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Bruxelles et dicter la paix, on se contenta d'assiéger et de prendre Charleroi; il est vrai que là nous tenions l'importante ligne de la Sambre, d'où une armée française domine les Pays-Bas et rend fort dangereuse toute tentative faite par l'ennemi contre la Flandre ou l'Artois.

La victoire de Nerwinden fut le dernier triomphe de Luxembourg, le tapissier de Notre-Dame, comme l'appelait le prince de Conti à cause des nombreux drapeaux dont il avait décoré cette métropole. La campagne suivante ne fut marquée par aucun incident, et il mourut au mois de janvier 1695. Son successeur, le duc de Villeroy, ne sut rien faire de considérable, avec une armée. de plus de 80000 hommes; il n'empêcha même pas le prince d'Orange de reprendre Namur (août 1695). Mais, en Espagne, Vendôme entra dans Barcelone (août 1695) après un siége mémorable et une victoire sur l'armée de secours. L'année 1695 se passa sans événements militaires. Les alliés détruisirent nos magasins réunis à Givet, et les deux armées des Pays-Bas, tout occupées de vivre, ce qui leur était difficile, ne songèrent pas à attaquer.

Sur mer, Tourville avait vengé, en 1693, le désastre de la Hougue par une victoire dans la baie de Lagos, près du cap Saint-Vincent. Les années suivantes, les grands armements furent suspendus, parce que Seignelay était mort; mais des corsaires dont le nom est resté populaire, Jean-Bart, DuguayTrouin, Pointis, Nesmond, désolèrent le commerce des Anglais et des Hollandais, qui, pour se venger, tentèrent des débarquements sur nos côtes et lancèrent des machines infernales contre Saint-Malo, le Havre, Dieppe, Calais, Dunkerque'. Vaines et ruineuses menaces qui n'aboutirent « qu'à casser des vitres avec des guinées. » Dieppe seule en souffrit. En Amérique, le comte de Frontenac défendit bravement le Canada en prenant de tous côtés l'offensive, quoique la province n'eût que onze à douze mille habitants, et que les colonies anglaises en eussent dix fois davantage. La baie d'Hudson et presque toute l'île de Terre-Neuve furent conquises.

1. Les seuls corsaires de Dunkerque vendirent dans cette guerre pour plus de 22 millions de livres de prises faites sur les Anglais et les Hollandais, et dans la suivante pour plus de 30 millions. C'est plus de 100 millions de francs d'aujourd'hui que la ville gagna, mais le double et le triple que l'ennemi perdit.

Traité de Ryswick (1697). Cependant la guerre languissait; tout le monde était épuisé. Une tentative d'assassinat contre Guillaume, qui devait être suivie d'une invasion française, ayant échoué, Louis proposa la paix. Charles II était près de mourir, cette fois pour tout de bon; il ne laissait pas d'enfant, et la succession d'Espagne allait enfin s'ouvrir. Il importait au roi de dissoudre la coalition européenne avant ce grand événement. Il montra une modération inaccoutumée; il détacha d'abord de la ligue le duc de Savoie (1696), lui rendit toutes ses villes, même Pignerol, et lui proposa le mariage de sa fille avec le jeune duc de Bourgogne, fils du grand Dauphin. En échange, le duc devait assurer la neutralité de l'Italie et au besoin joindre ses forces à celles de la France. La défection de Victor-Amédée décida les autres, et la paix fut signée à Ryswick, près de la Haye (octobre 1697). Louis XIV reconnut Guillaume III pour souverain légitime d'Angleterre et d'Irlande. Il rendit ses nouvelles conquêtes, dans les Pays-Bas, dans l'Empire et en Espagne, à l'exception de Strasbourg, de Landau, de Longwy et de Sarrelouis, qu'il avait fait bâtir en 1680 pour défendre la vallée de la Sarre. Il permit aux Hollandais de tenir garnison dans les places les plus importantes de la Flandre, que les Espagnols ne semblaient pas capables de défendre contre lui. Il restitua la Lorraine, que la France occupait militairement depuis soixante années. Le tarif de 1667, si onéreux pour les Hollandais, avait été aboli au traité de Nimègue; le droit de cinquante sous par tonneau le fut en 1667; de sorte qu'après avoir été ruiné par les impôts durant la guerre, le pays l'était par les traités quand venait la paix; c'était le complet abandon de la politique commerciale de Colbert. Ces concessions, dont quelques-unes coûtèrent beaucoup à l'orgueil du grand roi, furent vivement blâmées : mais Louis espérait réparer la perte de quelques villes par l'acquisition d'un empire. En Amérique, le traité lui laissait toute la baie d'Hudson et la moitié de Terre-Neuve.

Avénement d'un prince français au trône d'Espagne1 (1700). Charles II languit encore trois années. A qui allait revenir son immense héritage? Les deux maisons de France et d'Autriche, alliées depuis un siècle par des mariages à celle d'Espagne, y prétendaient l'une et l'autre *. 1. Mignet, Négociations relatives á la succession d'Espagne.

2. Louis XIV et l'empereur Léopold, tous deux fils d'une infante d'Espagne, II - 17

Louis XIV ou Léopold régnant à Madrid, c'était une éventualité alarmante pour les puissances maritimes, la Hollande et l'Angleterre; c'était la destruction de l'équilibre européen. Alors Guillaume III proposa au cabinet de Versailles de partager à l'avance cette succession, qui n'était pas encore ouverte. Il y eut deux traités signés à la Haye. Le premier (1698) assignait la monarchie espagnole à un prince de Bavière, le Milanais à l'archiduc Charles, second fils de l'Empereur, les Deux-Siciles, quelques ports toscans et le Guipuscoa au grand Dauphin, avantages dérisoires ou dangereux. La maison royale y gagnait une couronne, mais la France eût été certainement entraînée, après cette acquisition, à courir encore les aventures au delà des monts. Un second traité, après la mort du prince électoral de Bavière, donna l'Espagne à l'archiduc, et n'augmenta la part de la France que de la Lorraine, province qui, au premier coup de canon, tombait en notre pouvoir (1700). Ce n'était pas une compensation au danger de voir un Autrichien régner à Bruxelles et à Madrid'.

Ces traités, mauvais pour la France, n'eurent heureusement aucune suite. Le roi moribond avait été profondément irrité de ce démembrement de la monarchie, proposé de son vivant et sans le consulter. Pour maintenir l'intégrité de ses États, il lui fallait tout donner à la France ou à l'Autriche. L'Autriche fut mal servie par son ambassadeur à Madrid; la France le fut bien par le marquis d'Harcourt, son ministre auprès de Charles II; et ce prince appela au trône, par son dernier testament, Philippe, duc d'Anjou, deuxième fils du Dauphin; à son défaut ou sur son refus, le duc de Berry, son frère; en dernier lieu, l'archiduc Charles (2 novembre

avaient tous deux aussi épousé une infante. Mais Anne d'Autriche et MarieThérèse, entrées dans la maison de France, étaient les aînées de Marie-Anne et de Marguerite-Therese, entrées dans la maison d'Autriche. Les fils et les petits-fils de Louis XIV avaient donc des droits supérieurs à ceux de Léopold, fils de Marie-Anne, et à ceux du prince électoral de Bavière, FerdinandJoseph, petit-fils de Marguerite-Thérèse. Léopold objectait la renonciation de Marie-Thérèse. Mais les cortès espagnoles n'avaient point été appelées à la sanctionner, et elle était nulle à un autre point de vue, la dot de l'infante n'ayant pas été payée.

1. Ce qui eût rendu ces avantages moins dérisoires, c'eût été le succès des négociations entreprises à la suite de ces traités. Louis XIV demandait au duc de Lorraine d'échanger son duché contre le Milanais, et au duc de Savoie, la Savoie et le P.emont contre les Deux-Siciles. Guillaume III consentait à ce que le Dauphin eût la Savoie et la Sicile; le duc de Savoie, le Piémont et Milan; le duc de Lorraine, le royaume de Naples. (Lettres of William III und Louis XIV, and of their ministers. London, 1848, 2 vol. in-8.)

1700). Vingt-huit jours après il mourut. Il avait espéré sauver l'intégrité de la monarchie en intéressant Louis XIV à la défendre.

Louis XIV devait-il accepter le testament, ou s'en tenir au dernier traité de la Haye? Un conseil extraordinaire fut assemblé quatre personnes seulement y assistèrent avec le roi, le Dauphin, le duc de Beauvilliers, gouverneur des en

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fants de France, le chancelier de Pontchartrain et le marquis de Torcy, ministre des affaires étrangères. Celui-ci était un neveu du grand Colbert, fort habile et honnête; il reste de lui un mot qui mérite d'être cité à sa louange, mais non à celle de ses contemporains : « Le meilleur moyen de tromper les cours, c'est de dire toujours la vérité. » Les avis furent partagés; mais Torcy fit remarquer avec raison que le refus de la France ferait passer cette succession à l'Autriche, que le dernier traité ne nous assurait que des avantages illusoires

ou sans importance, que, d'ailleurs, l'Empereur ne l'accepterait pas, et qu'on aurait la guerre, quelque décision qu'on prît. Mieux vaut la faire, ajouta-t-il, pour le tout, que pour une partie. » Louis XIV demeura silencieux, et pendant trois jours on ignora sa résolution. Il l'annonça enfin en ces termes au duc d'Anjou : « Monsieur, le roi d'Espagne vous a fait roi. Les grands vous demandent, les peuples vous souhaitent, et moi j'y consens. Songez seulement que vous êtes prince de France. » Il le présenta ensuite à sa cour en disant : << Messieurs, voilà le roi d'Espagne. » (6 novembre 1700.) Quelques semaines après, Philippe V partait pour Madrid. « Ainsi, dit Saint-Simon, le dix-huitième siècle s'ouvrait, pour la maison de France, par un comble de gloire et de prospérité inouïes1. »

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Troisième coalition contre la France (1701-1713), grande ligue de la Haye. Alors, comme aujourd'hui, la France avait deux grands intérêts. Le premier, c'était que l'Espagne lui fût amie, afin qu'assurée de la paix sur sa frontière du sud, elle pût porter, au besoin, toutes ses forces au nord-est, où elle est plus vulnérable. Le second, c'était que la frontière du nord-est s'éloignât de Paris et que les Pays-Bas fussent au moins dans notre alliance. Le premier point semblait gagné par l'avénement au trône de Charles-Quint d'un Bourbon, que les Espagnols accueillaient avec enthousiasme et que les autres États reconnaissaient. L'Empereur protestait et armait; mais seul il ne pouvait rien.

Le second but était plus difficile à atteindre, car ni l'Angleterre ni la Hollande ne voulaient voir les Français aux bouches de l'Escaut. Pour y arriver, il fallait beaucoup de ménagements et de prudence. Le roi, malheureusement, démasqua trop vite ses desseins et brava l'Europe comme a plaisir. Malgré les clauses formelles du testament de Charles II, il n'exigea pas de Philippe V une renonciation au trône de France; et, par des lettres patentes, données en

1. Quant au mot: « Il n'y a plus de Pyrénées, » en voici l'histoire. L'ambassadeur d'Espagne dit ces paroles rapportées par Dangeau: « Le voyage devient aisé, et présentement les Pyrénées sont fondues, » que le Mercure du lendemain (nov. 1700, p. 237) traduisit en celles-ci: « Quelle joie, il n'y a plus de Pyrénées, elles sont abîmées, et nous ne sommes plus qu'un.» Du reste, ce mot exprimait mieux la situation et le but de Louis XIV; s'il ne s'est pas trouvé sur les lèvres du roi, il était dans la pensée de tous et le but de Louis XIV.

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