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voulait les chasser du continent. Il rêvait de grands projets. Il voulait que la Compagnie, dont il administrait tous les comptoirs dans l'Hindoustan, n'agrandît pas seulement son commerce, mais son territoire. Pour réussir, ces deux hommes eussent dû agir de concert. A la prise de Madras ils se brouillèrent mortellement, et la Bourdonnais, rappelé en France, fut à son tour enfermé à la Bastille, sur des accusations parties de l'Inde. Dupleix racheta cette mauvaise action par la belle défense qu'il fit, en 1748, dans Pondichéry; il sauva cette ville et fit éprouver aux Anglais un échec qui retentit jusqu'en Europe. La paix était donc, pour nous, inopportune dans l'Inde comme elle l'était aux Pays-Bas; mais notre marine était réduite à 2 vaisseaux, notre dette s'était accrue de 1200 millions, et le roi, incapable de se faire plus longtemps violence, demandait qu'on le laissât à ses plaisirs. L'Angleterre, qui redoutait de voir la France s'établir à demeure aux bouches de l'Escaut, se décida enfin à traiter.

Traité d'Aix-la-Chapelle (1748). — La paix signée à Aix-la-Chapelle au mois d'avril 1748, stipula que les conquêtes seraient restituées de part et d'autre. L'Angleterre recouvra pour quatre années l'asiento (droit d'importer les nègres) et le vaisseau de permission dans les colonies espagnoles; l'Autriche céda Parme et Plaisance à l'infant don Philippe, la Silésie au roi de Prusse, et plusieurs places du Milanais au roi de Sardaigne. La France rendit Madras et rentra en possession de l'île Royale (Cap-Breton); mais elle ne garda rien aux Pays-Bas qu'elle occupait presque tout entiers, et se laissa imposer la condition de ne fortifier Dunkerque que du côté de la terre. Des commissaires anglais, payés par nous, s'assurèrent que cette condition était exécutée; et quand le roi George exigea l'expulsion de France du prétendant, ce fut à l'Opéra qu'on l'arrêta, comme si l'on tenait à montrer que les ministres anglais faisaient la police dans Paris même. Le maréchal de Saxe, qui pouvait attendre mieux de ses victoires, ne survécut guère à ce traité. Il mourut à l'âge de cinquante-quatre

ans.

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Prospérité commerciale. Les huit années qui suivirent cette paix furent la plus belle époque du commerce français au dix-huitième siècle. Lorient, qui, en 1726, n'était qu'une bourgade, avait reçu, en 1733, pour 18 millions de marchandises. Si la Bourdonnais n'était plus à l'Ile de France, son souvenir, ses leçons y vivaient encore: Bourbon devenait

une grande colonie agricole. Dupleix cherchait à élever dans l'Inde, en s'appuyant sur les puissances indigènes, un vaste empire colonial. Aux Antilles, la Guadeloupe, la Martinique, surtout Saint-Domingue arrivaient à une prospérité qui rejaillissait sur les villes marchandes de la métropole : sur Nantes, sur Bordeaux, qui se rappellent encore ces jours de richesse; sur Marseille, qui avait de plus pour elle tout le commerce du Levant, dans la Méditerranée, où nul ne lui faisait alors concurrence. Le sucre, le café des Antilles françaises chassaient alors du marché européen les produits similaires des colonies anglaises; et la Louisiane, si longtemps. languissante, trouvait, dans la liberté du commerce qui lui avait été rendue en 1731, une fortune que le monopole ne lui avait pu donner.

La dernière guerre maritime n'avait fait que suspendre ce mouvement; dès qu'elle cessa, il reprit son cours avec une énergie que le gouvernement lui-même seconda; car, malgré l'inertie de Louis XV et la misérable influence de Mme de Pompadour, la force croissante de l'opinion publique imposait au gouvernement certains hommes et une certaine direction. C'est ainsi que le marquis d'Argenson avait été appelé, en 1744, au ministère des affaires étrangères, et que celui de la marine fut donné à Rouillé et à de Machault, qui firent de louables efforts pour rétablir la flotte. En 1754, on compta dans les ports 60 vaisseaux, 31 frégates et 21 autres bâtiments. L'Angleterre, avec ses 243 bâtiments de guerre, dont 131 vaisseaux de ligne, eût pu ne pas être jalouse de cette marine, imposante encore par le chiffre des bâtiments, mais à qui tout manquait. Elle s'effraya néanmoins de cette renaissance de notre puissance navale, surtout des progrès de notre commerce, à qui le doublement du droit de 50 sous par tonneau, décrété par Machault en 1749, donnait une énergique impulsion, et elle trouva aisément une cause de rupture.

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Causes d'une nouvelle guerre. Quand on veut faire la paix à tout prix, on la fait mal. Or Mme de Pompadour avait dit aux plénipotentiaires envoyés en 1748 à Aix-la-Chapelle: Souvenez-vous de ne pas revenir sans la paix ; le roi la veut. » De là il était résulté qu'on avait rendu ce qu'on eût pu garder, et qu'on n'avait pas pris soin de vider tous les différends. La France avait, en Amérique, deux magnifiques possessions: le Canada et la Louisiane, c'est-à-dire le SaintLaurent et le Mississipi, les deux plus grands fleuves de l'Amé

rique du Nord, qu'elle tenait ainsi par les deux bouts. Mais on n'avait point déterminé les limites de l'Acadie, ni décidé si l'Ohio appartenait à la Louisiane (France), ou à la Virginie (Angleterre). Enfin les deux pays revendiquaient Tabago, la plus orientale des Antilles. On nomma des commissaires pour résoudre ces questions. Ils ne purent s'entendre, et les colons, mêlant les Indiens à leurs querelles, commencèrent les hostilités. Washington, alors bien jeune, se distingua dans ces rencontres, mais d'abord d'une manière malheureuse. Le détachement qu'il commandait surprit et tua, avec toute son escorte1, un officier français, Jumonville, qui portait aux Anglais une sommation d'évacuer la vallée de l'Ohio et de se retirer derrière les Alleghanys. Ce fut le premier sang versé dans cette guerre (28 mai 1754). En 1755, sans déclaration de guerre, l'amiral anglais Boscawen captura deux vaisseaux de ligne français; le ministère protesta, mais resta six mois sans joindre les actes aux paroles; pendant ces six mois, les Anglais nous enlevèrent plus de 300 navires marchands, chargés d'une cargaison de 30 millions de livres et montés par 10 000 matelots qu'ils enrôlèrent pour la plupart dans leurs équipages. Il fallut bien pourtant reconnaître que c'était la guerre et s'y résigner.

Renversement des alliances (1756). — L'intérêt de la France était de conserver à cette guerre son caractère exclusivement maritime, et de garder toutes ses forces réunies pour son duel avec l'Angleterre; mais ce n'était pas le compte de cette puissance. Le ministère anglais, grâce à son or, déchaîna de nouveau la guerre continentale. Il offrit des subsides à qui voudrait être notre ennemi. La Prusse en accepta, se sentant menacée de quelque péril par un rapprochement inattendu de l'Autriche et de la France. Marie-Thérèse, en effet, qui ne pouvait retenir ses larmes à la vue d'un Silésien, avait contre la Prusse une implacable rancune, et elle avait fait proposer au cabinet de Versailles une alliance sur ces bases: restitution de la Silésie à l'Autriche, cession des Pays-Bas à un Bourbon de la branche d'Espagne, de Mons et de Luxembourg à la France. Un billet amical de Marie-Thérèse à Mme de Pompa

1. 10 des soldats de Jumonville furent tués, 22 pris, un seul échappa. Cet événement eut un grand retentissement en Europe. Le gouvernement fran. çais le qualifia d'assassinat, et Thomas fit un poëme intitulé Jumonville. Les biographes de Washington l'ont mal disculpé. Il faut dire qu'il n'avait que vingt-deux ans et ne connaissait pas la commission de Jumonville.

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dour, où la fière impératrice se disait « la bien bonne amie de cette parvenue, décida le renversement de la politique deux fois séculaire de la France. Le traité de Versailles (1756), tout à l'avantage de l'Autriche, car la promesse des Pays-Bas fut retirée, réunit les deux puissances dont la rivalité avait fait couler tant de sang. La czarine Élisabeth, blessée des épigrammes de Frédéric II, la Suède qui regrettait la Poméranie, la Saxe, qui voulait s'agrandir, y accédèrent. Ainsi l'Autriche devenait l'amie de la France, l'ennemie de l'Angleterre, sa vieille alliée, et nous allions attaquer la Prusse, qui combattait naguère avec nous. C'était tout le système des alliances européennes qui était changé.

Guerre de Sept ans (1756-1763). Conquête de Minorque (1756). La France, forcée encore de combattre des deux mains, frappa d'abord un coup vigoureux. A l'attentat de l'amiral Boscawen, elle répondit en lançant sur Minorque, alors aux Anglais, une escadre commandée par la Galissonnière, qui battit la flotte anglaise de Byng, et une armée qui, sous le maréchal de Richelieu, enleva la forteresse réputée imprenable de Port-Mahon; ce fut un des beaux faits d'armes de ce siècle. L'Angleterre se vengea de cette défaite, comme autrefois Carthage; le malheureux Byng fut condamné à mort et fusillé à son bord.

Difficile position du roi de Prusse. Sur le continent, la guerre commença par une irruption en Saxe du roi de Prusse qui, comme toujours, prévint ses ennemis. Il enveloppa les Saxons dans leur camp de Pirna. Les Autrichiens s'approchant pour les dégager, il courut à leur rencontre en Bohême, les battit à Lowositz, puis revint prendre toute l'armée saxonne, qu'il incorpora dans ses troupes. La France déclara ensuite les traités de Westphalie violés et fit entrer deux armées en campagne; le maréchal d'Estrées en Westphalie, Soubise vers le Mein. Attaqué par tous ses voisins, sans autre appui que l'Angleterre, Frédéric n'aurait pu, malgré son génie, se défendre contre cette coalition formidable, si les alliés eussent mis quelque concert dans leurs opérations. Il fut servi d'ailleurs par l'ineptie ou la légèreté des généraux français, Soubise et Richelieu, et par la lenteur de Daun, le généralissime autrichien. De la Saxe qu'il avait tout d'abord et hardiment occupée, il rentra en Bohême et gagna la sanglante bataille de Prague (1757). Vaincu à son tour près de cette ville, à Kollin, par Daun (1757), il fut forcé, dans la retraite,

de diviser ses forces, ce qui l'exposa à de nouveaux revers. En même temps, à l'est, les Russes lui prenaient Memel et battaient un de ses lieutenants à Zagerndorf, mais sans savoir tirer parti de leurs succès; à l'ouest, d'Estrées gagnait sur les Anglais la bataille de Hastembeck, qui nous livrait le Hanovre, et une autre armée française marchait rapidement sur Magdebourg et la Saxe. Ainsi le cercle d'ennemis dont Frédéric était enveloppé se resserrait chaque jour sur lui (1757). Il de

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manda la paix. On le croyait aux abois; on la lui refusa : il se décida alors, s'il le fallait, a à mourir en roi, comme il l'écrit à Voltaire. L'incapacité de ses adversaires le dispensa de tenir sa parole.

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Richelieu

Capitulation de Closterseven (1757). qui succéda à d'Estrées dans le commandement de l'armée de Hanovre, enferma le duc de Cumberland dans une impasse, au milieu d'un pays marécageux; mais au lieu de le faire prisonnier, il lui accorda la capitulation de Closterseven, que le gouvernement anglais, dirigé par le fameux William Pitt,

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