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collines. C'était une entreprise gigantesque, qui nous reporte au temps des fastueuses et inutiles constructions des pharaons. Dangeau écrivit le 8 juin 1685 : « M. de Louvois revint hier de la rivière de l'Eure où il était allé voir les travaux. Il y aura près de 1600 arcades aux aqueducs que l'on fait, desquelles il y en aura quelques-unes plus hautes deux fois que les tours de Notre-Dame. Outre ces 1600 arcades-là, il y en aura beaucoup de petites que l'on ne compte point. » 10 000 soldats furent occupés pendant quelques années à ces travaux; mais les maladies pestilentielles, et surtout les guerres qui suivirent, forcèrent de les suspendre; il n'en est resté que d'immenses et inutiles débris.

A côté de Versailles, le roi rebâtissait en même temps le grand Trianon, qui fut deux fois reconstruit (1671-1673), et Marly (1679), qui, suivant Saint-Simon, aurait coûté aussi cher que Versailles, des milliards, qu'il faut réduire à 10 millions de notre monnaie, si l'on ne compte pas l'argent dépensé pour la fameuse machine : c'est déjà bien assez pour un pied à terre. Enfin, les châteaux de Saint-Germain, de Fontainebleau, de Chambord, de Saint-Cloud, de Sceaux étaient agrandis, restaurés, embellis surtout par les magnifiques jardins de le Nôtre. 160 millions qui en vaudraient aujourd'hui plus du double furent employés à ces fastueuses dépenses'.

Nous avons parlé ailleurs des grands travaux d'utilité publique les ports, les arsenaux, les places fortes et le canal du Midi. Il n'en reste pas moins une disproportion excessive entre les dépenses faites pour les fantaisies du roi et celles qui eurent pour objet les intérêts du pays. C'était l'inévitable conséquence d'un régime politique qui mettait à la discrétion du prince, sans distinction, sans contrôle, toute la fortune publique.

Commencement d'une littérature nouvelle, · Voltaire termine ainsi son tableau du siècle de Louis XIV: « Il ne s'éleva guère de grands génies, depuis les beaux jours de ces écrivains illustres; et à peu près vers le temps de la mort de Louis XIV, la nature sembla se reposer. » Cette fois Voltaire

1. C'est le chiffre donné par M. Monmerqué. M. Eckard (Dépenses effectives de Louis XIV, p. 44, 1838) est arrivé à un chiffre presque double. La Révolution a changé cela, Dieu merci; le prince maintenant ne peut plus faire que de petites dépenses, mais l'État en fait de grandes, au profit de tous. De 1831 à 1858, en 28 ans, il a été dépensé par l'État en travaux d'utilité publique 1700 millions. Rapport au Corps Législatif.

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est trop modeste, la nature ne se reposa pas, car il parut, et avec lui, Montesquieu, Buffon et tant d'autres'. Mais ces nouveaux venus auront un esprit différent. Étranges ou plutôt inévitables relations des choses! Louis XIV constitue l'autorité absolue des rois, mais en même temps il encourage l'industrie et la littérature, et il prépare ainsi deux forces destinées à renverser la première. L'une, en effet, allait donner au tiers état la richesse qui fera demander des garanties, et l'autre les lumières qui feront demander des droits. L'esprit critique qui au temps de la minorité de Louis XIV s'était montré avec tant de puissance dans la sphère des questions religieuses et philosophiques avait reculé devant les splendeurs du règne, et s'était tu ou réfugié dans l'humble cellule de quelques solitaires. Il reparut quand l'enthousiasme officiel et sincère tomba épuisé sous les coups répétés des malheurs publics. Déjà Fénelon avait adressé au roi, en 1694, la lettre célèbre, qui est une critique si amère de son gouvernement; vers le même temps il écrivait le Télémaque, qui en est une autre, et dont il se fit en un an plus de vingt éditions2; Bayle publiait, en 1697, son Dictionnaire historique, et Saint-Simon rédigeait chaque soir, à partir de 1691, ses redoutables Mémoires. L'étude des lettres nous mène donc aux mêmes conséquences que celle de la politique, et nous avons à terminer ce chapitre comme le précédent par l'annonce de nouveautés menaçantes qui s'approchent.

1. En 1715, Voltaire avait vingt et un ans, Montesquieu vingt-six, Buffon huit. 2. L'abbé de Saint-Remy, préface de 1701.

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QUATORZIÈME PÉRIODE.

LE DIX-HUITIÈME SIÈCLE,

DÉVELOPPEMENT DES ABUS DE LA MONARCHIE ABSOLUE. PROGRÈS DE L'OPINION PUBLIQUE.

(1715-1789.)

CHAPITRE LV.

MINORITÉ DE LOUIS XV ET RÉGENCE DU DUC D'ORLÉANS (1715-1723)'.

Régence du duc d'Orléans (1715-1723).

Le poids

de l'autorité de Louis XIV avait été accablant dans les dernières années. Quand la nation le sentit enlevé, elle respira; la cour et la ville firent éclater une joie irrespectueuse; le cercueil même du grand roi fut insulté. » J'ai vu, dit Voltaire, de petites tentes dressées sur le chemin de Saint-Denis. On y buvait, on y chantait, on y riait. Le jésuite le Tellier était la principale cause de cette joie universelle. J'entendis plusieurs spectateurs dire qu'il fallait mettre le feu aux maisons des jésuites avec les flambeaux qui éclairaient la pompe funèbre. »

1. Ouvrages à consulter: Correspondance de la princesse Palatine; Mémoires de Saint-Simon, de Villars, de Noailles, de Duclos, du marquis d'Argenson, du duc de Luynes, de Mme de Staal; Journal du règne de Louis XV, par l'avocat Barbier, pour les années de 1718-1763, 4 vol., 185651; Mémoires secrets et correspondance inédite du cardinal Dubois, publies par de Sévelinges; Lacretelle, Histoire du dix-huitième siècle; Lemontey, Histoire de la régence; de Tocqueville, Histoire philosophique du règne de Louis XV; Villemain, Tableau de la littérature au dix-huitième siècle; Lord Mahon, History of England, from the peace of Utrecht to the peace of Versailles; Journal et Mémoires de Mathieu Marais, avocat au parlement (1715-1737), publiés en 1865; Journal de Buvat; La France sous Louis XV, par M. Jobez. Correspondance de Louis XV et du maréchal de Noailles, par Camille Rousset.

Ainsi s'ouvrit le dix-huitième siècle, par une protestation inconvenante contre la monarchie absolue et contre la direction religieuse qui lui avait été imprimée dans les derniers temps.

Le nouveau roi avait cinq ans. Qui allait gouverner? Louis XIV avait bien fait un testament, mais sans s'abuser sur sa valeur. Dès que je serai mort, on n'en fera ni plus ni moins. Je sais trop bien ce qu'est devenu le testament du roi mon père! >>

Comme à la mort de Henri IV et de Louis XIII, il y eut un instant de réaction féodale; mais nous pouvons mesurer la décadence de la noblesse à l'affaiblissement successif de ses efforts. Sous Marie de Médicis, elle peut encore faire la guerre civile; sous Anne d'Autriche, elle fait la Fronde; après Louis XIV elle ne fit que des Mémoires. Le plus fier, le plus infatué de tous ces nobles, le duc de Saint-Simon, voulait que le premier prince du sang, Philippe d'Orléans, à qui le testament ne laissait qu'une ombre de pouvoir, demandât la régence aux ducs et pairs, comme héritiers et représentants des anciens grands vassaux. Philippe d'Orléans repoussa le fragile appui qu'on lui offrait; il convoqua le parlement pour briser ce despotisme posthume, et, dans l'assemblée solennelle qui se tint, feignit d'avoir recueilli de la bouche du roi mourant, ces paroles: « Je vous recommande le Dauphin; servez-le aussi fidèlement que vous m'avez servi, et travaillez à lui conserver son royaume; s'il vient à manquer, vous serez le maître et la couronne vous appartient.... J'ai fait les dispositions que j'ai cru les plus sages, mais comme on ne saurait tout prévoir, s'il y a quelque chose qui ne soit pas bien, on le changera. « Le duc empruntant une phrase de Télémaque, ajoutait « qu'il récla mait une entière liberté pour le bien, et consentait à être lié pour le mal. » La régence avec le droit de composer son conseil de régence comme il l'entendrait, lui fut décernée; le commandement de la maison du roi fut même enlevé au duc du Maine, qui ne céda cette importante prérogative qu'après une altercation violente, où les deux princes parurent peu dignement. L'ambassadeur d'Angleterre assistait à la séance en signe des bonnes relations qui existaient déjà entre George Ier et le régent.

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Pour récompenser les services de ses deux alliés, le duc d'Orléans appela la haute noblesse aux affaires, d'où Louis XIV l'avait tenue éloignée, en remplaçant les ministères par six

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