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fameux Acte de navigation a été pour la marine anglaise. Il accorda aux navires nationaux des primes pour l'exportation et l'importation; et il encouragea les constructeurs des bâtiments pour la grande navigation par une autre prime de 4 à 6 livres par tonneau; de sorte que notre marine marchande à la fois protégée et stimulée prit l'essor.

Mais les Anglais et les Hollandais avaient encore sur nous l'avantage d'une plus longue expérience, de débouchés assurés, de marchés qu'ils fréquentaient depuis un siècle, de capitaux immenses qui leur permettaient d'oser et de risquer davantage. Colbert, pour lutter avec eux, substitua des associations privilégiées aux efforts isolés des individus. Il établit cinq grandes compagnies sur le modèle des sociétés hollandaises et anglaises celles des Indes orientales et des Indes occidentales en 1664; celles du Nord et du Levant en 1666; celle du Sénégal en 1673. Il leur accorda le monopole exclusif du commerce dans ces parages éloignés, avec des primes, leur fit des avances considérables (6 millions pour la seule compagnie des Indes orientales) et obligea les princes du sang, les seigneurs, les riches, à s'y intéresser; enfin il fit déclarer par un édit, en 1669, que le commerce de mer ne dérogeait pas à la noblesse 1. En même temps, nos consuls, nos ambassadeurs, recevaient l'ordre, fréquemment renouvelé, de donner la plus énergique protection à notre commerce, et de lui fournir tous les renseignements qui pourraient lui être utiles.

Il voulut rendre la vie à notre système colonial, fort négligé depuis Richelieu. Nous ne possédions que le Canada avec l'Acadie, Cayenne, l'île de Bourbon, quelques comptoirs à Madagascar et aux Indes. Colbert racheta, pour moins d'un million, la Martinique, la Guadeloupe, Sainte-Lucie, Grenade et les Grenadilles, Marie-Galande, Saint-Martin, Saint-Christophe, Saint-Barthélemy, Sainte-Croix et la Tortue dans les Petites-Antilles (1664); il plaça sous la protection de la France les flibustiers français de Saint-Domingue, qui s'étaient emparés de la partie occidentale de l'île (1664); il envoya de nouveaux colons à Cayenne (1677) et au Canada (1665); il prit

1. Il avait assuré une prime de 40 fr. par tonneau sur les marchandises exportées de France pour les colonies ou des colonies pour la France. Néanmoins, ces compagnies tombèrent après la mort de Colbert. Le monopole ne put les faire vivre. Colbert reconnut lui-même cette vérité en ouvrant, mais plus tard, en 1681, le commerce de l'Amérique aux particuliers.

Terre-Neuve pour dominer l'entrée du Saint-Laurent (1680), et commença l'occupation de la magnifique vallée du Mississipi, ou Louisiane, qui venait d'être explorée par un hardi capitaine, Robert de la Salle (1680). En Afrique, il enleva Gorée aux Hollandais, dans le Sénégal (1665), et prit possession des côtes orientales de Madagascar. En Asie, la compagnie des Indes s'établit à Surate, à Chandernagor, et plus tard à Pondichéry. Enfin, pour réserver au pavillon national tout le commerce de nos colonies, Colbert ferma leurs ports aux vaisseaux étrangers, et pour y développer les cultures, il prohiba, en 1669, l'importation en France des tabacs et des sucres du Brésil, mesure malheureuse qui eut pour effet de nous aliéner le Portugal et de le jeter dans les bras de l'Angleterre.

Marine militaire. La marine marchande est l'école et la pépinière de la marine militaire : la première étant devenue florissante, la seconde devint redoutable. Colbert fit d'abord réparer le peu de vaisseaux que Mazarin av·it laissés dans nos ports; il en acheta en Suède et en Hollande, attira des constructeurs et des cordiers de Hambourg, de Riga et de Dantzig, établit des chantiers à Dunkerque, au Havre, et à Rochefort, qui fut bâti sur la Charente, au centre du golfe de Gascogne. Henri IV avait trouvé Toulon et Richelieu Brest; mais ils avaient montré ce qu'on pouvait y faire plutôt qu'ils n'y avaient fait de grands ports. Duquesne resta sept ans à Brest, à partir de 1665; et quand le fils de Colbert, Seignelay, y vint en 1672, il vit une flotte de 50 vaisseaux de ligne. Vauban l'entoura de formidables défenses. Il exécuta aussi, après la paix de Nimègue, d'immenses travaux à Toulon, qui firent de cette ville ce que la nature voulait qu'elle fût, un des plus beaux ports du monde. La nouvelle darse qu'il creusa pouvait à elle seule contenir 100 vaisseaux de ligne.

Pour recruter la flotte, Colbert créa l'inscription maritime, ou le système des classes, que nous gardons encore et qui assujettit la population maritime de nos côtes, en retour de cer

1. Ni le Havre, ni Dunkerque ne pouvaient recevoir de vaisseaux de haut bord, la France n'avait d'autre port militaire sur l'Océan que Brest; on chercha à en créer un autre à Brouage, à Tonnay-Charente, ou à l'embouchure de la Seudre. Colbert se décida en 1664 pour Rochefort, sur la Charente, à 12 kilomètres de la mer, derrière un golfe que des îles abritent. Les travaux commencèrent en 1666, et en peu de temps une ville, un arsenal sortirent des marais.

tains avantages, à fournir les recrues nécessaires aux équi pages de nos vaisseaux, et la distribue, d'après l'âge et la position de famille, en diverses classes qui sont successivement appelées, suivant les besoins du service. Cette institution fut complétée par la fondation de la caisse des invalides de la marine, qui assura une pension de retraite au marin pour ses vieux jours. Le premier recensement, celui de 1660, fit connaître 36000 inscriptions de matelots, mais en 1683 on en compta 77852. Les armements purent alors se multiplier. En 1661, la flotte de guerre ne se composait que de 30 bâtiments; en 1678, elle en avait 120, et cinq ans plus tard, 176. En 1692, le roi avait 131 vaisseaux. 133 frégates et 101 autres bâtiments. Des intendants, l'un à Rochefort pour l'Océan, l'autre à Toulon, pour la Méditerranée, veil èrent à la conservation de cet immense matériel. L'administration fut séparée du commandement militaire, et chacune des deux choses en alla mieux. Le corps des gardes-marines; composé de mille gentilshommes, fut institué en 1672, pour préparer de bons officiers, une école de canonniers, pour former d'habiles pointeurs, une école d'hydrographie pour donner aux navires des cartes exactes, un conseil supérieur de la marine et un conseil des constructions navales pour éclairer le ministre.

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Beaux-arts. Colbert avait réformé les finances, le commerce et la navigation en les enveloppant, il est vrai, d'une réglementation minutieuse qui substitua trop souvent l'initiative du gouvernement à celle des individus; il voulut aussi enrégimenter la pensée, comme les intérêts, et mettre dans la main du roi la vie morale de la France, comme il y avait mis la vie matérielle, Richelieu la vie politique. Grand admirateur du cardinal, il reprit son dessein de constituer un gouvernement de la littérature. Il créa, en 1663, l'Académie des inscriptions et belles-lettres; en 1666, celle des sciences, qui donna aux recherches des savants ce qui leur avait jusqu'alors manqué, un centre et un foyer. L'Académie de musique fut organisée la même année; celle d'architecture en 1671. Une école des beaux-arts, établie à Rome (1667), reçut les élèves qui avaient remporté des prix à l'Académie de peinture à Paris, et qui durent copier sur la toile ou en marbre les chefs-d'œuvre de l'antiquité. Le cabinet des médailles, l'école des jeunes de langue, pour l'étude des langues orientales, furent fondées; la Bibliothèque royale

augmentée de plus de 10000 volumes et d'un grand nombre de manuscrits précieux; la bibliothèque Mazarine ouverte au public; le Jardin des plantes agrandi, la création d'académies de provinces encouragée.

Ces belles fondations étaient pleines d'espérances pour l'avenir; pour le présent, les artistes, les gens de lettres y trouvaient déjà des récompenses : l'honneur d'être comptés dans ces compagnies et le profit que rapportaient les jetons de présence. Louis leur accorda individuellement des avantages plus considérables. Corneille, Racine, Boileau, Molière, Quinault, Lulli, vingt autres reçurent des pensions; les étrangers mêmes eurent part à ses libéralités. « Quoique le roi ne soit pas votre souverain, leur écrivait Colbert, il veut être votre bienfaiteur; il m'a commandé de vous envoyer la lettre de change ci jointe, comme un gage de son estime. >> Parmi eux, on distingua le bibliothécaire du Vatican, Allacci; le comte Graziani, secrétaire d'État du duc de Modène; Vossius, historiographe des Provinces-Unies, le Danois Roëmer, le Hollandais Huygens, que Colbert appela à Paris, où il resta quinze ans, etc. Viviani, célèbre mathématicien de Florence, fit bâtir une maison, avec cette inscription en lettres d'or : Edes a Deo data'. Aussi l'admiration pour Louis passait nos frontières; on prononça douze panégyriques en son honneur dans diverses villes d'Italie. Il faut dire cependant que cette admiration n'était point payée bien cher, et que le budget de la littérature ne fut jamais très-lourd. Dans l'année où les pensions atteignirent le chiffre le plus élevé, la dépense totale ne dépassait pas 100000 livres, savoir, 53000 pour les nationaux, 16000 pour les étrangers, et le reste en gratifications. En moyenne, c'était 75 000 francs par an.

Louvois; réforme de l'armée. Colbert avait organisé la paix; Louvois, « le plus grand et le plus brutal des commis,» organisa la guerre. François-Michel le Tellier, marquis de Louvois, né en 1641, était entré dès l'âge de quinze ans dans les bureaux de son père, secrétaire d'État; et il avait été initié par un long apprentissage à la science de l'administration militaire, où il porta une activité égale à

1. C'était une allusion au surnom de Dieu-Donné, par lequel on avait désigné Louis XIV à sa naissance. Nous reviendrons, au chapitre LIV, sur les

lettres et les arts, dont nous ne parlons ici, en quelque sorte, qu'au point de vue administratif. Les pensions aux savants étrangers furent supprimées avant 1680. (Clément, Histoire de Colbert, p. 238.)

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