Page images
PDF
EPUB

α

écrivit à Coligny, à Jeanne d'Albret, et poussa à la prompte conclusion du mariage de Henri de Béarn avec sa sœur. La reine de Navarre se décida à venir à Paris, l'amiral l'y suivit. « Enfin nous vous tenons, mon père, lui dit le jeune roi en l'embrassant, et vous ne nous échapperez pas quand vous voudrez. » Après le chef, nombre de gentilshommes huguenots accoururent pour avoir leur part des fêtes et des bonnes grâces du roi.

Catherine elle-même fut effrayée; elle avait trop bien réussi. Le roi ne voyait plus que par les yeux de Coligny; il pressait l'arrivée des dispenses pour le mariage, que le pape voulait refuser; il faisait lever des troupes pour Coligny et rassem blait une flotte contre la Flandre. Les protestants, encoura gés, rédigeaient, en synode, à la Rochelle, la confession qui leur sert encore de règle aujourd'hui. Catherine fit des remontrances à son fils, qui les reçut fort mal; il semblait alors décidé à acquérir gloire et réputation par la guerre espagnole, et il répondit à sa mère qu'il n'avait pas de plus grands ennemis qu'elle et son fils le duc d'Anjou. Mais les passions travaillaient pour Catherine; le duc d'Anjou, les Guises, Tavannes, tous les seigneurs catholiques qui avaient combattu la réforme, voyaient avec colère l'influence passer à leurs ennemis. Philippe II, menacé dans les Pays-Bas, répandait l'argent dans le peuple pour exciter des troubles. Quand la cour vint à Paris, avec son nouveau cortége de gentilshommes huguenots et de ministres protestants, une sourde colère gronda dans la ville. Un premier événement causa quelque émotion. Jeanne d'Albret mourut presque subitement le 9 juin. On crut à un empoisonnement, qui n'a pas été prouvé. Quand le mariage fut célébré, le 18 août, à la porte de Notre-Dame, ou eut grand'peine à empêcher une émeute; les chaires retentissaient dans toutes les églises de malédictions contre les huguenots, et ceux-ci ne se faisaient point faute de bravades dans les rues.

Catherine arrêta alors le plan le plus machiavélique : c'était de faire assassiner Coligny par les Guises, les huguenots vengeraient leur chef sur ceux-ci; puis les troupes royales surviendraient pour tomber sur les uns et sur les autres comme violateurs de la paix publique. Le 12 août, Coligny reçut, en sortant du Louvre, un coup de feu tiré par Maurevel, assassin de profession aux gages du duc de Guise. A la première nouvelle du meurtre, Charles IX courut auprès de l'amiral: « La

blessure est pour vous, dit-il, la douleur est pour moi; » et il jura de le venger.

Le lendemain, le roi semblait dans les mêmes sentiments; mais la reine vint l'assaillir avec le duc d'Anjou, le duc d'Angoulême, Tavannes, le chancelier Birague, le maréchal de Retz, le duc de Nevers; les trois derniers Italiens. Elle représenta que les deux partis étaient prêts à en venir aux mains; que chacun d'eux élirait un chef, et qu'il ne resterait plus au roi que son titre, si encore il lui restait. « La guerre

[graphic][subsumed][merged small][subsumed]

est inévitable, dit Tavannes; il vaut mieux la gagner à Paris, que de la mettre en doute en la campagne. » Le roi résistait : sa mère lui cita le proverbe italien que la douceur est souvent cruauté et la cruauté douceur; puis elle menaça de quitter la cour avec son autre fils, le duc d'Anjou, pour n'être pas témoin de la ruine de sa maison, pour ne plus voir tant de peur et de lâcheté. Elle avait bien calculé l'effet de cette dernière parole sur un esprit violent. Charles, jusqu'alors immobile et sombre, s'écria tout à coup que, puisqu'on trouvait bon de

tuer l'amiral, il voulait qu'on tuât tous les huguenots de France, « afin qu'il n'en restât plus un pour le lui reprocher après. » Un des conseillers italiens avait déjà dit : « qu'il fallait tout tuer, le péché étant aussi grand pour peu que pour beaucoup.

La municipalité de Paris était prête. Elle avait depuis quelque temps étudié ce grand coup et tout préparé pour le faire réussir. Le prévôt dss marchands, mandé au Louvre, reçut du roi l'ordre de fermer les portes et de tenir sur pied les capitaines, lieutenants et bourgeois dont il était sûr. Il promit d'y mettre si bien les mains à tort et à travers qu'il en serait fait mémoire. » La cloche de Saint-Germain l'Auxerrois devait donner le signal à trois heures, dans la nuit du 24 août, fête de la Saint-Barthélemy. On n'attendit pas jusque-là. A deux heures la cloche s'ébranla, et, un peu plus tard, le tocsin de toutes les églises y répondit.

[ocr errors]

Henri de Guise, d'Aumale, le tâtard d'Angoulême, se précipitèrent vers l'hôtel de Coligny. Un Allemand, Besme, entra le premier dans la chambre. Coligny était debout. « N'es-tu pas l'amiral? lui cria Besme. C'est moi, répondit-il d'un visage paisible et assuré. Jeune homme, tu devrais respecter mes cheveux blancs; toutefois, fais ce que tu voudras : aussi bien ne feras-tu guère ma vie plus brève. » Besme lui plongea son épée dans la poitrine. Le duc de Guise lui criait d'en bas: Besme, as-tu achevé? C'est fait, répondit-il. - Jette-le donc par la fenêtre. » Coligny respirait encore. Besme et les autres le jetèrent dans la cour, où Guise, après l'avoir indignement frappé du pied, l'abandonna aux outrages de la populace. Les maisons des huguenots avaient été marquées de blanc, et on avait la liste de ceux qui les habitaient. Téligny, gendre de l'amiral, la Rochefoucauld, un ami du roi qui avait passé joyeusement avec lui la soirée, Pardaillan, la Force, dont le second fils contrefit le mort et resta tout un jour caché sous les cadavres de son père et de son frère aîné, furent égorgés après l'amiral, surpris pour la plupart dans leur lit. « Saignez, criait Tavannes en parcourant les rues, la saignée est aussi bonne en ce mois d'août comme en mai. >>

Le roi de Navarre et le prince de Condé furent menés au roi, qui les menaça de mort, s'ils n'abjuraient. On tua jusque dans le Louvre, et les dames de la cour allèrent au matin voir les cadavres. On diffère sur le chiffre des morts; les uns disent dix mille, d'autres quatre mile, d'autres encore deux mille. Ce dernier chiffre est le plus vraisemblable.

Le matin, s'il faut en croire l'Estoile, le roi avait, d'une des fenêtres du Louvre, « giboyé aux passants,» tirant avec une longue arquebuse sur les protestants qui fuyaient par le faubourg Saint-Germain; mais, dans la journée, quand il eut vu la Seine charrier tant de cadavres, la fièvre de sang tomba; il eut horreur de ce qui s'était fait, et il écrivit dans les provinces pour arrêter la contagion de l'exemple, rejetant tout sur une querelle qui aurait éclaté entre les Guises et les Châtillons. Mais la reine mère lui fit craindre de laisser le bénéfice du crime à ses plus dangereux ennemis. Une aubépine, qu'on trouva le lendemain refleurie, parut un miracle et ranima le fanatisme. La foule, avec ces instincts de bête féroce qui se retrouvent à de certains moments dans les bas-fonds de la société et dans la lie des grandes villes, recommença à tuer. On tuait non-seulement les huguenots, mais les créanciers, un rival, un ennemi. Les voleurs, la croix au chapeau et le mouchoir blanc au bras, égorgeaient sous prétexte de huguenoterie ceux qu'ils voulaient piller. La plus illustre victime de ce jour-là fut Ramus'. On tua encore les jours suivants. Il y eut des meurtres jusqu'au 17 septembre.

Cependant le roi, adoptant l'avis de sa mère, alla, le 26, prendre en plein parlement la responsabilité de cette affreuse nuit, et envoya aux gouverneurs de provinces de nouveaux ordres, qui étendirent le massacre à Meaux, la Charité, Orléans, Saumur, Lyon, Bourges, Toulouse, Bordeaux, etc. : quinze à vingt mille victimes périrent. A Angers, le massacre fut arrêté de bonne heure par la modération du corps municipal, mais les survivants furent emprisonnés et leurs biens, ceux des morts, furent, par ordre exprès du duc d'Anjou, mis sous scellés. « Monseigneur, disait son agent, en pourra bien faire plus de cent mille francs3. » La Saint-Barthélemy était

1. Il fut tué dans son cabinet, au collége de Presle, à l'instigation de son rival Charpentier; les assassins le jetèrent, vivant encore, d'un cinquième étage, et trainèrent par les rues le cadavre palpitant jusqu'à la Seine. Cf. Ramus, par Ch. Waddington, p. 118. La tradition relative à Jean Goujon, tué sur un échafaudage pendant qu'il travaillait à ses sculptures de la cour du Louvre, ne repose sur aucun témoignage historique. Les listes des victimes ne portent même pas son nom.

2. La municipalité de Paris donna des gratifications aux archers qui avaient aidé au massacre, aux passeurs d'eau qui avaient empêché les protestants de passer la rivière, aux fossoyeurs de Saint-Cloud, d'Auteuil et de Chaillot, pour avoir enterré, depuis huit jours, onze cents corps ou environ; enfin elle fit frapper des médailles « pour mémoire du jour de saint Barthélemy» (Dict. adm. et histor. des rues et monum. de Paris, par F. et L. Lazare, 1855.)

3. La Réforme et la Ligue en Anjou, par M. Mourin.

ainsi, pour quelques-uns, un moyen d'apurer leurs comptes et de remplir la caisse.

Quelques gouverneurs refusèrent d'obéir à la cour, entre autres Montmorency, dans l'lle-de-France; Longueville, en Picardie; Matignon, dans la basse Normandie; Charni, en Bourgogne; de Gordes, en Dauphiné; Joyeuse, en Languedoc; Saint-Hérem, en Auvergne. La plus rude leçon aux massacreurs fut donnée par le bourreau de Troyes; il refusa d'aider à la tuerie, disant «< qu'il n'estoit de son office d'exécuter sans qu'il y eust sentence de condamnation. » Celui de Lyon fit même réponse.

Vezins, lieutenant du roi en Quercy, avait un ennemi mortel, Regnier, le chef des protestants de cette province. Ils s'étaient longtemps combattus, « ne cherchant que moyen de se couper la gorge. En ce moment, tous deux étaient à Paris. Déjà le massacre commençait, lorsque Regnier voit entrer dans sa chambre Vezins, l'épée au poing, suivi de quinze soldats. Il croit sa dernière heure venue; mais Vezins le fait descendre, lui montre un cheval et l'entraîne. Ils sortent de Paris, prennent la route de leur province, sans que Vezins prononce un mot. Regnier traverse ainsi cent lieues de pays, protégé contre les mauvaises rencontres par le nom de son conducteur, et arrive sain et sauf à son logis. Vezins lui parle alors: Ne pensez pas que la courtoisie que je vous ai faite soit pour avoir vostre amitié, mais pour avoir vostre vie dignement.-Elle est à vous, et ne se peut plus employer qu'à vous servir. Seriez-vous donc si lâche que de ne vous ressentir point de la perfidie que vous avez supportée ? — Cela, répondit l'autre, ne dérogeroit-il pas à ce que je vous dois ? — Non; je veux tous braves, amis et ennemis. » Et il s'en alla lui faisant présent du cheval sur lequel il l'avait amené. Ces traits reposent et consolent du spectacle des lâches trahisons de la cour.

[ocr errors]

-

On peut compter l'Hôpital comme une des victimes de cet effroyable coup de fanatisme. Une des bandes d'assassins du duc d'Anjou était arrivée prés d'Étampes, à Vignay, où le chancelier vivait retiré avec sa famille. On le conjurait de se cacher, il refusa. « Non, non, dit-il, et si la petite porte n'est bastante (suffisante) pour les faire entrer, ouvrez la grande. »

1. A cette liste. il faudrait joindre le vicomte d'Orte, à Bayonne Mais la lettre fameuse qu'on lui attribue ne se trouve que dans d'Aubigné, et parait, en raison du caractère et des actes du personnage, peu probable.

« PreviousContinue »