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Elle prenoit une part active aux conversations religieuses qu'Augustin avoit avec ses amis, dans cette campagne écartée où il s'étoit retiré pour se préparer au baptême. Souvent, dans sa pieuse simplicité, elle savoit résoudre avec une justesse frappante les questions qu'ils agitoient. Par exemple à celle-ci : Celui qui a tout ce qu'il veut n'est-il pas heureux? elle répondit sans hésiter : « Celui qui veut le bien et qui le possède est heureux; mais celui qui désire le mal est malheureux, lors même qu'il possède l'objet de ses désirs. » Monique avoit donc vu se réaliser ses voeux les plus chers, et comme ce monde ne lui présentoit plus rien qui pût la retenir, elle hâtoit par ses désirs, le moment où elle pourroit jouir de la vie spirituelle dans toute sa plénitude. Elle avoit désiré auparavant de mourir dans sa patrie, pour pouvoir être réunie à son mari; mais maintenant ses volontés étoient aussi sous ce rapport soumises aux dispensations divines. « Le Seigneur qui nous ressuscitera, disoit-elle, saura bien retrouver et rassembler nos corps.» Ce fut dans cette douce soumission à la volonté divine que, peu après avoir vu s'accomplir le dernier et le plus ardent de ses voeux, elle quitta ce monde pour entrer dans les tabernacles éternels. Dèslors Augustin ne cessa de croître en connoissance et en piété; il voulut confesser JésusChrist dans les lieux où il l'avoit méconnu, et

dans cette même Carthage où auparavant il s'étoit livré aux goûts du monde et à toutes les passions de la jeunesse, on lui entendit dire avec un mélange de douleur et de joie : « J'ai mené ici une mauvaise vie, je le confesse; et autant je me réjouis de la grâce que Dieu m'a faite, autant je m'afflige de mes péchés précédens. Mais dois-je dire que je m'en afflige? J'aurois raison de m'en affliger si j'étois toujours le même. Que dirai-je donc? Que je m'en réjouis? C'est ce qu'il m'est aussi impossible de dire, car, hélas! plût à Dieu que je n'eusse jamais été tel! Cependant ce que j'étois, je ne le suis plus par la grâce de Jésus-Christ. »

En comparant Augustin et Chrysostôme, on retrouve en eux cet esprit chrétien qui, toujours un dans son principe, fait agir les hommes dans le même sens, quels que soient leur caractère et leur position; mais avec cela, chacun d'eux nous présente les différences qui devoient résulter de la manière dont ils avoient été conduits à la foi. Chrysostôme y parvint peu à peu dans la solitude de la vie monacale, sans éprouver ce's combats intérieurs que nous remarquons dans Augustin: de-là cette douce chaleur, cette charité calme, cette modération qui le caractérisent. Augustin réveillé par l'agitation de son ame, transporté tout d'un coup dans le centre du christianisme et partant de ce centre, savoir de la connoissance du péché et de la grâce,

comme d'un point unique, presse davantage le dogme et se plaît à représenter tout le reste de la religion comme rayonnant vers un seul point. Chez lui, plus que chez aucun des pères, la foi et la morale, découlant de ce centre commun de doctrine, ne forment qu'un seul tout dont les parties sont nécessairement et inséparablement liées l'une à l'autre.

III.

De la vie monastique et de ses rapports avec la vie chrétienne en général.

Dans une époque où l'on s'efforçoit de donner de la consistance à tout ce qui concernoit l'église, on n'est pas étonné de voir la vie monastique, avec ses règles arrêtées, résulter de la vie plus indépendante des Ascètes. Cette nouvelle institution ne pouvoit qu'être utile sous bien des rapports, dans un tems où, de toutes parts, l'ivraie pénétroit dans l'église, et où l'esprit ascétique, devenant toujours plus à la mode, faisoit craindre des scènes de fanatisme et même la dissolution de l'ordre civil et religieux. - Si l'horreur qu'inspiroit aux premiers chrétiens la corruption du monde payen en engagea plusieurs à s'opposer à l'esprit du siècle par l'austérité de la vie ascétique, à plus forte raison cela devoit-il arriver maintenant que ceux même

qui faisoient profession extérieure de la religion, ne craignoient pas de la souiller par les mœurs les plus dépravées. Aussi ce fut dans les environs des villes populeuses, où la corruption est toujours plus grande, d'Antioche, par exemple, que l'on vit se former de nombreux monastères, Souvent ces pieux établissemens présentèrent un contraste de vertus proportionné à la corruption de ces grandes cités. Bien des individus qui, au milieu des plaisirs et de la pompe du monde, n'en demeuroient pas moins vides et mécontens, alloient visiter les moines dans leur retraite, soit par curiosité, soit pour chercher auprès d'eux des consolations ou des conseils de tout genre. Les hommes qu'ils y trouvoient n'as voient rien de ce que le monde recherche; à peine avoient-ils de quoi satisfaire aux besoins de première nécessité; mais la sérénité, le calme, la dignité, répandus sur toute leur personne, faisoient concevoir à ceux qui les approchoient un bonheur dont ils n'avoient pas encore eu l'idée. On y voyoit des hommes qui, après avoir occupé les places les plus distinguées, étoient venus chercher et avoient trouvé au milieu de ces pauvres moines ce dont ils n'avoient jamais joui au sein de leur grandeur. Etoit-il surpre nant qu'à un tel aspect l'un ou l'autre de ces hôtes, frappé du néant de la gloire humaine, renonçât à toutes les perspectives du monde pour ne plus quitter ce séjour de paix? La pra

tique de la prière et cette étude de l'Ecriture par laquelle, selon l'expression du moine Marc, on applique tout à soi-même et non aux autres, étoient dans ces monastères une source de sanctification. Connoissant son propre cœur, le solitaire ne pouvoit manquer d'une certaine connoissance des hommes; éclairé par l'esprit de l'Ecriture, il ne se faisoit point illusion sur luimême, il ne se dissimuloit pas ses fautes cachées, et savoit parfaitement où il devoit en chercher le remède. C'est ce que nous apprend ce même Marc que nous venons de citer : « Tout ce qui est bien, disoit-il, nous vient du Seigneur; Christ devient toutes choses. pour le fidèle. Ne cherchez pas la perfection dans les vertus humaines; jamais elles n'ont rendu quelqu'un parfait. La perfection que donne la loi de la liberté est renfermée dans la croix de Christ. » En d'autres termes, renoncez à vous-mêmes, cherchez votre justice en Christ, et plus vous vous abandonnerez à lui, plus vous éprouverez sa vertu sanctifiante. C'est dans ce sens qu'il s'explique en d'autres endroits : « La vie éternelle n'est pas une rétribution due à nos œuvres, mais elle est préparée aux serviteurs fidèles comme un don gratuit du Seigneur. Quelquesuns s'imaginent avoir la foi véritable, et ne s'appliquent pas à observer la loi de Dieu; d'autres. cherchent à la mettre en pratique, mais en échange ils regardent la vie éternelle comme

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