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vait attaché à sa fortune et avait obtenu pour lui la pourpre romaine (1640). La reine se confia à ce dépositaire des desseins du grand cardinal, à cet étranger qui ne pouvait avoir en France d'autre intérêt que celui du roi, et elle lui laissa prendre sur son esprit, même sur son cœur, un empire absolu'.

« Il avait l'esprit grand, prévoyant, inventif, le sens simple et droit, le caractère plus souple que faible et moins ferme que persévérant; sa devise était : « Le temps et moi. » Il se conduisait, non d'après ses affections ou ses répugnances, mais d'après ses calculs. L'ambition l'avait mis au-dessus de l'amour-propre, et il était d'avis de laisser dire, pourvu qu'on le laissàt faire; aussi, était-il insensible aux injures et n'évitait-il que les échecs. Il jugeait les hommes avec une rare pénétration, mais il aidait son propre jugement du jugement que la vie avait déjà prononcé sur eux. Avant d'accorder sa confiance à quelqu'un, il demandait: Est-il heureux ? » Ce n'était pas de sa part une aveugle soumission aux chances du sort; pour lui, être heureux signifiait avoir l'esprit qui prépare la fortune et le caractère qui la maîtrise. Il était incapable d'abattement, et il avait une constance inouïe, malgré ses variations apparentes. Un de ses plus spirituels antagonistes, la Rochefoucauld, a dit de lui « qu'il avait plus de << hardiesse dans le cœur que dans l'esprit, au contraire du << cardinal Richelieu, qui avait l'esprit hardi et le cœur ti« mide. Si Richelieu, qui était sujet à des accès de découragement, était tombé du pouvoir, il n'y serait pas remonté; tandis que Mazarin, deux fois fugitif, ne se laissa jamais abbattre, gouverna du lieu de son exil, et vint mourir dans le souverain commandement et dans l'extrême grandeur. » (Mignet.)

Cabale des importants. - Cependant, tous ceux qui avaient souffert avec la reine, ou pour elle, étaient accourus, et, se croyant déjà les maîtres de l'État, affectaient des airs de supériorité et de protection qui firent donner à leur parti le nom de cabale des importants. Parmi eux, on remarquait le duc de Vendôme, fils légitimé de Henri IV et de Gabrielle

1. Lettres du cardinal Mazarin à la reine, surtout celles du 11 mai, 20 juillet, 29 août, 24 et 27 octobre 1651. Anne d'Autriche avait alors 42 ans. Mazarin, quoique cardinal, n'était point prêtre et ne reçut jamais les ordres sacrés. Voy. aussi, sur ce point, la Vie de Mme de Hautefort, par M. Cousin.

d'Estrées, ses deux enfants, le duc de Mercœur et le duc de Beaufort, qui allait être surnommé le roi des halles, le jeune et brillant Marsillac, duc de la Rochefoucauld, qui écrivit plus tard le livre des Maximes, l'évêque de Beauvais, Potier, premier aumônier de la reine, que le cardinal de Retz appelle irrévérencieusement une bête mitrée, et qui était entré au conseil avec le titre de ministre d'État s'il en fallait

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croire Gondi, la première dépêche écrite par lui aurait été une sommation aux Hollandais d'avoir à rentrer dans l'Église catholique, s'ils voulaient rester dans l'alliance de la France.

Il s'agissait de défaire l'ouvrage de Richelieu; les importants ne s'en cachaient pas. L'ancienne amie de la reine, la duchesse de Chevreuse, revenue au Louvre, après dix ans d'exil, déclara bien haut qu'il fallait restituer aux grands

tout ce que Louis XIII leur avait enlevé; mais depuis que la reine avait le pouvoir, elle en était devenue avare. Si elle n'avait pas voulu le partager avec d'habiles conseillers, ce n'était pas pour l'abandonner à des brouillons qui recommençaient les complots, et bientôt recommenceront la guerre civile. La découverte d'une tentative d'assassinat contre Mazarin la décida à rompre les derniers liens avec ses anciens

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amis. Potier fut relégué dans son diocèse, Beaufort au donjon de Vincennes, Vendôme, la duchesse de Chevreuse et les autres dans leurs maisons des champs. » Le règne des importants avait duré trois mois et demi (2 sept. 1643). On raconte que vers cette époque, se trouvant à Rueil dans la maison de Richelieu, elle s'arrêta devant son portrait, le considéra quelque temps en silence, et dit : « Si cet homme vivait encore, il serait plus puissant que jamais. »

Suite de la guerre de Trente ans: victoires de Condé et de Turenne.- La guerre étrangère continuait. La mort de Richelieu avait enhardi les Espagnols; ils avaient repris l'offensive du côté de la Champagne et ils assiégeaient Rocroy, sous la conduite d'un vieux capitaine, don Francisco de Mellos, espérant, après la chute de cette ville, arriver à Paris sans obstacle, car ils n'avaient devant eux qu'une armée inférieure en nombre et un général de vingt et un ans,

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Louis de Bourbon, alors le duc d'Enghien, plus tard le grand Condé.

Ce fut le 19 mai 1643 que les armées se rencontrèrent. Les deux ailes formées de cavalerie s'abordèrent bien avant que le centre pût combattre. Condé, à la tête de sa droite, renversa la cavalerie qui lui était opposée, et, apprenant que sa gauche était battue par Mellos, il passa audacieusement derrière la ligne espagnole, pour prendre à dos la droite de l'ennemi victorieuse et la dispersa. L'infanterie espagnole restait im

mobile. Il revint sur elle, l'entoura, l'attaqua trois fois et la rompit. Le vieux comte de Fuentès', qui la commandait, fut jeté mort à terre. Condé reçut lui-même trois coups de mousquet dans ses armes.

Le duc d'Enghien poursuivit son succès, avec cette fougue, cette audace heureuse, qui était le caractère de cet autre Alexandre. Chaque année fut marquée par une victoire. Les Espagnols chassés de France, il s'empare en courant de Thionville (4 août 1643), et se tourne contre l'Autriche et ses alliés d'Allemagne. L'armée weimarienne venait de perdre. devant Rottweil qu'elle avait pourtant enlevé, son habile général Guébriant, et, obéissant mal à plusieurs chefs, s'était laissé surprendre par les Impériaux à Duttlingen dans des cantonnements trop séparés. Turenne, nommé maréchal, rassemble ses débris et la recompose. Condé lui amène 10000 hommes. Ils attaquent le général bavarois, Mercy, sous les murs de Fribourg en Brisgau: le combat recommence deux fois, à deux journées différentes, et chaque fois Condé y montre la plus bouillante valeur, entraînant à sa suite les Français électrisés (août 1644). Cependant, ce fut plutôt un affreux massacre qu'une victoire. Mercy s'éloigna sans être inquiété, mais il s'avoua vaincu, en laissant les deux généraux enlever Philippsbourg, Worms, Mayence, et ainsi nettoyer d'ennemis les bords du Rhin.

Tandis que Condé retourne à Paris, jouir des acclamations populaires, Turenne s'engage avec trop de confiance à travers l'Empire pour répondre à l'appel de Torstenson qui

1. Le vieux comte de Fuentès, malade, se faisait porter dans une chaise. On voit cette chaise parmi les glorieux trophées conservés au Musée d'Artillerie.

2. Guébriant avait gagné une solide gloire à conduire cette armée, la plus difficicile qu'il y eût à tenir en ordre; sa mort fut un deuil public. On avait songé à le nommer gouverneur du roi.

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3. La tradition si populaire qui le montre lançant dans les retranchements ennemis son bâton de maréchal (il ne fut jamais, il ne pouvait être maréchal), et allant le chercher l'épée à la main, ne se trouve dans aucun écrit contemporain. Le premier livre qui en parle est de l'année 1694; mais si le fait n'est pas prouvé, il est bien vraisemblable; et Condé n'aurait pas jeté son bâton de commandement (dites sa canne dans les retranchements ennemis qu'il faudrait dire qu'il s'y jetait lui-même. Condé ne dit pas non plus à ses soldats, à Lens: Mes amis, souvenez-vous de Rocroy, de Fribourg et de Nordlingen. » Mme de Motteville (collect. Petitot, t. XXXVIII, p. 1) rapporte une harangue moins héroïque : « Mes amis, ayez bon courage, il faut nécessairement combattre aujourd'hui: il será inutile de reculer; car je vous promets que vaillants et poltrons, tous combattront, les uns de bonne volonté, les autres par la force. » C'était peut-être le seul langage que pussent entendre les armées de ce temps-lå. Voy. Fléchier, Oraison funebre de Turenne.

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