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donner pièce à pièce à ses nièces et à ses amis. » Si Mazarin en effet fut sous ce rapport mauvais ministre, il fut fort bon parent; il empêcha une de ses nièces d'épouser Louis XIV, mais il les plaça toutes en haut lieu. La signora Martinozzi, sa sœur aînée, vit une de ses filles princesse de Conti, l'autre duchesse souveraine de Modène. Les cinq filles de la signora Mancini, son autre sœur, arrivées d'Italie en bien piètre équipage, furent mariées au duc de Mercœur, au comte de Soissons de la maison de Savoie1, au connétable romain Colonna, au duc de Bouillon, et enfin au duc de la Meilleraye. La France paya toutes ces dots. Son neveu fut duc de Nivernais, et de son frère, pauvre moine perdu au fond d'un couvent d'Italie, il fit un archevêque d'Aix et un cardinal.

On ne regardera pas comme une rançon de ce pillage quelques pensions à des gens de lettres dont Ménage dressa la liste, à Descartes qui vivait retiré en Hollande, à l'historien Mézerai, qui fut inscrit pour une somme de 4000 francs; ni les dépenses faites pour créer une magnifique bibliothèque (la Mazar ne) qui fut ouverte plus tard au public « pour la commodité et satisfaction des gens de lettres; » ni la fondation du collége des Quatre-Nations, auxquels il affecta par testament 800 000 écus et qu'il destina à recevoir les élèves de l'université appartenant aux provinces espagnole, italienne, allemande et flamande, nouvellement réunies au royaume. Mazarin avait le goût le plus vif, sinon le meilleur, pour les arts: il fit venir d'Italie nombre de tableaux, de statues et de curiosités, même des acteurs, des machinistes, qui introduisirent l'opéra en France, et il fonda, en 1655, l'Académie de peinture et de sculpture.

Il mourut le 9 mars 1661, à Vincennes, à l'âge de cinquanteneuf ans, désespéré de quitter ses belles peintures, ses statues, ses livres, les affaires, la vie, et pourtant < faisant bonne mine à la mort1. »

1. La duchesse de Mercœur fut la mère de Vendôme, la comtesse de Soissons, du prince Eugène.

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FAITS DIVERS. 1653, établissement de la première tontine ou société d'assurances mutuelles sur la vie, par l'Italien Tonti; de la petite poste dans Paris pour 1 intérieur de la ville; et, en 1656, de la première fabrique de bas au métier, établie dans le château de Madrid, au bois de Boulogne. 1645, Anne d'Autriche fait commencer le Val-de-Grâce, dont Fr. Mansart donne les dessins. 1648, Lesueur achève sa vie de saint Bruno. - 1650, mort de Descartes. 1654, accident de Pascal au pont de Neuilly; il publie, en 1656, ses premières Provinciales. 1658, Molière obtient le privilége de donner des representations à Paris. 1660, le voyageur Thévenot rapporte d'Orient à Paris le café, que l'ambassadeur ottoman mettra à la

mode en 1669.

TREIZIÈME PÉRIODE.

TRIOMPHE DE LA ROYAUTÉ ABSOLUE

(1661-1715).

CHAPITRE L.

LOUIS XIV; ORGANISATION INTERIEURE; COLBERT, LOUVOIS, VAUBAN (1661-1683)1.

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Division du règne de Louis XIV. Charles-Quint disait que la fortune n'aime pas les vieillards. Le plus grand roi de la race des Bourbons l'éprouva, comme le fondateur de la maison d'Autriche. Les longs règnes, en effet, présentent souvent deux sp ctacles contraires : un temps d'éclat et de prospérité, un temps de décadence et de misère, parce que bien peu de princes sont assez maîtres d'eux-mêmes pour modifier leurs idées à mesure que se modifient les besoins des peuples.

La belle période du règne de Louis XIV s'étend de 1661 à 1683, de la mort de Mazarin à la mort de Colbert, et elle est remplie par la forte génération qui s'était formée dans les années précédentes. C'est, pour l'administration intérieure, Colbert; pour la guerre, Turenne, Condé, Duquesne

de

1. Principaux ouvrages à consulter sur le règne de Louis XIV: les Mémoires de Louis XIV, de Choisy, de 'a Fare, de Noai les, de Villars, Berwick, de Torcy, de Mmes de Caylus et de la Fayette, de Gourville, de Saint-Simon, de Forbin, de Duguay Trouin, de Cosnac (nouvellement publies), etc.; les Lettres de Mme de Sévigné, de Mme de Maintenon, de Fénelon le Journal de Dangeau, qui vient d'être pour la première fois publié en entier: les Lettres de la princesse Palatine, seconde femme dù duc d'Orléans; le Siècle de Louis XIV de Voltaire; l'Introduction aux négociations relatives à la succession d'Espagne, par M. Mignet; Histoire de Mme de Maintenon, par le duc de Noailles; Histoire de Louvois, par M. Camille Rousset, 4 volumes.

et Louvois; pour les lettres, Molière, la Fontaine, Boileau, Racine, Bossuet, Bourdaloue et Mme de Sévigné; pour les arts, Lebrun, Claude Lorrain, Puget, Hardouin-Mansart et Perrault. Alors tout sourit au roi et lui réussit; les conquêtes durables se font, les grands travaux s'accomplissent, les beaux monuments s'élèvent.

Après 1683, Louis XIV arrive à l'âge mûr, sa santé se dérange; Louvois, qui n'a plus l'utile contre-poids de Colbert, et Mme de Maintenon dominent le monarque. La joie et le bonheur sont partis comme les jeunes années. Cette couronne de gloire que le siècle de Louis XIV portait si noblement, s'effeuille et tombe, les grands hommes s'en vont; une génération plus petite les remplace: Pascal est mort, Molière et le Poussin sont morts, la Fontaine et Boileau ont à peu près donné tout ce que la postérité garde d'eux. Racine se tait et n'interrompra ce silence que par un dernier chef-d œuvre. Bossuet n'écrira plus qu'un grand ouvrage1; Lebrun est en disgrâce; Turenne a été tué; Condé se meurt; Duquesne va mourir. Louis restera le dernier pour fermer son siècle sur tous les hommes illustres qui en ont été l'honneur, et descendra dans la tombe triste, vaincu, à charge à lui-même et aux autres, laissant la France sans industrie, sans commerce, épuisée et maudissant le grand règne qu'elle avait pendant vingt-cinq ans salué de ses enthousiastes acclamations. Louis XIV gouverne par lui-même. En 1661, Louis XIV avait 23 ans, et il régnait depuis dix-huit ans, sans s'être fait connaître. Mazarin seul l'avait deviné. Il avait dit aux maréchaux de Villeroi et de Grammont: « Vous ne le conna ssez pas; il se mettra en chemin un peu tard, mais il ira plus loin qu'un autre : il y a en lui l'étoffe de quoi faire quatre rois et un honnête homme. » Cependant personne ne pensait qu'un jeune prince, livré jusqu'alors aux amusements de son âge, osât gouverner par lui-même. Mais la correspondance de Mazarin atteste les constants efforts faits par le cardinal pour préparer son pupille à prendre la direction des affaires. Quand les ministres vinrent, après sa mort, demander au roi à qui ils s'adresseraient désormais : « A moi, » leur répondit-il. Le secrétaire d'État de la guerre, Michel

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1. L'Histoire des Variations, publiée en 1688. Il faut y ajouter l'oraison funèbre du prince de Condé. La Bruyère ne publiait ses Caractères qu'en 1687. Le Télémaque de Fénelon vint plus tard encore. Athalie est de 1689.

le Tellier, courut tout effaré apprendre cette nouvelle à la reine mère, qui lui rit au nez: «En bonne foi, monsieur le Tellier, qu'en croyez-vous? » Cette résolution n'était pourtant que l'accomplissement de conseils vingt fois donnés par Mazarin, et s'il y a lieu de s'étonner, ce n'est pas qu'il l'ait prise, mais qu'il l'ait tenue. Il accepta tous les soucis de la royauté; il fut lui-même, dit la Bruyère, son premier ministre et exigea des principaux fonctionnaires de l'État qu'ils correspondissent directement avec lui. Pendant trente années, il travailla régulièrement huit heures par jour. Il a rappelé dans ses Mémoires, avec un légitime orgueil, l'effet produit par cette déclaration; et il recommanda à son fils, en quelques paroles vraiment éloquentes, de ne pas oublier que c'est par le travail qu'on règne : qu'il y a de l'ingratitude et de l'audace à l'égard de Dieu, de l'injustice et de la tyrannie à l'égard des hommes, de vouloir l'un sans l'autre. » Idées de Louis XIV sur le gouvernement. - Ce qui est plus remarquable encore, c'est que ce jeune prince, qui prenait si hardiment le pouvoir, avait déjà conçu tout le plan de sa politique. Non-seulement Louis XIV a régné avec un pouvoir sans bornes, comme quelques-uns de ses prédécesseurs, mais il a établi le premier en France la théorie de la monarchie absolue. A ses yeux, la royauté est d'institution divine les souverains sont les représentants de Dieu sur la terre, ses lieutenants, inspires providentiellement par lui, et, à ce titre, participant en quelque sorte de sa puissance et de son infaillibilité. Et comme la royauté, en se rendant absolue, avait conservé le vieux principe du droit féodal: que souveraineté et propriété sont même chose, Louis ne se croyait pas seulement le maître de ses sujets, il se regardait comme le propriétaire de leurs biens; doctrine mons

:

1. « Si une fois vous prenez le gouvernail, vous ferez plus en un jour qu'un plus habile que moi en six mois, car c'est d'un autre poids ce qu'un roi fait de droit fil que ce que fait un ministre, que que autorisé qu'il puisse ètre.» Lettre de Mazarin au roi, 29 juin 1659. Mazarin négligea fort l'instruction du roi: mais point du tout son éducation politiq e.

2. Il écrivait au gouverneur du Canada, en 1665, que c'était à lui-même qu'il devait s'adresser et rendre compte des affaires, car ceux qui avaient des postes de confiance comme lui devaient avoir pour maxime d'avoir leur principale correspondance avec Sa Majesté, la correspondance qu'ils tiennent avec la personne de son conseil n'étant qu'une suite et une dépendance de la première. Sa vie, malgré des plaisirs et les désordres qu'il y mėla, était reglée à ce point qu'on pouvait, dit Saint-Simon, savoir par toute l'Europe, à chaque minute, ce que faisait le roi de France.

3. Voici quelques passages extraits des Mémoires de Louis XIV: « Les rois sont seigneurs absolus et ont naturellement la disposition pleine et li

trueuse qui nous reporte au milieu des monarchies orientales. Toutefois cette autorité, à laquelle il ne reconnaissait que les limites imposées par sa conscience et par la religion, ne lui semblait pas devoir rester stérile; il la voulait active et laborieuse. Il croyait que les rois ont aussi des devoirs impérieux à remplir. « Nous devons, disait-il, considérer le bien de nos sujets plus que le nôtre propre. Ce n'est que pour leurs avantages que nous devons leur donner des lois; et ce pouvoir que nous avons sur eux ne nous doit servir qu'à travailler plus effectivement à leur bonheur Il est beau de mériter d'eux le nom de père avec celui de maître; et si l'un nous appartient par le droit de notre naissance, l'autre doit être le plus doux objet de notre ambition. » « Nos sujets, dit-il ailleurs, sont nos véritables richesses. Si Dieu me fait la grâce d'exécuter tout ce que j'ai dans l'esprit, je tâcherai de porter la félicité de mon règne jusqu'à faire en sorte, non pas à la vérité qu'il n'y ait plus personne ni pauvre ni riche (car la fortune, l'industrie et l'esprit laisseront éternellement cette distinction entre les hommes), mais au moins qu'on ne voie plus dans tout le royaume, ni indigence, ni mendicité, je veux dire personne, quelque misérable qu'il puisse être, qui ne soit assuré de sa subsistance, ou par son travail ou par un secours ordinaire et réglé. D

C'est ainsi que Louis XIV comprenait son métier de roi; voyons comment il régna.

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Ministres de Louis XIV. Les ministres que Mazarin lui avait laissés étaient: Pierre Séguier, garde des sceaux et chancelier, sorte de ministre inamovible, qui eut l'art, en ne prenant point d'importance politique, de se faire estimer nécessaire pendant cinquante années; Michel le Tellier, secré

bre de tous les biens qui sont possédés aussi bien par les gens d'église que par les séculiers, pour en user en tout temps, comme de sages économes, c'est-à-dire suivant le besoin général de leur État. Tout ce qui se trouve dans l'étendue de leurs États, de quelque nature qu'il soit, leur appartient au même titre, et les deniers qui sont dans leur cassette et ceux qui demeurent entre les mains de leurs trésoriers, et ceux qu'ils laissent dans le commerce de leurs peuples. -La France est une monarchie le roi y représente la nation entière, et chaque particulier ne représente qu'un seul individu envers le roi. Par conséquent, toute puissance, toute autorité réside dans les mains du roi, et il ne peut y en avoir dans le royaume que celle qu'il établit. Soyez le maître, écoutez; consultez votre conseil; mais décidez. Dieu qui vous a fait roi, vous donnera les lumières qui vous sont nécessaires tant que vous aurez de bonnes intentions. » Nous citerons plus d'une fois encore ces Mémoires précieux, que Louis XIV, avant de mourir, confia au maréchal de Noailles, et dont M. Dreyss a donné une excellente édition, qui rend inutile celle de Grimoard.

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