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le jeune roi et sa sœur jusqu'à la frontière et ramener l'infante à Paris. Durant tout ce voyage, qui ne ressemblait guère à celui d'un souverain', la cour avait été poursuivie et souvent harcelée par les soldats de Condé et de Rohan : elle acheta une nouvelle paix à Loudun (mai 1616). Louis XIII reconnut le prince et ses amis pour de bons et loyaux sujets, déclarant qu'ils n'avaient rien fait qui ne lui fût très-agréable, et il paya les troupes qu'on avait levées contre lui. Condé seul reçut 1 500 000 livres. Chaque révolte lui rapportait davantage. Celle-ci avait coûté à l'État plus de 20 millions.

Premier ministère de Richelieu. Arrestation de Condé (1616). Le prince revint à Paris, toute la cour s'empressa autour de lui: il sembla un instant le véritable roi de France. La reine, qui gouvernait toujours sous le nom de son fils, poussée à bout par une nouvelle prise d'armes du duc de Longueville, montra enfin plus de fermété. Elle venait de renouveler le ministère; l'évêque de Luçon, que les états de 1614 avaient mis en vue, était devenu grand aumônier de sa maison, puis membre du conseil, où il se faisait fort écouter. Concini trouva que le jeune prélat « en savait plus que tous les barbons. » Il lui fit donner un « des quatre offices des maison et couronne de France,» avec la charge des affaires étrangères. Aussitôt les mesures de rigueur sont adoptées le 1er septembre 1616, le prince de Condé est arrêté en plein Louvre et jeté à la Bastille; ses partisans qui essayent de soulever Paris et les provinces voisines « s'entendent parler d'un ton qui sentait plus sa majesté royale que la conduite passée. » Richelieu aimait à s'adresser à l'opinion publique : « Des esprits remuants, dit-il, dans une sorte de manifeste, avoient troublé le repos établi par la prudence de la reine; en vain avoit-elle tâché de les retenir par des chaînes d'or, ils s'étoient joués de sa clémence et de sa libéralité. » Et il montrait Condé extorquant en six années 3 mil

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1. L'administration militaire était alors si défectueuse, l'imprévoyance si grande, que, dans le retour de Bordeaux à Tours, qui ne fut guère hâté puisqu'il dura cinq semaines, un grand nombre d'hommes périrent de froid et de maladie, que les vivres et le fourrage manquèrent constamment, et que ce voyage du roi par les provinces les plus riches et les plus peuplées, à travers les villes soumises et rapprochées l'une de l'autre, présenta toutes les misères d'une déroute. (Bazin, ibid., t. I, p. 235.)

2. La commission, datée du 1er novembre, est postérieure de deux mois à l'arrestation du prince de Condé; mais Richelieu fut mêlé à cette affaire et sa nomination fut la récompense du zèle qu'il y montra.

lions et demi, Mayenne 2 millions, Nevers 1 600 000 livres, Longueville 1 200 000, Vendôme 600 000, Bouillon près d'un million, et chacun « cherchant à établir une tyrannie particulière dans chaque province. » Les princes et leurs adhérents furent déclarés criminels de lèse-majesté, déchus de leurs dignités; et trois armées se dirigèrent vers la Picardie, la Champagne et le Berry pour étouffer la révolte. La cause royale aurait triomphé cette fois, si le roi lui-même ne s'était uni aux mécontents pour renverser ses ministres et sortir de tutelle.

Mort de Concini (1617). Concini n'avait qu'une ambition vulgaire. Il aimait la richesse, et le pouvoir l'effrayait, parce qu'il ne se sentait pas de force à le porter. Sans dévouement ni reconnaissance pour la reine, il eût quitté la France, si sa femme eût consenti « à cette lâcheté et ingratitude. Il comptait qu'avec ses huit millions, il pourrait acheter le duché de Ferrare au pape, et que parti de Florence n'ayant pas un sou vaillant, il y rentrerait en prince, sans plus craindre les clameurs de tout un penple contre l'étranger. Il se savait haï, menacé; la populace avait déjà une fois pillé son hôtel à Paris; mais c'était du côté où il ne soupçonnait rien que vint le péril. Louis XIII avait alors seize ans. Ce prince, d'un caractère triste et morose, vivait dans l'isolement, éloigné des affaires par sa mère et par Concini, entouré seulement de quelques pages auxquels il s'attachait parce qu'il avait besoin d'affection. Il s'était épris d'amitié pour un cadet de province, qui lui apprenait à dresser des émérillons et des pies-grièches. C'était. Albert de Luynes, fils d'un officier de fortune et déjà âgé de trente-huit ans. Le favori du roi conçut l'espoir de remplacer le favori de la reine. Une conspiration secrète fut tramée entre Louis XIII, son fauconnier et son jardinier; le capitaine des gardes, Vitry, reçut l'ordre d'arrêter Concini et de le tuer s'il résistait. « Le 24 avril, le sieur de Vitry, accompagné de quelque vingt gentilshommes qui le suivaient négligemment en apparence, aborda le maréchal d'Ancre, comme celui-ci entrait dans le Louvre et était encore sur le pont. Il lui dit qu'il le faisait prisonnier de la part du roi. Et, tout en même temps, l'autre n'ayant eu le loisir que de dire: Moi, prisonnier! ils lui tirèrent trois coups de pistolet, dont il tomba roide mort. Un des siens voulut mettre l'épée à la main : on cria que c'était la volonté du roi il se retint. En même temps, le

roi parut à la fenêtre, et tout le Louvre retentit du cri de : Vive le roi ! »

Léonora Galigaï eut un plus triste sort. Elle fut accusée de malversation, de complot contre l'État, et surtout de sorcellerie. On lui demanda, dit-on, par quels sortiléges elle avait acquis tant d'empire sur la reine mère : « Par l'ascendant, aurait-elle répondu, d'un esprit supérieur sur une âme faible. ▾ Elle fut décapitée en place de Grève, et ses restes furent jetés dans les flammes. Marie de Médicis reçut l'ordre de quitter la cour et se retira à Blois; Richelieu fut exilé dans son évêché (1617).

Gouvernement d'Albert de Luynes (1617-1621). Nouvelles prises d'armes. Les grands avaient applaudi à la chute de Concini, dont ils espéraient profiter. Mais quand ils virent de Luynes s'approprier les dépouilles du maréchal, devenir, en moins de quinze mois, duc et pair et gouverneur de Picardie, épouser une Rohan, qui fut plus tard la trop célèbre duchesse de Chevreuse, et faire d'un de ses frères un duc de Chaulnes, du troisième un duc de PineyLuxembourg, ils se révoltèrent encore, en changeant de drapeau : ils s'armèrent en faveur de la reine mère, tout à l'heure leur ennemie; le duc d'Épernon, à la tête de 300 gentilshommes, vint l'arracher de sa prison de Blois, et tenta de soulever avec elle le midi. De Luynes ne fut pas plus habile à leur résister que le maréchal d'Ancre; la paix d'Angoulême, ménagée par Richelieu, accorda à Marie de Médicis le gouvernement de l'Anjou et trois places de sûreté (1619). Bientôt Angers devint le foyer de nouvelles intrigues et le refuge de tous les mécontents. La reine mère voulait ressaisir le pouvoir. Mais le roi s'amusait aux armes. Quand les troupes étaient aux champs, il retrouvait, au milieu de ses soldats, l'ardeur batailleuse de son père; il marcha sur Angers, décidé à poursuivre sa mère jusqu'en Poitou, jusqu'en Guyenne, si elle s'y réfugiait, en jetant le fourreau de son épée deçà la rivière de Loire. » Il n'alla pas si loin; les partisans de la reine mère furent défaits dans une escarmouche sanglante auprès des ponts de Cé; et la route du midi lui étant coupée, elle se trouva heureuse de faire demander par Richelieu la confirmation du premier traité (1620).

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Organisation républicaine des protestants. cette époque un soulèvement plus redoutable éclata dans le midi: c'était une guerre religieuse. Marie de Médicis

Louis XIII, à sa majorité, avaient suivi la politique de Henri IV à l'égard des protestants, « se déclarant persuadés par l'expérience du passé que la violence n'avoit servi qu'à accroître le nombre de ceux qui étoient sortis de l'Église, au lieu de leur enseigner le moyen d'y rentrer. » Mais les réformés avaient eux-mêmes dépassé l'édit de Nantes. En voyant la reine mère se lier à l'Espagne, ils étaient entrés en défiance, et, à l'assemblée de Saumur en 1611, ils s'étaient donné une véritable organisation républicaine. Ils avaient

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formé de leurs 806 églises 16 provinces partagées en districts. Un consistoire réuni chaque semaine gouvernait l'Église; un colloque, assemblé tous les trois mois, gouvernait le district; un synode annuel traitait des affaires de la province; des synodes nationaux devaient s'assembler tous les trois ans sous un président élu. Pour la politique et la guerre, les provinces se groupaient en cercles, comme en Allemagne. Chaque cercle, ainsi que chaque province, avait son conseil dirigeant qui, au besoin, convoquait une assemblée générale. Enfin deux

1. Les ponts de Cé, qui ont été longtemps le seul passage sur la Loire entre Blois et Nantes, se composaient de 4 ponts ayant 109 arches, et, les îles qu'ils traversent comprises, une longueur de 3 kilomètres.

mandataires élus pour trois ans résidaient à la cour et servaient d'intermédiaires entre le parti et le roi. Tout se faisait par députés et par élection. C'était bien une république démocratique et représentative, au sein d'une monarchie absolue. Les assemblées générales n'étaient pas loin de se croire les droits et auraient volontiers joué le rôle des états généraux de Hollande. Ces prétentions alarmèrent la cour, et quelques catholiques en prenaient ombrage. Dans certaines. villes, les haines se réveillèrent, comme aux plus mauvais jours de la Ligue. La multitude n'y égorgeait pas encore les réformés, mais elle renversait leurs temples, déterrait leurs morts et chassait leurs pasteurs.

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Guerre avec les protestants; mort d'Albert de Luynes (1621). En 1617, un édit rétablit dans le Béarn la religion catholique, avec ordre aux protestants de restituer les biens ecclésiastiques qu'ils avaient sécularisés depuis un demi-siècle. Après de longs refus, le roi entra dans le Béarn avec une armée et fit exécuter son édit. Tout le parti s'agita, malgré les conseils de Sully et de Duplessy-Mornay; une assemblée générale, tenue à la Rochelle, publia une déclaration d'indépendance, leva des troupes, et, sur le refus du vieux maréchal de Lesdiguières et du duc de Bouillon, en offrit le commandement au duc de Rohan (1621). De Luynes, que Louis XIII fit tout exprès connétable, marcha contre Montauban, menant avec lui 15000 hommes, le roi et un carme déchaussé, qui, l'année précédente, avait prophétisé,

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