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rer. On murmura même contre la création d'une milice tirée au sort parmi les hommes des paroisses et surtout contre un impôt du cinquantième levé en nature sur tous les fruits de la terre et en argent sur les autres revenus'. Cette fois ce n'était plus le peuple seulement, mais les privilégiés qui étaient menacés. Ils jetèrent de si hauts cris que le ministre tomba. Un jour, le roi, partant pour Rambouillet, dit au duc d'un air gracieux : « Mon cousin, ne me faites pas attendre pour souper. » Et le même soir à sept heures, un lieutenant des gardes du corps emmenait à Chantilly ce même M. le duc. Cette disgrâce tua Mme de Prie, et rejaillit sur la reine, à qui le roi écrivit durement : « Je vous prie, madame, s'il le faut, je vous ordonne de faire tout ce que l'évêque de Fréjus vous dira de ma part, comme si c'était moi-même. LOUIS. » (11 juin 1726.) Il fallut l'intervention de la police pour empêcher le peuple de Paris de faire des feux de joie. Ministère de Fleury (1723-1743) : affaires intérieures, les convulsionnaires. Ainsi s'éleva le septuagénaire évêque de Fréjus, qui devint peu de temps après cardinal. Il refusa le titre de premier ministre, trop sonore, ne prit que celui de ministre d'État, et poussa le roi à déclarer qu'il voulait gouverner par lui-même et suivre en toutes choses, autant que possible, l'exemple de son bisaïeul. » Belle déclaration, mais mensongère. Quoiqu'il fût, en effet, en âge de gouverner, Louis XV se contentait de montrer au conseil sa belle et impassible figure, que rien nʼanima jamais. Hors de là, lorsqu'il n'était ni au jeu ni à la chasse, il faisait de la tapisserie, tournait des tabatières en bois, ou bien lisait soit la correspondance secrète qu'il entretenait avec ses ambassadeurs, à l'insu de ses ministres, soit les anecdotes scandaleuses que le lieutenant de police lui envoyait régulièrement chaque jour. C'étaient là ses passetemps; plus tard il en eut d'autres et de pires. Fleury faisait seul la besogne du gouvernement, mais modestement et sans bruit. Devenu le premier personnage de l'État, il semblait n'être encore que l'abbé de Fleury; « sa place, dit Voltaire, ne changea rien dans ses mœurs. On fut étonné que le premier ministre fût le plus aimable et le plus désintéressé des

1. Cet impôt était l'application partielle de la dime royale de Vauban. Fleury essaya encore de le rétablir en 1733 et en 1741. Le clergé s'en fit dispenser moyennant un don gratuit de 12 millions en 1733 et 31 millions

en 1741.

courtisans. Il laissa tranquillement la France réparer ses pertes et s'enrichir par un commerce immense, sans faire aucune innovation, traitant l'État comme un corps puissant et robuste qui se rétablit de lui-même. » D'Argenson l'entendit souvent parler de Richelieu avec dédain, de Mazarin avec admiration. Il aimait, comme celui-ci, à tourner les difficultés plutôt qu'à les heurter de front, et s'il n'eut pas sa dextérité et ses grandes vues, il n'eut pas non plus son avidité. A sa mort, sa succession se trouva être à peine celle d'un médiocre bourgeois.

On était si las des casse-cou financiers et politiques, que ce ministère sénile, ce gouvernement qui gouverna le moins possible, et érigea l'abstention en système, fut presque populaire et dura dix-sept ans. Fleury se proposa pour objet la paix et l'économie, deux belles choses, pourvu que l'une soit honorable et que l'autre ne soit pas sordide. Il se fit bénir par l'abolition du cinquantième, par la diminution des tailles, par des remises sur les contributions arriérées et par quelques autres mesures que l'habile financier Orry lui conseilla'. Il releva le crédit public, rétablit pour un moment l'équilibre entre les recettes et les dépenses, construisit des routes, malheureusement à l'aide de la corvée, et rebâtit Sainte-Menehould détruite depuis sept ans par un incendie. Mais, tout en voulant fermement l'économie, il ne sut pas arrêter le gaspillage des traitants; il abandonna l'industrie et le commerce à eux-mêmes, ce qui eût été bien s'ils avaient été libres, et il laissa tomber en ruine notre marine, dont il réduisit le budget à 9 millions pour les traitements, et à 500 000 livres pour le matériel. Aussi, lorsqu'il fallut faire la guerre, au milieu de laquelle son ministère commença et finit, il la fit à demi, c'est-à-dire mal.

Comme son prédécesseur, Fleury oublia la tolérance que deux cardinaux, deux grands ministres, Richelieu et Mazarin, avaient pratiquée. Il remit en vigueur la bulle Unigenitus; il fit emprisonner plusieurs ecclésiastiques, même un évêque qui refusa de la signer, destitua les professeurs jansénistes de la Sorbonne, comme Rollin l'avait été naguère, et cassa

1. Orry était un honnête homme. On se plaignait beaucoup à la cour de ses manières brusques : « Comment voulez-vous, disait-il, que je ne montre pas d'humeur ? Sur 28 personnes qui me font des demandes, il y en a 19 qui me prennent pour une bête ou pour un fripon. « (Droz, t. I, p. 57.)

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une protestation du parlement, puis, ce corps persistant, il exila 40 de ses membres, et bientôt après les rappela, par la crainte de quelque trouble (1730), de sorte que le parlement, enhardi, laissa de nouveau entrer l'esprit d'opposition dans le sanctuaire des lois. Ces violences mêlées de faiblesses poussèrent les jansénistes à essayer d'un autre moyen. Un d'eux, le diacre Pâris, de la paroisse Saint-Médard, à Paris, personnage austère et ascétique, mourut en 1727, en odeur de sainteté, au dire de ses partisans. On publia bientôt qu'il faisait des miracles et il y eut alors une de ces épidémies morales qu'on voit naître et s'éteindre, à de certaines époques, et qui sont plus contagieuses que les épidémies ordinaires. Il se passa en effet des choses étranges au cimetière Saint-Médard : les personnes qui s'étendaient sur le tombeau du diacre, éprouvaient, l'imagination aidant, des convulsions ou secousses nerveuses, quelquefois nuisibles, quelquefois sautaires. Il y eut des scènes extravagantes et scandaleuses. Le gouvernement eut la sagesse de ne point intervenir. Le ridicule fit justice de cette folie qui dura cinq ans. Lorsque la police ferma enfin le cimetière en 1732, un plaisant écrivit sur le mur :

De par le roi défense à Dieu
De faire miracle en ce lieu.

Affaires étrangères; réconciliation avec l'Espagne (1726-1731). Le duc de Bourbon avait légué à son successeur une querelle avec l'Espagne alors alliée de l'Autriche, ce qui obligeait la France à persévérer dans l'alliance anglaise. Robert Walpole, principal conseiller de George II, avait besoin de la paix pour se maintenir au pouvoir; il la voulait par politique, Fleury par caractère; tous deux s'entendirent aisément et se firent de mutuels sacrifices, parce qu'ils comptaient l'un sur l'autre. Fleury négligea la marine pour ne pas faire ombrage au peuple anglais; et Walpole, confiant dans la modération de la France, ne s'inquiéta point de nos armements sur terre, ni même de quelques victoires. La guerre entre les deux ligues n'avait eu encore d'autre effet qu'une vaine tentative des Espagnols sur Gibraltar, en 1727. Fleury l'arrêta dès cette même année par les préliminaires de Paris. L'année suivante, au congrès de Soissons, l'Espagne et l'Autriche se brouillèrent. Afin de rendre cette rupture définitive, la France et l'Angleterre se hâtèrent de garantir les duchés italiens à l'Espagne (traité de Séville,

1729). Deux ans après, à la mort du dernier duc de Parme et de Plaisance, l'infant don Carlos fut mis en possession de ce domaine. L'Empereur le réclama inutilement; il ne retira son opposition que quand les puissances eurent accepté sa Pragmatique. A la fin de ces laborieuses négociations, la bonne

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intelligence se trouva rétablie entre les cours de Madrid et de Versailles, et un Bourbon avait en Italie un duché; il y aura bientôt un royaume.

Guerre de la succession de Pologne (1733-1735). - La mort d'Auguste II, roi de Pologne, vint troubler cette

paix que la noblesse de France supportait d'ailleurs impatiemment. Sa succession fut réclamée par Stanislas Leckinski, le candidat des Russes et des Autrichiens. Fleury eût bien voulu rester étranger à cette querelle; l'opinion publique l'obligea à soutenir le père de la reine; mais il mit tant de lenteur à se décider, qu'Auguste III, couronné à Cracovie, força Stanislas à se jeter dans la ville de Dantzick, où les Russes l'assiégèrent. Fleury envoya 1500 hommes au secours du protégé de la France. Leur chef, reconnaissant l'inutilité d'une pareille assistance, se retire à Copenhague. Il y trouve le comte de Plélo, notre ambassadeur, qui rougit pour la France, et veut couvrir au moins cette honte d'un sacrifice. « Je sais que je n'en reviendrai pas, écrit-il au ministre Maurepas; je vous recommande ma femme et mes enfants. › Le comte de Lapeyrouse, brave officier qui s'était distingué dans la guerre de la succession, s'offre à partager son sort; ils ramènent les 1500 hommes devant Dantzick et forcent trois des quartiers russes. Plélo tombe percé de coups au quatrième; Lapeyrouse, enveloppé de toutes parts, se fait jour cependant, et vient s'appuyer au fort de Weichselmund que les Polonais tenaient encore. Il y résista vingt-cinq jours à la double attaque de la flotte russe et d'une armée de 50 000 hommes. Quand il capitula, il n'avait plus que 200 hommes valides, mais il avait sauvé l'honneur de son drapeau. Stanislas fut réduit à s'enfuir déguisé en matelot. La France venait de perdre l'occasion de tirer peut-être la Pologne de l'abîme où elle se précipitait.

Il fallait faire quelque chose pour effacer cette honte. L'opinion poussait Fleury à essayer une revanche des traités d'Utrecht qui avaient mis la France si bas, l'Angleterre et l'Autriche si haut. Il conclut avec l'Espagne et la Savoie le traité de Turin qui promettait au roi de Sardaigne le Milanais, et aux Bourbons d'Espagne le royaume de Naples pour l'infant don Carlos. En s'interdisant toute attaque contre les Pays-Bas (convention de la Haye, 24 nov. 1733), il obtint la neutralité de l'Angleterre et de la Hollande. Alors il envoya deux armées, l'une sur le Rhin, l'autre en Italie, commandées par les vieux maréchaux de Berwick et de Villars, celui-ci encore bouillant comme un jeune homme. Le premier enleva Kehl, en face de Strasbourg, malgré le prince Eugène, assiégea Philipsbourg et eut la tête emportée par un boulet. « J'avais toujours bien dit, s'écria Villars, que cet homme-là était

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