.

L'absence de l'une d'elles suffira pour l'empêcher. En effet, conclu depuis la guerre, le contrat en aura par là même suivi les chances, accepté la fortune; réalisable seulement après la guerre, il n'en peut plus alléguer les événements ni l'impossibilité d'exécution qu'ils auront fait naître.

Toutefois il ne faudrait pas être trop absolu sur tous ces points; le mieux sera de laisser aux juges à leur égard une certaine latitude d'appréciation. Sur le dernier point, par exemple, qui ne comprend que les faits de guerre terminés auront pu néanmoins maintenir pendant un certain temps une situation telle que l'impossibilité d'exécution leur aura survécu!

Une autre décision du tribunal de commerce de la Seine, du 17 mars dernier (Voyez le Droit des 27 et 28 mars), concorde avec la règle qui vient d'être indiquée.

Il s'agissait d'une vente de sucre en poudre tamisée (5000 kilos), faite à un fabricant de biscuits, et livrable du 7 mai 1870 au 30 avril 1871. Le vendeur avait livré 900 kilos jusqu'au 25 août 1870, et s'était borné là. L'acheteur l'assignait en livraison de 3500 kilos pour

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