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système de Richelieu le porterait au pouvoir. On ne marchait donc pas à l'aventure, mais, comme chacun tirait à soi, tout craqua. Le ridicule de la Fronde n'est pas dans la vanité des prétentions; il est dans le désordre de ces ambitions contraires et aussi dans l'impossibilité du succès. Une lutte contre l'autorité royale, entre Richelieu et Louis XIV, ne pouvait réussir, et en politique, ce qui est impossible devient aisément ridicule, à moins que quelque beau dévouement n'honore la défaite.

Les magistrats furent les premiers à vouloir se retirer de la bagarre. Ils avaient bien vite reconnu que les seigneurs ne cherchaient qu'à perpétuer le désordre pour bouleverser l'État. Les gens de robe avaient d'ailleurs un sentiment plus vif de la patrie que les gens d'épée, dont les affections comme les intérêts passaient souvent la frontière. A Paris, Mathieu Molé avait repoussé avec indignation la proposition d'admettre en séance un envoyé de l'Espagne, A Bordeaux, le président d'Affis, un peu plus tard, fit rendre un arrêt pour courir sus à un autre agent accrédité auprès de la princesse de Condé qui commandait alors dans la ville. La nouvelle d'un traité signé par les seigneurs avec l'Espagne décida le parlement; le premier président fut chargé de traiter avec Mazarin. La convention de Rueil diminua quelques impôts, autorisa les assemblées des chambres. et ramena, après quelque hésitation, la cour à Paris (avril 1649).

Parti des petits-maîtres, ou jeune Fronde, arrestation de Condé (janv. 1650). La paix ne dura guère, << bien que le roi l'eût achetée chèrement, les seigneurs ayant tous arraché quelque beau lambeau des libéralités royales. » Condé voulait dominer le gouvernement qu'il avait protégé. Il fatigua la régente et le premier ministre par des exigences continuelles; il les humilia par des insolences de mauvais goût. Il écrivait au cardinal: All' illustrissimo signor Faquino; il lui disait un jour en prenant congé de lui : Adieu, Mars! Cette conduite altière n'empêchait pas l'emploi de moyens moins superbes. Pour miner le crédit du ministre au point où il s'appuyait le plus, Condé chargea un de ses petits maîtres, Jarzé, de reprendre auprès de la reine le rôle de Buckingham. C'était d'un habile tacticien. Mais, cette fois, Condé fut battu. En même temps qu'il s'aliénait la cour, il mécontentait les anciens frondeurs; il ne parlait qu'avec mé

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pris de ces bourgeois qui prétendaient gouverner l'État; il s'entourait de jeunes seigneurs, vains et présomptueux, qui poussèrent à l'extrême les défauts de leur chef, et qu'on appela les petits-maîtres. Il ne fut pas difficile à Mazarin de réunir tout le monde contre ce prince, « qui savait mieux gagner des batailles que des cœurs; et il le fit arrêter dans le Louvre, avec son frère de Conti et son beau-frère de Longueville (janvier 1650). « Le peuple de Paris, qui avait fait des barricades pour un conseiller-clerc presque imbécile, dit Voltaire, fit des feux de joie lorsqu'on mena au donjon de Vincennes le défenseur et le héros de la France. » Voltaire ne voit pas que c'est le vieux levain démocratique de la grande cité qui commençait à fermenter. « Le peuple seul fait les rois, s'écriait en plein parlement l'avocat Deboisle.

« Levons le masque, disait un pamphlet du temps, reconnaissons que les grands ne sont grands que parce que nous les portons sur nos épaules; nous n'avons qu'à les secouer pour en joncher la terre et pour en faire un coup de parti duquel il soit parlé à jamais. » Cette voix sinistre n'a pas alors d'écho dans un siècle et demi elle en trouvera1.

Union des deux Frondes, exil de Mazarin (février 1651). Un soulèvement éclata dans quelques provinces ; il fut réprimé facilement. Bordeaux se soumit; et du Plessis-Praslin battit à Rethel le maréchal de Turenne, qui venait d'envahir la Champagne avec une armée espagnole (décembre 1650). Mais Mazarin se crut trop tôt vainqueur. Il avait promis au coadjuteur le chapeau de cardinal, pour le rattacher aux intérêts de la reine après l'événement, il oublia sa promesse, suivant son habitude. Le coadjuteur se rapprocha du parti de Condé, ranima les défiances du parlement, agita le peuple, et les deux Frondes, unies momentanément par ses soins, forcèrent Anne d'Autriche à délivrer les princes et à renvoyer du royaume son premier ministre. Mazarin se retira à Cologne, et de son exil continua à gouverner la reine et la France (fév. 1651). Retz eut enfin le chapeau.

Pour obtenir cette délivrance des princes, 800 chefs des plus grandes maisons de France s'étaient réunis à Paris et

1. Moreau, Bibliographie des Mazarinades, I, 31. En 1789, Prud'homme donne ces mots pour devise à son recueil des Révolutions de Paris: Les grands ne sont grands que parce que nous sommes à genoux, relevons

nous.

bientôt s'étaient mis à délibérer sur les désordres de l'État, sur la ruine de l'ancienne constitution, sur la perte de leurs droits et franchises. Le clergé, qui tenait alors son assemblée quinquennale ordinaire, semblait disposé à faire cause commune avec les nobles. On parlait d'états généraux; mais les deux ordres privilégiés laissèrent perçer trop tôt leur jalousie contre le parlement qui voulait faire de l'État un monstre horrible, par l'adjonction d'un quatrième membre au corps parfait que composaient le clergé, la noblesse et le tiers état; contre ces jeunes écoliers qui devenaient au sortir du collége les arbitres de la fortune publique, par la vertu d'un parchemin qui leur coûtait 60 000 écus. » Le parlement entra en défiance de tels alliés et l'union des deux Frondes ne dura guère.

Révolte de Condé, combat de Bléneau (avril 1652). Condé était mécontent de tout le monde, du parlement, de Paris, de la cour. Quand Mazarin, avant de s'éloigner, était venu lui ouvrir les portes de la prison, il avait cru que la reine lui donnerait toute influence en dédommagement de ses deux ans de captivité, et Mazarin gouvernait du fond de son exil. Irrité de l'isolement où on le laissait, il se jeta dans de plus coupables aventures. Il partit pour le Midi, résolu à conquérir, par les armes, le pouvoir et peut-être même le trône, si nous en croyons les mémoires d'un de ses compagnons de révolte, le comte de Coligny. Il alla soulever la Guyenne et traiter avec l'Espagne, tandis que ses amis se préparaient à la guerre dans le centre de la France. Mazarin, qui était aussitôt rentré en France (décembre 1651), confia le commandement des troupes au vicomte de Tu renne, alors revenu à la cause royale. Le maréchal se dirigea vers la Loire pour surprendre l'armée des princes. On croyait Condé à cent lieues de là; mais il avait traversé à cheval la moitié de la France, seul, déguisé. A peine arrivé, il fond sur les quartiers du maréchal d'Hocquincourt, à Bléneau, et les disperse (avril 1652). Les fuyards se sauvent à Briare, où était Turenne celui-ci court à cheval sur une éminence, d'où il peut dominer la plaine; il observe, à la lueur des villages incendiés, les dispositions du combat, et dit: Mon-ieur le Prince est arrivé, c'est lui qui commande son armée. » La cour épouvantée parlait de fuir à Bourges; Turenne rassure les esprits, et, à force d'audace et de prudence, avec 4000 hommes contre 12000, empêche les'

ennemis de poursuivre leur avantage. « Monsieur le maréchal, dit la reine en pleurant, vous avez sauvé l'État; sans vous il n'y aurait pas eu une ville qui n'eût fermé ses portes au roi. »

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Combat du faubourg Saint-Antoine (juillet 1652). - Pour qui serait Paris? Les armées vinrent le demander aux Parisiens eux-mêmes, qui fermèrent leurs portes à toutes les deux. Elles se trouvèrent alors en présence au faubourg Saint-Antoine. La bataille fut sanglante et longtemps indécise. Le duc d'Orléans, toujours incertain, restait enfermé dans son palais du Luxembourg. Le cardinal de Retz était cantonné dans son archevêché. Le parlement attendait l'issue de la lutte pour donner quelque arrêt. La reine en larmes était prosternée dans une chapelle des Carmélites. Condé se battit en soldat: il était partout. « Je n'ai pas vu un Condé, disait Turenne, j'en ai vu douze. » Cependant l'armée frondeuse, menacée sur ses flancs, allait être enveloppée et détruite, quand Mademoiselle, fille de Gaston d'Orléans, fit ouvrir les portes à Condé et tirer le canon de la Bastille sur les troupes royales Turenne étonné recula. Telle était la misère publique que les pauvres se jetèrent sur les chevaux tués dans le combat. Le pain valait dans la ville 10 sols la livre, la viande de cheval autant.

Condé ne put demeurer longtemps à Paris, où sa gloire fut tachée par un massacre des Mazarins, qu'il laissa faire, s'il ne l'ordonna pas. Il sortit de la ville, le 18 octobre, et se retira en Flandre, au milieu des Espagnols. La tradition féodale avait encore assez de force pour qu'une foule de noblesse l'y suivit, entraînant avec elle toute une armée, au moins de 10 000 hommes composant les régiments des princes et de leurs amis.

Cette première

Retour de Mazarin (fév. 1653). émigration fut, comme la seconde, fatale à ceux qui la firent. Elle accéléra le mouvement de l'opinion publique qui revenait au roi; Mazarin pour n'y point faire obstacle s'était éloigné une seconde fois (9 août). Alors le parlement et les bourgeois supplierent la reine mère de rentrer dans la capitale pacifiée (21 oct.) Dix magistrats furent destitués ou emprisonnés; le cardinal de Retz fut enfermé à Vincennes1; le

1. Nous retrouverons Condé; pour le cardinal de Retz, son rôle est fini. Emprisonné à Vincennes, puis à Nantes, il s'évada au risque de sa vie, gagna l'Espagne, puis Rome, vécut longtemps à Bruxelles et ne rentra en

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