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lui-ci lui dit : Voilà de quoi vous attirer beaucoup de lecteurs et beaucoup d'ennemis. Ce livre baissa dans l'esprit des hommes quand une génération entière, attaquée dans l'ouvrage, fut passée. Cependant, comine il y a des choses de tous les temps et de tous les lieux, il est à croire qu'il ne sera jamais oublié '. »

Voltaire ne dit que deux mots de Mme de Sévigné (1686-1696). Elle méritait pourtant davantage cette femme supérieure qui, sans perdre le ton d'une mère causant avec sa fille, a écrit la plus belle histoire de la plus belle partie du règne de Louis XIV. Elle a immortalisé les lieux où elle a vécu, son domaine des Rochers à une lieue et demie de Vitré, sa campagne de Livry, le château de Grignan en Provence, où vivait sa fille et où elle se plaisait, par son style admirable, à transporter Versailles et Paris. On ne se lassera jamais de lire ses lettres si fines, si délicates, souvent éloquentes, miroir magique où sont venus se refléter tous les événements heureux ou malheureux, toutes les splendeurs et toutes les petites passions, tous les portraits, des plus beaux aux plus laids, en un mot, toutes les grandes comme toutes les petites choses du grand siècle.

Il y a une classe particulière d'écrivains: ceux qui racontent ce qu'ils ont fait, ce qu'ils ont vu. Grâce, peut-être, à un travers de notre esprit national, le désir d'occuper de soi, après les contemporains, la postérité même, et de dicter à celle-ci son jugement, la France est le pays qui possède le plus de Mémoires. Cette curieuse branche de la littérature historique commença de bonne heure chez nous, avec Villehardouin et Joinville. Le dix-septième siècle en a une riche collection due à des auteurs, pour la plupart, d'un esprit fin et délicat, qui nous ont révélé bien des secrets et les causes de bien des choses. Ceux de Richelieu sont une mine précieuse pour la grande histoire du temps: ceux de Mme de

1. Voltaire cite encore le grammairien Vaugelas (1585-1650), l'avocat Olivier Patru, qui le premier mit de l'ordre, de la clarté et de la bienséance dans les discours du barreau; Fontenelle, neveu de Corneille (1657-1757), pour son livre des Mondes, où « l'art délicat de répandre des grâces jusque sur la philosophie, » se montra pour la première fois; Bayle (1646-1706), pour son Dictionnaire historique. Pellisson (1624-1693), pour les trois Mémoires qu'il écrivit, comme défense de Fouquet; et la Conspiration de Venise de Saint-Réal (1639-1692), qu'il place à côté de Salluste. Il ne parle qu'en passant de Fléchier, évêque de Nimes (1632-1700), dont le chef-d'œuvre est l'Oraison funèbre de Turenne. Mascaron, évêque d'Agen (1634-1703), a écrit sur le même sujet son meilleur discours.

Motteville (1621-1689), confidente d'Anne d'Autriche, nous font vivre dans l'intimité de cette princesse. L'abbé de Choisy (1644-1724), dont la vie fut très-aventureuse et pas toujours irréprochable, rédigea des mémoires pour servir à l'histoire de Louis XIV. Paul de Gondi, cardinal de Retz (1614-1679), a laissé un livre qui est un des monuments de notre langue, et qu'on lit toujours avec plaisir, alors même qu'on ne croit pas toujours l'auteur. Gourville (1625-1703), receveur général des tailles de Guienne, que d'immenses richesses, rapidement acquises, entraînèrent dans la disgrâce de Fouquet, écrivit ses souvenirs sur les années 1624-1678; Pierre Lenet, conseiller au parlement de Dijon, donna les siens sur les guerres de la Fronde. Dans ce genre de littérature, les grands seigneurs se font volontiers auteurs. Nous avons, sous la régence d'Anne d'Autriche, les Mémoires du duc de la Rochefoucauld qui, à leur apparition, causèrent plus d'un scandale, et sur la dernière partie du règne de Louis XIV et le commencement de celui de Louis XV, les vingt volumes du duc et pair Rouvroy de Saint-Simon, qu'on a eu tort de mettre à côté de Tacite, mais qui n'en est pas moins souvent un prodigieux écrivain.

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Poëtes. - Regnier et Malherbe appartiennent au siècle précédent, quoique l'un soit mort en 1613 et l'autre en 1628. Rotrou est bien du dix-septième siècle (1609-1650), mais on ne lit guère plus de lui que sa tragédie de Wenceslas. Sa mort, du reste, vaut mieux que ses vers, et en lui, le citoyen recommande le poëte à notre estime. Avec Corneille, les chefs-d'œuvre arrivent enfin et se pressent sur notre scène, qu'il élève à la hauteur du théâtre grec. « Pierre Corneille, dit Voltaire (1606-1684), est d'autant plus admirable, qu'il n'était environné que de très-mauvais modèles quand il commença à donner des tragédies. Ce qui devait encore lui fermer le bon chemin, c'est que ces mauvais modèles étaient estimés; et, pour comble de découragement, ils étaient favorisés par le cardinal de Richelieu, le protecteur des gens de lettres et non pas du bon goût. Corneille eut à combattre son siècle, ses rivaux, et le cardinal qui voulut rabaisser le Cid et désapprouva Polyeucte'. Corneille s'était formé tout seul; mais Louis XIV, Colbert, Sophocle et Euripide contribuèrent tous

1. Le Cid fut joué en 1636, Horace et Cinna en 1639, Polyeucle en 1640, Rodogune en 1647.

à former Racine (1639-1669). Une ode qu'il composa à l'âge de 20 ans, pour le mariage du roi, lui attira un présent qu'il n'attendait pas, et le détermina à la poésie. Sa réputation s'est accrue de jour en jour, et celle des ouvrages de Corneille a un peu diminué. La raison en est que Racine, dans tous ses ouvrages, depuis son Alexandre, est toujours élégant, toujours correct, toujours vrai, qu'il parle au cœur, et que l'autre manque trop souvent à tous ces devoirs. Racine passa de bien loin et les Grecs et Corneille dans l'intelligence des passions, et porta la douce harmonie de la poésie, ainsi que les grâces de la parole, au plus haut point où elles puissent parvenir1.

« Un nombreux parti se piqua toujours de ne pas lui rendre justice. Mme de Sévigné, la première personne de son siècle pour le style épistolaire, et surtout pour conter des bagatelles avec grâce, croit toujours que Racine n'ira pas loin. Elle en jugeait comme du café, dont elle dit qu'on se désabusera bientôt2. Il faut du temps pour que les réputations mûrissent.

« La singulière destinée de ce siècle rendit Molière (16221633) contemporain de Corneille et de Racine. Il n'est pas vrai que Molière, quand il parut, eût trouvé le théâtre absolument dénué de bonnes comédies. Corneille lui-même avait donné le Menteur; et Molière n'avait encore fait paraître que deux de ses chefs-d'œuvre, lorsque le public avait la Mère coquette de Quinault, pièce à la fois de caractère et d'intrigue, et même modèle d'intrigue. Elle est de 1664; c'est la première comédie où l'on ait peint ceux que l'on a appelés depuis les marquis. La plupart des grands seigneurs de la cour de Louis XIV voulaient imiter cet air de grandeur, d'éclat et de dignité qu'avait

1. Pièces de Racine: Andromaque (1667), les Plaideurs (1668), Britannicus (1669), Bajazet (1672), Mithridate (1673), Iphigénie (1674), Phèdre (1677). Il s'arrêta alors dix ans, puis donna Esther (1689) et Athalie (1691), deux pièces bibliques, à la prière de Mme de Maintenon.

2. C'est la Harpe qui a fait de ces deux phrases le mot si connu attribué à Mme de Sévigné et qu'elle n'a jamais dit : « Racine passera comme le café.>> On a aussi des lettres fort remarquables de Mme de Maintenon (voy. le Recueil de ses lettres publié par Théophile Lavallé). Lorsqu'elle épousa Louis XIV, elle était veuve depuis plus de vingt ans du poëte Scarron (16101660), fort célèbre en son temps pour ses œuvres burlesques: l'Eneide travestie, le Roman comique. Il faut laisser de côté les romans plus volumineux qu'intéressants de Mlle de Scudéry, de d'Urfé et de la Calprenède, bien que ceux de Mlle de Scudéry renferment presque tous les portraits des contemporains célèbres; mais il ne faut pas oublier le fameux hôtel de Rambouillet, qui a exercé une considérable influence sur les lettres françaises.

leur maître. Ceux d'un ordre inférieur copiaient la hauteur des premiers; il y en avait enfin, et même en grand nombre, qui poussaient cet air avantageux et cette envie dominante de se faire valoir, jusqu'au plus grand ridicule. Ce défaut dura longtemps. Molière l'attaqua souvent, et il contribua à défaire le public de ces importants subalternes, ainsi que de l'affectation des précieuses, du pédantisme des femmes savantes, de la robe et du latin des médecins; Molière fut, si on ose le dire, un législateur de bienséances du monde. Je ne parle ici que de ce service rendu à son siècle on sait assez ses autres mérites'.

< C'était un temps digne de l'attention des temps à venir que celui où les héros de Cor-vie neille et de Racine, les personnages de Molière, les symphonies de Lully, toutes nouvelles pour la nation, et (puisqu'il ne s'agit ici que des arts) les voix de Bossuet, de Bourdaloue se faisaient entendre à Louis XIV, à Madame, si célèbre par son goût, à un Condé, à un Turenne, à un Colbert, et à cette foule d'hommes supérieurs qui parurent en tous genres. Ce temps ne se trouvera plus où un duc de la Rochefoucauld, l'auteur des Maximes, au sortir de la conversation d'un Pascal et d'un Arnaud, allait au théâtre de Corneille.

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La fontaine Molière.

« Despréaux (1636-1711) s'élevait au niveau de tant de

1, J. B. Poquelin de Molière (1622-1673), valet de chambre de Louis XIV. (Etourdi, sa première pièce sérieuse en 1653; les Précieuses, en 1659; l'Ecole des Femmes, en 1662; le Festin de pierre, en 1665; le Misanthrope, en 1666; le Tartufe, en 1667; l'Avare, en 1668; le Bourgeois gentilhomme, en 1670; les Fourberies de Scapin, en 1671; les Femme savantes, en 1672; le Mala te imaginaire, en 1673. Regnard (1647-1709) est notre second poëte comique, quoique bien loin dejà de Molière: le joueur (1694), les Folies amoureuses (1704), le Légataire universel (1708). Ce n'est qu'en 1844 que Paris a payé à Molière la dette de la France, en lui dressant une statue près de l'endroit où il est mort. Sur Molière, voyez Taschereau, Vie de Molière, et Bazin, Les dernières années de Molière.

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