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déjà ouvert les portes de Strasbourg. Il avait été élu par la majorité du chapitre, quinze voix contre neuf obtenues par son concurrent, Clément de Bavière. Innocent XI donna néanmoins à celui-ci l'investiture. Louis XIV protesta à main armée contre cette nomination et fit occuper par ses troupes Bonn, Neuss et Kayserwerth (octobre 1688). En même temps il réclamait une partie du Palatinat au nom de sa belle-sœur, seconde femme du duc d'Orléans.

Ligue d'Augsbourg (1686). Ces conquêtes faites en pleine paix, ces violences, cet orgueil, réveillèrent les craintes de l'Europe. On accusa la France d'avoir renversé la domination autrichienne pour mettre la sienne à la place et peser comme elle sur le continent. Dès 1681, l'empire, l'empereur Léopold, l'Espagne, la Hollande, et même la Suède, conclurert, par les soins de Guillaume d'Orange, une alliance secrète pour le maintien de la paix de Nimègue. Personne n'osa porter le premier coup, et la diète de Ratisbonne (août 1684) stipula une trêve de vingt ans qui laissa au roi Luxembourg, Landau, Strasbourg, Kelh et les autres villes réunies avant le 1er août 1681. Son ambition ne s'arrêtant pas, ils se rapprochérent davantage et signèrent la ligue d'Augsbourg (9 juillet 1686); la Savoie y accéda l'année suivante, l'Angleterre en 1689.

État intérieur de la France; mort de Colbert (1683). Quelle était, dans ce moment critique, la situation de la France? une sorte de fatigue commençait à se faire sentir dans cette société, si brillante encore et si prospère en apparence. Les dépenses excessives de la guerre précédente, le maintien coûteux d'une armée de 150 000 hommes en temps de paix, les constructions fastueuses, comme celles de Versailles, de Trianon, de Marly, du Louvre et des Tuileries, ou utiles comme celles des ports, des places fortes, de l'hôtel des Invalides, avaient détruit l'équilibre des finances, forcé d'accroître les impôts, porté un premier coup à l'agriculture et au commerce. Les épouvantables misères de 1662 reparaissaient. L'année qui suivit la paix, Colbert disait au roi que toutes les lettres venues des provinces parlaient des très-grandes souffrances du peuple. Mais Louis XIV faisait volontiers la théorie de sa pratique et aimait à ériger ses habitudes en principes du gouvernement. Pour justifier les impôts illimités, il se fera bientôt donner, par la Sorbonne, une consultation doctrinale qui le déclarera maître

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absol de la vie, des biens de ses sujets pour mettre sa conscience en repos, au sujet de ses monstrueuses prodigalités, il répondait à Mme de Maintenon, qui lui demandait de l'argent au nom des pauvres : « Un roi fait l'aumône en dépensant beaucoup. » Mot précieux et terrible, dit Say, qui montre comment la ruine peut être réduite en principe.

Colbert était donc fort mal venu à prêcher l'économie. Des mouvements populaires, signes du malaise des peuples, qui eurent lieu en plusieurs provinces, ne servirent pas d'avertissement. On les réprima avec cruauté, et on continua à élargir le gouffre du déficit. Colbert s'épuisa à trouver des ressources pour le combler: il fut obligé, lui aussi, de vendre des charges, de créer des rentes à un taux onéreux, d'augmenter la taille. Il gémissait de ramener les finances à l'état d'où il les avait tirées et de voir depuis la concession faite aux Hollandais, à la paix de Nimègue, la concurrence étrangère écraser de nouveau le commerce maritime et l'industrie nationale. Il succomba à la peine. Il mourut en 1683, à soixante-quatre ans, usé par l'excès du travail, et tué peutêtre par d'injustes reproches du roi. « Si j'avais fait pour Dieu ce que j'ai fait pour cet homme, disait-il avec amertume, je serais sauvé dix fois, et je ne sais ce que je vais devenir. » Il refusa de lire une dernière lettre que le roi lui adressait. Comme plusieurs de nos grands ministres, Colbert était impopulaire. Le peuple maudissait celui qui rédigeait les édits bursaux, non celui qui les dictait; et en voyant Colbert amasser, au bout de vingt-deux années de charge, dix millions de fortune, on accusait sa probité au lieu de voir son économie. Il fallut enterrer la nuit, à la dérobée, avec une escorte, un des bienfaiteurs de la France, pour que la multitude furieuse n'insultât pas à ses funérailles. Après lui son ministère fut divisé le marquis de Seignelay, son fils, eut la marine; les finances furent confiées à le Pelletier (1683-1689), plus tard au comte de Pontchartrain (16891699) ces deux derniers lui succédèrent sans le remplacer. Dès l'année 1689, la pénurie fut telle que Louis dut envoyer à la Monnaie les chefs-d'œuvre en argent ciselé qui décoraient Versailles.

Révocation de l'édit de Nantes (1685). Il y avait deux ans que Colbert était mort, quand Louis XIV commit la plus grande faute de son règne, la révocation de l'édit de

Nantes. Les protestants n'avaient pas remué durant les troubles de la Fronde. « Le petit troupeau broute de mauvaises herbes, disait Mazarin, mais il ne s'écarte pas; » et il avait, en 1652, fait renouveler solennellement par Louis XIV l'engagement de ne pas attenter à leur liberté de conscience'. Cependant il fut débordé dans les derniers jours de son ministère et il commença contre eux des mesures vexatoires qui, après lui, s'accrurent, mais ne se changèrent qu'au · bout de vingt ans en persécution. Louis les haïssait comme hérétiques et comme suspects d'aimer peu le pouvoir absolu des rois. L'unité religieuse lui semblait aussi nécessaire que l'unité politique. « Dès 1661, dit-il, dans ses Mémoires, je formai le plan de toute ma conduite envers mes sujets de la religion prétendue réformée. Je crus que le meilleur moyen pour les réduire peu à peu était, en premier lieu, de ne les presser par aucune rigueur nouvelle, de faire observer ce qu'ils avaient obtenu de mes prédécesseurs, mais de ne leur rien accorder au delà et d'en renfermer même l'exécution dans les plus étroites bornes que la justice et la bienséance le pouvaient permettre. Quant aux grâces qui dépendaient de moi seul, je résolus de ne leur en faire aucune, pour les obliger par là à considérer de temps en temps, d'eux-mêmes et sans violence, si c'était avec quelque bonne raison qu'ils se privaient volontairement des avantages qui pouvaient leur être communs avec mes autres sujets 2. » Il fut longtemps fidèle à cette politique peu généreuse, mais exempte de violence. Colbert faisait mieux, il protégeait les protestants, comme des sujets utiles et industrieux. Il en employa un grand nombre dans les arts, dans les manufactures, dans la marine. Duquesne, le grand émule de Ruyter, et Van Robais, le grand manufacturier d'Abbeville, étaient protestants3. Il avait même proposé à Louis XIV, en 1662, pour historiographe le réformé Perrot d'Ablancourt.

Après le traité de Nimègue, les diverses influences qui se

1. En 1644, sur neuf ou dix maréchaux, il y avait cinq protestants, la Force, Châtillon, Turenne, Gassion, Rantzau.

2. Cette conduite semble l'exécution de ce qu'avait demandé l'assemblée du clergé dès 1651. Cf. Revue de Paris du 15 août 1856, p. 272, note. Cependant, dès 1565, le roi songeait à révoquer l'édit de Nantes. (Voy. une lettre de Gui Patin à Spon, 3 mars 1665.)

3. Nous avons encore une lettre de Colbert à l'évêque d'Amiens pour faire cesser certaines tracasseries religieuses dont Van Robais s'était plaint (15 octobre 1661).

disputèrent Louis XIV vieillissant firent entrer le gouvernement dans la voie des rigueurs 1. Le roi avait alors de vifs démêlés avec le Saint-Siége au sujet de la régale et avait amené le clergé de France à prendre parti pour lui par la célèbre déclaration de 1682, que Bossuet rédigea. Il ne voulait pourtant pas qu'on doutât de son zèle religieux et pour en fournir une preuve éclatante qui serait en même temps utile à son autorité, il céda aux longues instances de l'Église re

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lativement aux protestants. On leur ôta les garanties que l'édit de Nantes leur assurait, en supprimant les Chambres mi-parties des parlements de Toulouse, de Grenoble, de Bordeaux, et les libertés que Richelieu et Mazarin leur avaient

il

1. Mme de Maintenon écrivait en 1681 » Le roi commence à penser serieusement à son salut et à celui de ses sujets; si Dieu nous le conserve, n'y aura plus qu'une religion dans son royaume. C'est le sentiment de M. de Louvois, et je le crois là-dessus plus volontiers que M. Colbert, qui ne pense qu'à ses finances et presque jamais à la religion.

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laissées; en leur interdisant, successivement, d'être notaires, procureurs, avocats, experts, imprimeurs, libraires, médecins, chirurgiens, même apothicaires, ce qui les obligea, chassés qu'ils étaient des fonctions publiques et des professions libérales, de se jeter dans le commerce et l'industrie, qui furent presque tout entiers dans leurs mains. On défendit aux catholiques, sous peine des galères à vie, d'embrasser le calvi

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nisme et on permit aux enfants des réformés de renoncer à leur religion, dès l'âge de sept ans, âge auquel, disait l'édit, ils sont capables de raison et de choix dans une matière aussi importante que celle de leur salut. » A l'appui de

1. Maintenon est une petite ville du pays Chartrain. Son château a été en partie reconstruit au seizième siècle. Françoise d'Aubigné l'acheta en 1674 moyennant 250 000 livres et en prit le nom. Il appartient encore aux héritiers de la marquise.

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