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taire d'État de la guerre; Hugues de Lionne, chargé de la marine dont il garda le portefeuille jusqu'en 1669, et des affaires étrangeres; Nicolas Fouquet, surintendant. Les deux premiers étaient des hommes distingués, le troisième un homme supérieur; pour le quatrième, Fouquet, il s'était fait la réputation d'un Mécène généreux, en protégeant noblement les lettres, et il compta d'illustres amis, Pellisson, la Fontaine, Gourville, Mme de Sévigné, Mlle Scudéri, qui ont plaidé sa cause devant la postérité sans la gagner. Il avait

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mis ou plutôt laissé les finances dans un désordre extrême, et lui-même puisait sans scrupule dans le trésor : il dépensa à son château de Vaux 9 millions, qui en vaudraient plus de 20 aujourd'hui, et il ne regardait pas à mettre 120 000 livres à un dîner. Il grossissait, pour le roi, les états de dépenses, diminuait les états de recettes; enfin, ce qui était plus grave, il semblait chercher partout des appuis, même dans la haute noblesse, et il fortifiait les places dont il avait le commandement, comme pour se préparer, en cas de disgrâce, une retraite inexpugnable. C'était presque un frondeur; c'était

certainement un fripon. Il n'en fallait pas tant pour que Louis le frappåt.

Le roi avait un ministre secret, qui lui faisait remarquer tous les soirs les erreurs et les mensonges du surintendant; c'était Jean-Baptiste Colbert, né à Reims, en 1619, d'une ancienne famille de marchands et de magistrats, intendant de Mazarin, qui avait dit au roi avant de mourir: « Sire, je vous dois tout, mais je crois m'acquitter en quelque manière en vous donnant Colbert. »

La perte de Fouquet était peut-être déjà résolue quand la cour accepta la fête magnifique qu'il lui donna dans sa maison de Vaux. Louis XIV fut irrité d'une devise orgueilleuse qu'il lut partout: Quò non ascendam? (Où ne monterai-je pas?)' et surtout des splendeurs toutes royales qui furent prodiguées pour lui plaire. Il disait à la reine mère avec colère :

Ah! madame, est-ce que nous ne ferons pas rendre gorge à ces gens-là?» Et il fut tenté de faire arrêter le ministre à Vaux, au milieu de la fête qu'il en recevait. Il se contint cependant; mais quelques semaines après, Fouquet était à la Bastille (septembre 1661). Il fut, accusé de dilapidations, ce qui était trop vrai, et de complot contre la sûreté de l'État, ce qui ne fut jamais prouvé. Au bout de trois années, neuf juges opinèrent pour la mort, treize autres pour le bannissement. Le roi aggrava la peine; il la commua en une prison perpétuelle, et Fouquet fut enfermé dans la citadelle de Pignerol, où il mourut après dix-neuf ans de captivité.

Ce grand procès fit une autre victime: Pellisson fut condamné pour sa part à restituer 200 000 livres. Il était de ces habiles gens qui peuvent tomber, mais qui se relèvent toujours. De calviniste il devint catholique et mourut peut-être protestant 2; d'ami de Fouquet, il passa favori de Louis XIV, rédigea ses Mémoires, où il parla des voleries du surintendant, et fonda un prix à l'Académie pour l'éloge annuel du roi. Grâce à ses vers, à sa prose, souple comme sa conduite, il fit d'excellentes affaires : il émargeait, en 1677, pour 7500 livres, juste ce que touchait Vauban, sans compter les abbayes et prieurés. Enfin, il était à peu près ministre, te

1. Fouquet, en patois finois, signifie écureuil. Le favori de Henri IV, Fouquet, marquis de la Varenne, avait déjà la devise quò non ascendam. Cf. Histoire de la Flèche.

2. C'est du moins ce qui semble résulter des lettres publiées par le Bulletin de la Société de l'histoire du protestantisme français en juillet 1858. Marcou, Étude sur la vie et les œuvres de Pellisson, 1859.

nant la caisse des conversions, et pourtant il couvrit son adresse d'assez de dignité pour que la postérité ait oublié en lui l'homme d'affaires et ne se souvienne que de l'homme de lettres.

Colbert succéda à Fouquet avec le titre de contrôleur général. En 1666, Michel le Tellier laissa sa charge à son fils, le célèbre Louvois ; le premier ministère de Louis XIV se trouva alors au complet.

Colbert. — Colbert dirigea près de cinq de nos ministères actuels la maison du roi avec les beaux-arts, les finances, l'agriculture avec le commerce, les travaux publics, et, à partir de 1669, la marine, poids écrasant sous lequel il ne succomba pas'. « Jean-Baptiste Colbert, dit un contemporain, avait le visage naturellement renfrogné. Ses yeux creux, ses sourcils épais et noirs lui faisaient une mine austère et lui rendaient le premier abord sauvage et négatif; mais, dans la suite, en l'apprivoisant, on le trouvait assez facile, expéditif et d'une sûreté inébranlable. Il était persuadé que la bonne foi dans les affaires en est le fondement solide. Une application infinie et un désir insatiable d'apprendre lui tenaient lieu de science. Il fut restaurateur des finances, qu'il trouva en fort mauvais état à son avénement au ministère. Esprit solide, mais pesant, né principalement pour le calcul, il débrouilla tous les embarras que les surintendants et les trésoriers de l'épargne avaient mis exprès dans les affaires pour y pêcher en eau trouble. » Ajoutons que ce financier austère et dur, « cet homme de marbre, » comme Gui Patin l'appelle, avait du cœur. « Il faut, écrivait-il à Louis XIV, épargner cinq sols aux choses non nécessaires et jeter les millions quand il s'agit de votre gloire. Un repas inutile de 3000 livres me fait une peine incroyable, et lorsqu'il est question de millions d'or pour l'affaire de Pologne, je vendrais tout mon bien, j'engagerais ma femme et mes enfants, et j'irais à pied toute ma vie pour y fournir. » Réorganisation des finances. - Les finances, en effet, étaient retombées dans le chaos d'où Sully les avait tirées. La

1. Ces diverses attributions formaient quatre charges: le contrôle général des finances, la surintendance des bâtiments et deux des quatre places de secrétaire d'État pour la maison du roi et la marine. Sur ce grand ministre, Voyez l'Histoire de la vie et de l'administration de Colbert, par P. Clément, Etudes sur Colbert, par Joubleau, ouvrage couronné par l'Académie des sciences morales et politiques en 1856, 2 vol.

1846

dette publique était de 430 millions, les revenus dévorés deux ans à l'avance, et le trésor, sur 84 millions d'impôts annuels, en recevait à peine 35. Colbert commença par annuler ou rembourser, au taux de l'achat, huit millions de rentes sur l'hôtel de ville, acquises à vil prix, et fit rechercher par une chambre de police les malversations commises depuis vingtcinq ans par les officiers de finances; les curés même durent presser leurs paroissiens de dénoncer les abus. On fit rendre gorge aux traitants qui avaient profité des besoins de l'État pour lui prêter à un taux usuraire; les amendes s'élevèrent à 110 millions. Plusieurs traitants furent pendus. C'étaient des mesures selon l'esprit du temps, mais non selon la bonne politique le moyen le plus sûr pour l'État de n'avoir pas de contrats onéreux à subir, dans les mauvais jours, étant de tenir, dans les bons, la parole une fois donnée. Il n'y a d'usuriers que pour ceux qu'on suspecte de ne point payer leurs dettes.

Colbert fut le véritable créateur du budget'. Jusqu'alors on dépensait au hasard, sans consulter les recettes du trésor. Le premier il dressa chaque année un état de prévoyance, divisé en deux chapitres, où les revenus et les dépenses probables étaient marqués à l'avance.

Il modifia la forme et l'assiette des impôts. La taille ou impôt financier était personnelle, c'est-à-dire payée par les roturiers et, en de certaines circonstances, deux ou trois fois dans la même année 2. Il eût voulu la rendre réelle, comme elle l'était dans le midi, comme elle l'est aujourd'hui partout, c'est-à-dire payée par les biens-fonds quels qu'en fussent les détenteurs. Elle s'élevait, en 1661, à 53 millions : il la ramena à 32. Au milieu des troubles de la Fronde, beaucoup de gens s'étaient anoblis de leur propre autorité, ou avaient acheté des titres de noblesse pour quelques écus; c'étaient autant de privilégiés ajoutés aux véritables. Dès 1662, Molière, dans l'Ecole des femmes, se moquait de cette vanité qui coûtait cher

1. Sully et le marquis d'Effiat, sous Richelieu, avaient déjà dressé chaque année le budget des recettes et des dépenses, mais cet usage était vite tombé en désuétude: les finances étaient, au diré de ce même marquis d'Effiat, semblables à la sèche, qui trouble l'eau pour tromper ceux qui l'épient. (Dareste, Histoire de l'administration en France, t. I, p. 268.)

2. Le journalier qui manquait de travail dans une paroisse ne pouvait la quitter qu'à la condition de payer la taille pendant deux ans dans les deux paroisses, pendant trois ans s'il s'établissait dans une autre élection. Forbonnais, 1, 316.

au peuple. Une ordonnance royale révoqua toutes les lettres de noblesse accordées depuis trente ans : Gros-Pierre fut obligé de présenter ses titres, qu'il n'avait pas; et près de 40 000 familles, parmi les plus riches des paroisses, furent de nouveau imposées, ce qui déchargea d'autant leurs voi

sins.

A la taille le contrôleur général préférait avec raison les aides ou impôts indirects, auxquels tous contribuaient. Il diminua le prix du sel, denrée de première nécessité pour le pauvre, mais il augmenta ou créa des taxes sur le café, le tabac, le vin, les cartes, la loterie, etc., et de 1 500 000 francs, les porta à 21 millions. Ainsi les impôts indirects, dont quelques-uns ont été si vivement attaqués de nos jours, naquirent d'une pensée de justice et d'égalité.

Il n'aimait pas les emprunts, non qu'il ne comprît l'avantage d'emprunter à bas prix pour rembourser des créances onéreuses, mais il redoutait de donner à Louis XIV cette facilité de grever l'avenir au profit du présent. Au sortir du conseil où le premier emprunt fut décidé en 1672, il reprocha amèrement à Lamoignon d'avoir approuvé cette mesure. « Connaissez-vous comme moi l'homme auquel nous avons affaire, sa passion pour la représentation, pour les grandes entreprises, pout tout genre de dépenses? Voilà donc la carrière ouverte aux emprunts, par conséquent à des dépenses et à des impôts illimités! Vous en répondrez à la nation et à la postérité. » Un temps viendra, en effet, quand Colbert n'y sera plus, où Louis XIV empruntera à 400 pour 100. Du moins le grand ministre essaya de défendre le trésor contre les exigences des financiers en invitant les petits capitalistes à verser directement les fonds, sans entremetteurs dispendieux, dans une caisse d'emprunt qu'il établit à cet effet et où l'argent afflua.

C'est ce que nous recommençons à faire.

Voici le résumé de l'administration financière de Colbert. En 1661, sur 84 millions d'impôts, le trésor avait à payer 52 millions pour rentes et gages; il ne lui restait que 32 millions, et il en dépensait 60. Déficit 28 millions. En 1683, an

1. Chrysalde disait à Arnolphe, qui lui même s'était fait appeler M. de la Souche:

Je sais un paysan qu'on appelait Gros-Pierre,

Qui, n'ayant pour tout bien qu'un seul quartier de terre,

Y fit tout à l'entour faire un fossé bourbeux,

Et de Monsieur de l'Isle en prit le nom pompeux.

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