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sur la défense. Vauban avançait lentement mais sûrement, marchant à couvert par des lignes toujours bien liées entre elles et qui se soutenaient les unes les autres, ne brusquant pas les attaques quand il pouvait s'en dispenser, ménageant le soldat qu'avant lui on prodiguait, et arrivant au but incomparablement plus vite et avec moins de danger, parce qu'il attaquait d'abord le feu de l'ennemi, et qu'il ne laissait pas sur les remparts un seul point qui fût habitable, ni une seule pièce d'artillerie qui pût tirer. Il n'y eut plus de forteresse imprenable et il fut aisé de calculer d'avance le jour où toute ville bien assiégée serait prise'. C'est encore à lui qu'on doit l'invention de la douille qui permit aux fantassins de tirer, tout en gardant la baïonnette au bout du fusil.

Vauban, qui fit tant de fois le tour de nos frontières de terre et de mer, regardait aux places fortes, mais aussi aux places de commerce; il multipliait les plans militaires, mais aussi ceux qui devaient servir à l'agriculture et aux travaux de la paix. Il indiquait les bassins, les canaux à creuser, les jetées, les écluses à établir; il montrait les moyens d'améliorer la navigation des fleuves et des rivières. Colbert luimême n'eut pas à un plus haut degré que ce grand citoyen, pour qui Saint-Simon a inventé le mot de patriote, l'amour du bien public. Ce qu'il a fait n'est rien à côté de ce qu'il voulait faire, et ses Mémoires manuscrits sont encore aujour d'hui, après un siècle et demi d'études et de travaux, remplis d'utiles renseignements.

Dans un mé

Séguier, grands travaux législatifs. moire remis au roi le 15 août 1665, Colbert avait proposé de refondre toute la législation de manière qu'il n'y eût en France qu'une même loi, un même poids, une même mesure; il demandait, en outre, la gratuité de la justice, l'abolition de la vénalité des charges dont le prix était évalué à 420 millions; la diminution du nombre des moines, et des encouragements pour les professions utiles. Une commission fut nommée. Elle était composée de conseillers d'État et de maîtres des requêtes, Pontchartrain, Chamillard, Voisin, d'Aligre, Boucherat, et l'oncle de Colbert, Pussort, « ce fagot d'épines toujours à la tête des plus grandes affaires du royaume. » Le travail terminé, ils le discutaient avec les membres

1. Carnot, De la défense des places fortes, p. 12, in-4o, 3o edit. Vauban fixait ce moment après 30 jours de tranchée ouverte, Cormontaigne à 20 jours pour les petites places, à 40 pour les grandes.

éminents du parlement, en présence des ministres et sous la présidence du chancelier, quelquefois sous celle du roi. Six codes sont sortis de ces délibérations: en 1667, l'ordonnance civile, ou Code Louis, qui abolit quelques procédures iniques de cette justice du moyen âge, « vrai témoignage de l'humaine imbécillité « (Montaigne), en abrégea les lenteurs et régla la forme de registres de l'état civil, dont le dépôt au greffe de chaque tribunal fut ordonné'; en 1669, celle des eaux et forêts qui subsiste dans ses principales dispositions; en 1670, l'Ordonnance d'instruction criminelle que les parlements n'acceptèrent qu'après maintes lettres de cachet et d'exil elle restreignit l'application de la torture et divers cas d'emprisonnement provisoire, fixa la compétence, afin que nul ne fût distrait de ses juges naturels, dicta des règles identiques pour tous les tribunaux, ce qui prépara l'unité du fond par l'unité de la forme, mais ne permit encore ni conseil, ni défenseur à l'accusé dans les causes capitales, conserva l'atrocité des peines antérieures, la roue, l'écartèlement, et mesura toujours mal la peine au délit; en 1673, l'ordonnance du commerce, un vrai titre de gloire pour Colbert; en 1681, celle de la marine et des colonies, qui a formé le droit commun des nations de l'Europe, et leur sert aujourd'hui de droit maritime; en 1685, le Code noir, qui régla le sort des nègres de nos colonies. Ces ordonnances sont le plus grand travail de codification qui ait été exécuté de Justinien à Napoléon. Quelques-unes de leurs parties sont encore en vigueur l'ordonnance sur la marine compose presque tout le second livre de notre Code de commerce. Pour veiller à la bonne exécution des lois, des maîtres des requêtes furent plusieurs fois envoyés, comme les enquesteurs de saint Louis, dans les provinces, auprès des parlements.

1. François Ier avait institué ces registres en 1539. Ils étaient tenus par les curés des paroisses, mais souvent sans ordre et sans exactitude. L'indication précise du fait de la naissance dans les actes de baptême ne date que de cette ordonnance. Mais les protestants ne faisant point baptiser leurs enfants, la possession d'un état civil régulier resta jusqu'en 1787 le privilége exclusif des seuls catholiques. On comprend la situation déplorable où cette absence d'un état civil légal plaçait les réformés pour les successions, les mariages, etc.

2. Ce code noir était encore bien peu chrétien dans quelques-unes de ses dispositions: « Si le mari est libre et la femme en esclavage, les enfants sont esclaves (art. 11). Si l'esclave s'enfuit, pour la première fois, on lui coupe les oreilles, et il ́a l'épaule marquée d'une fleur de lis; pour la seconde, un jarret coupé et l'autre épaule marquée; pour la troisième, la mort (art. 38).» Sur ce grand travail de réformation législative, voyez le journal d'Olivier d'Ormesson.

nastie, celle des Stuarts (1660), qui, en opposition avec le sentiment national, devait, pendant un quart de siècle, neutraliser leur influence et arrêter leur fortune. Enfin, si la Hollande était riche, puissante par sa marine, elle était sans territoire et, par conséquent, sans force durable. Louis XIV, en regardant l'Europe, quand il se mit à gouverner lui-même, n'y vit donc rien, roi ou peuple, qui pût marcher son égal ou celui de la France; et les premiers actes de sa politique étrangère révélèrent un désir de grandeur, un sentiment de sa dignité, pour tout dire, une hauteur qui étonnèrent, mais que le succès justifia.

Premiers actes de la politique étrangère de Louis XIV. - Son ambassadeur à Londres, le comte d'Estrades. fut insulté par les gens de l'ambassadeur espagnol, le baron de Vatteville, dans une cérémonie publique, pour une question de préséance. A cette nouvelle, le roi rappelle l'envoyé qu'il avait à Madrid, renvoie celui d'Espagne, et menace son beaupère de la guerre, si on ne lui accorde une réparation éclatante. Philippe IV cède (1662), et le comte de Fuentès déclare en son nom, à Fontainebleau, en présence de la cour et des ambassadeurs étrangers, « que les ministres espagnols ne concourront plus désormais avec ceux de la France.

A Rome, l'ambassadeur français, le duc de Créqui, avait offensé le peuple par ses dédains : les sbires pontificaux tirèrent un jour sur le carrosse de l'ambassadrice et sur les fenêtres de son palais. Louis XIV exigea satisfaction. Comme le pape temporisait, il fit saisir Avignon, et parlait d'envoyer une armée en Italie. Alexandre VII s'humilia il éleva, au milieu de Rome, une pyramide qui devait rappeler l'injure et la réparation; et son neveu, le cardinal Chigi, vint présenter des excuses à un jeune prince qui n'avait pas encore tiré l'épée (1664).

Le Portugal défendait péniblement son indépendance contre les Espagnols; 4000 vieux soldats et le maréchal de Schomberg affermirent par la victoire de Villaviciosa la maison de Bragance sur le trône (1665).

Les Barbaresques infestaient la Méditerranée : le roi se fait le protecteur de toutes les nations assises au bord de cette mer ou qui y naviguent. Son amiral, le duc de Beaufort, l'ancien roi des halles, donne la chasse aux pirates avec quinze vaisseaux, porte l'incendie dans leurs repaires d'Alger et de Tunis, et force ces barbares à respecter le nom de la France

et le commerce des chrétiens (1665). Un beau dévouement honora cette guerre. Le dey d'Alger avait parmi ses captifs un officier malouin nommé Porcon de la Barbinais; il l'envoya porter au roi des propositions de paix, en lui faisant jurer de revenir, s'il échouait; les têtes de 600 chrétiens répondaient de sa parole. Les propositions étaient inacceptables. Porcon le savait; il va à Saint-Malo, met ordre à ses affaires, puis revient à Alger, certain du sort qui l'attendait : le dey lui fit trancher la tête. Cet homme vaut Régulus et personne ne le

connaît.

Le roi venait d'essayer sa marine naissante dans les eaux de la Méditerranée : il acheta pour elle un port important sur la mer du Nord. Le nouveau roi d'Angleterre, Charles II, toujours à court d'argent, lui vendit Dunkerque pour 5 millions, (1662): aussitôt on y creusa des bassins; on entoura la ville de fortifications redoutables, et Dunkerque devint un objet de regret, d'envie et de terreur pour les Anglais. A la même époque il conclut une alliance avec les États généraux pour les lier d'avance à sa politique contre l'Espagne. La guerre ayant éclaté, en 1665, entre ceux-ci et les Anglais, Louis se joignit aux premiers, mais se garda bien d'engager à fond sa flotte; il ne voulait que lui montrer de près l'habileté des meilleurs marins du monde et lui fournir un champ de manœuvre sérieux quoique sans péril. Au traité de Bréda, il rendit Saint-Christophe, Antigoa et Monserrat aux Anglais qui lui restituèrent l'Acadie, région couverte d'immenses forêts et bordée d'excellents ports que les glaces ne ferment jamais, tandis qu'elles interceptent six mois chaque année ceux du Canada (31 juillet 1667).

En 1664, les Turcs menaçaient Vienne; 6000 hommes que Louis envoya à l'Empereur eurent leur bonne part à la victoire de Saint-Gothard qui sauva l'Autriche. Il aida de même les Vénitiens à défendre Candie. De 1665 à 1669, plus de 50 000 Français, en différentes fois, y passèrent. Leur dernier chef, le duc de Beaufort, y périt. Cette assistance prêtée aux ennemis des Ottomans semblait glorieuse, mais était une déviation de la politique séculaire de la France. Louis, qui s'expose ainsi à une rupture avec le vieil allié de François Ier et de Henri IV, renoncera bientôt à l'autre partie de leur politique, à l'alliance des protestants. Il reprendra le rôle de CharlesQuint et de Philippe II, celui de chef armé du catholicisme et de monarque absolu; il prétendra, comme eux, à la pré

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