Page images
PDF
EPUB

née de la mort de Colbert, les impôts rendaient 112 millions, malgré une réduction de 22 millions sur les tailles; les gages et rentes n'en prenaient plus que 23; le revenu net du trésor était de 89 millions. Ainsi d'une part, Colbert avait augmenté les recettes de 28 millions, diminué les rentes et gages de 29, ce qui constituait à l'État un bénéfice net annuel de 57 millions; et d'autre part, il avait dégrevé les roturiers de 22 millions, en diminuant d'autant la taille. Il n'y a rien à ajouter à de pareils chiffres.

Agriculture. Sully avait sacrifié l'industrie à l'agriculture; Colbert ne sacrifia pas l'agriculture à l'industrie, comme on l'a dit souvent. Il allégea les impositions qui pesaient sur elle; il exempta de la taille les familles trop nombreuses; il interdit de nouveau la saisie des instruments de labour et des bestiaux en recouvrement des taxes dues à l'État; il établit, ou plutôt il rétablit les haras, où l'on croisa nos chevaux avec ceux d'Afrique et de Danemark; il fit venir des bestiaux de l'Allemagne et de la Suisse pour améliorer les nôtres, des béliers d'Angleterre pour régénérer notre race ovine. Il accorda des primes d'encouragement aux meilleurs éleveurs; il ordonna le desséchement des marais; enfin il publia un Code des eaux et forêts (1669), qui est encore, pour la très-grande partie, en vigueur. Mais il commit la faute de respecter le préjugé populaire, qui voyait dans la liberté du commerce des grains une cause de disette, tandis que le meilleur moyen de l'éviter c'est de laisser les blés, comme le voudront, cent ans plus tard, Turgot et la Constituante, se répandre librement sur toute la surface du territoire. Colbert réussit à tenir le blé à bas prix pour l'ouvrier des manufactures et pour le soldat; mais le cultivateur, n'y trouvant plus son compte, cessa sur bien des points de cultiver. Les friches s'étendirent; les disettes se multiplièrent dès le mois de mai 1675, le gouverneur du Dauphiné lui écrivait que les habitants des campagnes n'avaient vécu tout l'hiver que de pain de glands et de racines, et qu'on les avait vus manger l'herbe des prés et l'écorce des arbres.

:

Industrie. — L'industrie, née sous François Ier et Henri IV, était restée dans l'enfance: nous tirions presque tout de l'étranger. L'Italie nous fournissait ses broderies, ses glaces et son orfévrerie; l'Allemagne, sa belle faïence et ses cristaux de Bohême; la Flandre, ses dentelles et ses tapisseries; la Hollande, ses draps et ses toiles; l'Angleterre, ses étoffes de

laine et ses aciers. Colbert, sorti de la boutique d'un marchand de Reims, à l'enseigne du Long-Vétu, voulut que la France pût se suffire à elle-même; et, pour donner le temps à notre industrie de grandir, il la mit à l'abri d'une protection salutaire. Il ne créa pas, mais il organisa le système protecteur, qui nuit à une industrie développée, qui est indispensable à une industrie naissante. S'il frappa de droits considérables, à leur entrée dans le royaume, les produits similaires de l'étranger (tarif de 1667), ce n'était, à ses yeux, qu'une mesure temporaire, bonne pour mettre le royaume en état de n'avoir plus à demander aux étrangers les choses de nécessité. Il disait lui-même au roi qu'il fallait réduire les droits à l'exportation de nos produits et à l'importation des matières premières.

Grâce aux dépenses que Colbert n'épargna pas pour acheter ou surprendre les secrets industriels des nations voisines', et pour attirer en France les ouvriers les plus habiles, le nombre de nos manufactures s'accrut rapidement. Il les soutint par des subventions distribuées avec intelligence, avançant une certaine somme par chaque métier battant, outre des gratifications considérables aux maitres et aux ouvriers. Il obtint de l'Église la suppression de 17 fêtes qui multipliaient les chômages onéreux. Afin d'augmenter le nombre des travailleurs, il voulait, comme Richelieu, réduire celui des moines et retarder jusqu'à vingt-cinq ans l'âge où il serait permis de faire des vœux de religion. Enfin il institua des conseils de prud'hommes pour faire régner la paix dans ce monde du travail.

En 1669, on compta dans le royaume pour la laine seule. ment, 42200 métiers et plus de 60 000 ouvriers. Les draperies de Sedan, de Louviers, d'Abbeville et d'Elbeuf n'eurent plus de rivales en Europe; le fer-blanc, l'acier, la faïence, les cuirs maroquinés, qu'on avait toujours fait venir de loin, furent travaillés en France; on imita, en les égalant, les toiles et les serges de Hollande, le point et le velours de Gênes : les tapis de Perse et de Turquie furent dépassés à la Savonnerie, à Aubusson et à Beauvais; les riches étoffes où la soie se mêle avec l'or et l'argent, se fabriquèrent à Tours et à Lyon; on fit à Tour-la-Ville (près de Cherbourg) et à Paris de plus

1. Ainsi le métier à bas, inventé, puis perdu par la France, fut repris aux Anglais et multiplié par les soins de Colbert.

belles glaces qu'à Venise; les tapisseries de Flandre le cédèrent à celles des Gobelins. Cette fameuse manufacture employa, à partir de 1662, plus de 800 ouvriers, et les meilleurs peintres dirigeaient l'ouvrage en donnant leurs propres dessins, ou en faisant travailler sur ceux des anciens maitres d'Italie. Lebrun y régna 28 ans ; après lui, Mignard. Ce fut une admirable chose que cet essor imprévu de l'industrie française; et Boileau, qui ne croyait faire que de la poésie, faisait de l'histoire, quand il rappelait dans son épître au roi (1699):

Nos artisans grossiers rendus industrieux,

Et nos voisins frustrés de ces tribus serviles
Que payait à leur art le luxe de nos villes.

Il est à remarquer que Colbert imprima à l'industrie française le cachet qu'elle a depuis toujours gardé. Il ne s'inquiéta pas seulement de lui faire produire beaucoup. il voulut qu'elle produisit bien. Et il semble qu'il ait compris quelle place la France pourrait se faire dans l'univers industriel, en appliquant une vive intelligence et un goût délicat au travail des matières premières. C'est dans cette pensée que la manufacture des Gobelins fut organisée pour être une grande écolemodèle, où l'art et l'industrie se donneraient toujours la main, où, par l'un, on aurait la beauté et la grâce, par l'autre, l'utilité.

Un contemporain, un Anglais, le chevalier Temple, était déjà frappé de ce double caractère de notre production. « La richesse de ce pays, dit il dans ses curieux Mémoires, qui est la cause de sa puissance, résulte de la consommation prodigieuse faite par les pays qui l'environnent, des produits si nombreux et si riches de son sol et de son climat ou du travail ingénieux de ses habitants. Au moyen de leurs vins, de leur sel de leurs modes d'habillement et d'équipages, les Français font venir de grosses sommes dans ce fertile et noble royaume, le plus favorisé par la nature de tous ceux qui sout au monde. »

-

Commerce intérieur; travaux publics. Pour faciliter les relations entre les villes et les provinces, Colbert n'eût voulu qu'une ligne de douanes, à la frontière, et il en avait autour de chaque province. S'il ne put détruire les nombreux péages établis sur les chemins et les rivières, il les réduisit du moins, et il supprima dans douze provinces ies douanes intérieures. Il encouragea, en diminuant le tarif des

droits à payer (1664), l'exportation des vins et eaux-de-vie; il déclara Dunkerque, Bayonne et Marseille ports francs, et accorda à la dernière de ces villes, en 1670, une chambre d'assurances; il institua dans nos ports des entrepôts, où, en cas de réexportation, les droits acquittés étaient rendus; il favorisa le transit par la France des marchandises étrangères, qui obtinrent le passage en franchise à travers toutes les pro

[graphic][merged small][ocr errors][merged small]

vinces; il fit réparer les grandes routes devenues impraticables, et en construisit de nouvelles'. Enfin il projeta le canal de Bourgogne, fit décréter celui d'Orléans, qu'on ouvrit en 1692, et creusa, malgré l'opposition des États du Languedoc, celui des Deux-Mers, qui joignit la Méditerranée à l'Océan 2.

1. Colbert laissa malheureusement beaucoup à faire sous ce rapport. On voit dans les Memoires de l'intendant de la généralité de Montauban en 1697, que les habitants du haut Quercy, du haut Rouergue et d'une grande partie des Pyrénées étaient obliges de faire des provisions de vivres pour cinq ou six mois de l'année, pendant lesquels les mauvais chemins leur fermaient toute communication avec le plat pays.

2. Ce canal est alimenté au point de partage par les eaux de la Montagne Noire, qui sont réunies dans l'immense bassin de Saint-Ferréol; il a 1558 mètres de longueur, 800 de largeur et 32 de profondeur. Quand les eaux

Le port de Cette fut construit à l'une de ses extrémités (1666); Toulouse était à l'autre, et, de Toulouse, la Garonne menait facilement à Bordeaux et à l'Océan. Ce travail, gigantesque pour l'époque, fut commencé en 1664 et continué sans interruption jusqu'en 1681. Il fut exécuté par le célèbre Riquet, d'une ancienne famille de Florence, sur les dessins d'un ingénieur français, Andréossy: il coûta environ 34 millions et employa, chaque année, dix à douze mille ouvriers. Le commerce, ainsi secondé, prit un développement rapide. Pour régler cette activité nouvelle et l'éclairer, Colbert rétablit, en 1665, le conseil de commerce institué par Henri IV. Louis XIV le présida régulièrement tous les quinze jours. Des conseils semblables, établis dans les provinces, durent « s'assembler tous les ans, au 20 juin, pour examiner l'état du commerce et des manufactures, » et choisir des députés qui présenteraient leurs vœux au ministre. Une ordonnance de 1671, qui ne fut malheureusement pas exécutée, prescrivit de rendre uniformes les poids et mesures dans tous les ports; et ils le devinrent du moins dans nos arsenaux.

« Les étrangers,

Commerce maritime et colonies. dit un édit de 1664, s'étaient rendus maîtres de tout le commerce par mer, même de celui qui se fait de port en port au dedans du royaume.» Chaque année, 4000 bâtiments hollandais débarquaient sur nos côtes les produits de leur industrie, particulièrement leurs draps, avec les denrées des deux mondes, et enlevaient nos soieries, nos vins et nos eaux-devie. Colbert voulut relever la France de cette infériorité. Il écrivait, le 21 mars 1669, à Arnault de Pomponne, ambassadeur de la Haye Le commerce par mer se fait en Europe par 25 000 vaisseaux environ; dans l'ordre naturel chaque nation doit en posséder sa part suivant sa puissance, sa population et l'étendue de ses côtes; mais les Hollandais en ayant 15 à 16 000, et les Français 500 à 600 au plus, le roi emploiera toutes sortes de moyens pour s'approcher un peu plus du nombre de vaisseaux que ses sujets doivent avoir. » Déjà, en 1669, le surintendant Fouquet avait établi un droit d'ancrage de 50 sous environ (6 fr.) par tonneau sur les navires étrangers, payable à l'entrée et à la sortie de nos ports. Colbert conserva ce droit, qui fut presque pour notre marine ce que le

s'élèvent plus haut, elles se déversent dans le vallon de Laudot, en formant à travers les arbres et les rochers une magnifique cascade. Il faut 60 jours pour remplir ce bassin, 8 pour le vider.

« PreviousContinue »