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grands hommes, non point par ses premières satires, car les regards de la postérité ne s'arrêteront point sur les Embarras de Paris, et sur les noms des Cassagne et des Cottin, mais il instruisait cette postérité par ses belles Épîtres, et surtout par son Art poétique, où Corneille eût trouvé beaucoup à apprendre.

La Fontaine (1621-1695), bien moins châtié dans son style, bien moins correct dans son langage, mais unique dans sa naïveté et dans les grâces qui lui sont propres, se mit, par les choses les plus simples, presque à côté de ces hommes sublimes'. >>

Philosophie. — La philosophie venait d'être renouvelée par Descartes (1596-1650), moins par ce qu'il avait élevé que par ce qu'il avait détruit. Son système est tombé, comme tombent successivement tous les systèmes philosophiques; sa méthode subsiste, c'est l'arme la plus redoutable pour abattre l'erreur, l'arme la plus puissante pour découvrir la vérité. Depuis Socrate, il n'y avait pas eu dans le monde de réforme philosophique plus considérable. Descartes n'acceptait pour vrai, dans l'ordre des sciences morales et physiques, que ce qui semblait évident à la raison; et cette évidence, il la plaçait, pour les choses philosophiques, dans l'irrésistible autorité du témoignage de la conscience. C'est ainsi que, dans son Discours de la méthode (1637), écrit de ce style net et clair qui allait être un des caractères de la prose française au dix-septième siècle, et dans ses Méditations (1641), il voulut prouver, avec l'aide seule du raisonnement, l'existence de Dieu, la spiritualité et l'immortalité de l'âme, la liberté, et par conséquent la responsabilité de l'homme. Ses principes furent adoptés par les esprits les plus religieux du dix-septième siècle: ils inspirèrent au P. oratorien Malebranche (1638-1715), qu'on a appelé le Platon de la

1. Voltaire cite encore Quinault (1636-1688), Lamotte (1672-1731), et J. B. Rousseau (1669-1740), qu'il loue trop, le premier pour ses opéras, genre secondaire où le poëte n'est trop souvent que le serviteur du musicien: le second pour quelques belles stances qui ne lui méritaient pas cet honneur; le troisième pour ses odes, ses psaumes et ses épigrammes, où l'on trouve beaucoup d'harmonie et un grand art d'expression, mais où l'inspiration manque, comme elle manquera à tout écrivain qui mettra un aussi grand contraste entre sa conduite et sa parole. On nomme encore Racan (15891670), Segrais (1624-1701) et Mme Deshoulières (1638-1694) pour leurs poésies pastorales.

2. Le Provençal Gassendi (1592-1665), qui combattit le système des idées innées pour y substituer celui des idées tirant leur origine de la sensation.

France', son admirable ouvrage de la Recherche de la vérité; à Bossuet, le Traité de la connaissance de Dieu et de soimême; à Fénelon, l'éloquente Démonstration de l'existence de Dieu.

Ainsi la France fondait au dix-septième siècle la philosophie spéculative contre l'empirisme triomphant en Angleterre de Bacon et de Locke, comme au dix-huitième elle défendra l'expérience contre la métaphysique nuageuse de l'Alle

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magne; marchant tour à tour, guidée par son lucide génie, dans les deux voies qu'Aristote et Platon ont ouvertes au monde, et penchant, pour rétablir l'équilibre, du côté du principe que les exagérations contemporaines mettent en péril.

Pascal (1623-1662), autre grand esprit, fut aussi un grand

1. Bouillier, Histoire de la philosophie cartésienne (1854). Le mot est juste peut-être pour l'imagination et le style, mais plus encore pour les dangers auxquels Malebranche expose ceux qui voudraient le suivre de trop près.

écrivain dans ses Lettres provinciales (1656), contre la morale relâchée des jésuites, et dans ses Pensées, fragments d'un ouvrage qu'il voulait composer sur la vérité du christianisme. On verra plus loin ce que lui et Descartes firent pour les sciences; malgré ces découvertes, Pascal est moins un génie inventeur comme Descartes, qu'un génie critique de la plus redoutable puissance'.

A Pascal il faut réunir ses amis, les pieux solitaires de Port-Royal, esprits vigoureusement trempés, mais quelque peu étroits, qui fondèrent au sein du catholicisme et de l'Église gallicane une secte énergique et vivace que Louis XIV pesécuta, et qui ranima en plein dix-septième siècle les querelles théologiques. Les principaux docteurs du jansénisme étaient le Maistre de Sacy (1612-1694), qui traduisit la Bible à la Bastille où les jésuites le firent garder pendant trois ans; Antoine Arnauld (1612-1694), dit le grand Arnauld, dont la vie fut une perpétuelle discussion théologique avec les jésuites, avec les protestants, avec Malebranche. Nicole (1621-1695) est connu surtout par ses Essais de morale; Lancelot, par ses livres d'éducation. Bien loin de ce courant d'idées, Bayle et la Mothe le Vayer continuaient la tradition sceptique de Montaigne et de Rabelais que Voltaire allait reprendre.

Érudition. Il faut donner un souvenir à ces laborieux esprits qui continuaient de nous révéler l'antiquité ou qui essayaient de débrouiller le chaos de nos origines. Leur influence sur la langue est petite ou nulle, car d'ordinaire ce ne sont pas des écrivains et beaucoup de leurs livres sont en latin, mais elle est grande sur les idées, car le passé mieux compris éclaire le présent; enfin c'était tout un ordre de vérités qu'ils poursuivaient, celles de l'histoire, et leurs travaux nous guident encore. Les plus grands de ces savants hommes furent Casaubon, Scaliger, Saumaise, Ducange, Baluze; plusieurs bénédictins de Saint-Maur, Mabillon, Montfaucon, etc., et le protestant Bayle, dont j'ai déjà parlé.

Mézeray (160-1683), auteur d'une Histoire de France qui va jusqu'à Louis XIII, et qui vaut mieux pour la forme que pour le fond, chercha et réussit à se placer parmi les écrivains; le P. Daniel (1649-1728) refit l'ouvrage de Mézeray sans le faire oublier; l'abbé Fleury (1640-1723) écrivit une

1. Pensées de Pascal publiées dans leur texte authentique par M. Havet. 1852. Voir Sainte-Beuve, Histoire de Port-Royal.

Histoire ecclésiastique estimée encore aujourd'hui, et les Mœurs des Israélites; le Nain de Tillemont (1637-1698) a laissé une savante Histoire des empereurs romains. Enfin rappelons encore les orientalistes Bochart, d'Herbelot, Galland, et les voyageurs en Orient le Vaillant, Chardin, Bernier, qui révélèrent un monde oublié de l'Europe depuis les croisades.

Influence littéraire de la France. Nulle nation en Europe ne pouvait présenter alors un aussi magnifique ensemble de productions littéraires. L'Italie, l'Allemagne étaient en pleine décadence morale. L'Espagne, comme un riche ruiné qui n'a gardé de sa fortune perdue que quelques joyaux précieux, montrait encore des peintres éminents et de trop féconds écrivains. L'Angleterre avait eu, au commencement de ce siècle, Shakspeare, au milieu Milton, à la fin Dryden; mais cette littérature ne sortait pas encore de son ile. La France, au contraire, était bien réellement à la tête de la civilisation moderne; et par la supériorité reconnue de son esprit et de son goût, elle faisait accepter de l'Europe entière le pacifique empire de ses artistes et de ses écrivains.

Sciences. Dans les sciences, elle était au niveau du mouvement, mais non à la tête. Car si elle avait Descartes et Pascal, à d'autres pays appartenaient Képler, Galilée, Newton, et Leibnitz.

L'antiquité et le moyen âge avaient pu cultiver avec succès les sciences de raisonnement; mais l'étude du monde physique était frappée de stérilité, tant que les vraies méthodes d'expérimentation n'étaient pas trouvées. Et elles ne pouvaient l'être qu'après qu'on eût acquis la confiance que l'univers est gouverné par les lois immuables d'une sagesse éternelle, et non par les volontés arbitraires de puissances capricieuses. Alors seulement on n'accusa plus l'esprit humain de témérité sacrilége:

« Gens humana ruit per vetitum nefas, »>

parce qu'il cherchait à pénétrer les secrets de la création. L'alchimie, la magie, l'astrologie, toutes ces folies du moyen åge devinrent des sciences, du moment que l'homme ne s'occupa plus de l'essence impénétrable des choses, et, au lieu de s'arrêter aux phénomènes isolés, s'efforça de saisir les lois mêmes qui les produisent. Ce temps commence avec Copernic, au seizième siècle; mais ce n'est qu'au dix-septième que

la révolution est accomplie et triomphe avec Képler, Bacon et Descartes.

Descartes fit faire un pas immense à l'algèbre en inventant la notation des puissances par exposants numériques et à la géométrie des courbes, ce qui lui permit de résoudre, comme en se jouant, des problèmes qu'on croyait insolubles. Il trouva la véritable loi de la réfraction; il crut, avec Galilée, au mouvement de la terre autour du soleil; et, comme les erreurs mêmes du génie sont fécondes, son chimérique système des tourbillons, suivant lequel le soleil et les étoiles fixes sont le centre d'autant de tourbillons de matière subtile, qui font circuler les planètes autour d'eux, a été le germe de la célèbre hypothèse newtonienne de l'attraction. Pour Descartes comme pour Newton le problème de l'univers physique est un problème de mécanique; et Descartes enseigna le premier, sinon la solution, du moins la vraie nature du problème. Pascal avait, à douze ans, trouvé seul et sans livres les éléments de la géométrie; à seize ans il composa son traité Des sections coniques. Un peu plus tard, il créa le calcul des probabilités, démontra la pesanteur de l'air par sa fameuse expérience sur le Puy-deDôme, imagina le haquet et peut-être la presse hydraulique. Au-dessous de ces deux grands hommes se presse une foule déjà nombreuse.

Pierre Fermat (1601-1665), conseiller au parlement de Toulouse, n'a rien imprimé, mais fut peut-être le plus puissant esprit mathématique de ce temps. Il partagea avec Descartes la gloire d'avoir appliqué l'algèbre à la géométrie, et imagina la méthode de maximis et de minimis, en même temps que Pascal créa le calcul des probabilités. L'abbé Mariotte (1650-1684) reconnut que le volume d'un gaz, à une température constante, varie en raison inverse de la pression qu'il supporte. Denis Papin, né à Blois en 1647, créa ou perfectionna plusieurs machines et pensa le premier à employer la vapeur condensée comme force motrice. Il fit, en Allemagne, sur la Fulda, des expériences avec un bateau à vapeur, qui remontait le courant. De stupides mariniers brisèrent la machine du grand physicien, qui mourut à Londres dans la misère (1710)'.

1. Papin a inséré un mémoire sur ce sujet, en 1690, dans les Actes de l'Académie de Leipzig, et on a récemment découvert sa lettre du 15 sept. 1707 à Leibnitz, dans laquelle il communiquait le succès des expériences

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