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frappé l'imagination des hommes de ce temps. Voltaire et Rousseau avaient cependant chacun un héritier d'une partie de leur génie. Beaumarchais, l'auteur du Mariage de Figaro (1784), continuait la guerre aux préjugés de naissance, et Bernardin de Saint-Pierre, dans ses Etudes (1784), surtout dans Paul et Virginie, essayait de réunir, pour peindre la nature, le style de Fénelon à celui de Rousseau.

Découverte des aérostats (1783). L'ardeur de connaître et de se frayer des routes nouvelles était si grande, qu'il semblait que l'horizon de la science humaine n'eût plus de bornes. Si Franklin avait « arraché le tonnerre aux nuages,» Pilâtre du Rosier et d'Arlandes faisaient, au château de la Muette, l'année même du traité de Versailles (1783), la première ascension dans une montgolfière. Ainsi l'homme, maître déjà de la terre et de l'Océan, voulait prendre aussi possession de l'air, de cet air que Lavoisier venait récemment de décomposer, par l'oxydation du mercure, en des gaz distincts. Charles et Robert renouvelèrent l'expérience le 1er décembre aux Tuileries, au milieu d'un concours immense, et, deux ans après, Blanchard passait en ballon de Douvres à Calais; mais Pilâtre du Rosier et Romain, qui voulurent faire la même traversée, avec un nouveau système, furent précipités sur les rochers de la côte.

Le magnétisme. A côté des aérostats, les mystères, les mensonges du magnétisme. Cagliostro et Mesmer, l'un aventurier italien qui se faisait appeler comte, vivait dans l'opulence, et prétendait tenir les véritables secrets de la chimie, tels que les avaient découverts les prètres de l'Égypte et de l'Inde; l'autre, aventurier allemand qui, ayant échoué à Vienne, vint à Paris donner ses fameuses séances (1779). Dans un appartement riche, embaumé de parfums, faiblement éclairé, plein de douces harmonies musicales, disposé enfin pour agir sur l'imagination et les sens, les malades ou les curieux se réunissaient autour du baquet magnétique; quelques-uns bientôt tombaient en convulsions, la contagion gagnait les autres. C'était le remède à tous les maux. « Il n'y a, disait-il, qu'une nature, une maladie, un remède. » Une commission nommée par le gouvernement, et composée de Lavoisier, Franklin et Bailly, fut chargée d'examiner les expériences magnétiques: elle déclara que les magnétiseurs opéraient des effets singuliers, non, il est vrai, par un fluide, comme ils le prétendaient, mais par la surexcitation de l'ima

gination. Un magistrat fameux, d'Épremesnil, prit chaudement la défense de Cagliostro et de Mesmer.

L'illuminisme. Certains esprits perdaient terre en quelque sorte. Saint-Martin publiait les incompréhensibles rêveries du Philosophe inconnu; on introduisait, on dévorait le livre extraordinaire de Swedenborg, intitulé: les Merveilles du ciel et de l'enfer, et des terres planétaires et australes, d'après le témoignage de ses yeux et de ses oreilles.

Francs-maçons.

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Au-dessous de la politique et de la science, dans l'ombre et le silence, travaillaient les francs

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maçons vaste et vieille association d'hommes de tout rang et de tout pays qui, parmi ses initiés, comptait des princes1 et qui, sous des rites bizarres et quelque peu puérils, cachait et propageait des idées libérales.

La reine Marie-Antoinette. En présence de toutes ces choses merveilleuses qui attestaient la force, mais quelquefois aussi le délire de la raison, l'opinion devenait la reine

1. Beaucoup de princes allemands, le prince de Galles, le grand-duc de Toscane, même Frédéric II, y étaient initiés. Le comte de Clermont fut grand maître jusqu'à sa mort, en 1771. Geschichte der Freimaurereie in Frankreich, von G. Klos, 1853.

du monde, et les puissances les plus respectées devaient maintenant compter avec elle. Jadis la cour donnait le ton et la mesure à la société française; ce n'était pas Louis XVI qui pouvait continuer la tradition de Louis XIV, et la belle et gracieuse Marie-Antoinette s'était fait de nombreux ennemis à la cour par ses amitiés trop exclusives, dans le public par un dédain trop grand des règles de l'étiquette et des convenances royales. Elle délaissait Versailles pour Trianon', et croyait qu'une reine de France pouvait alors vivre pour elle. même. C'étaient les habitudes de la maison d'Autriche, mais ce n'étaient pas celles de la maison de Bourbon. Un soir, son carrosse s'étant brisé, elle se rendit dans un fiacre au bal de l'Opéra; le lendemain, tout Paris commentait cette imprudence. Ainsi commençaient les médisances qui plus tard se changeront en colères, et éclateront d'une si terrible manière contre celle qu'on n'appellera plus que l'Autrichienne'.

1. Le grand Trianon, bâti par Mansart en 1676, est une fantaisie de Louis XIV, ennuyé de la solennité froide et incommode de Versailles; le petit, construit par Gabriel pour Louis XV, en 1766, fut donné par Louis XVI à Marie-Antoinette qui fit dessiner un jardin à l'anglaise, avec lac, rivières, maisons rustiques. « Une robe de percale blanche, un fichu de gaz, un chapeau de paille, étaient la seule parure des princesses. Le plaisir de voir traire les vach s, de pêcher dans le lac, enchantait la reine. On y jouait la comédie; le Devine Village de Rousseau; le Barbier de Séville de Beaumarchais y furent représentés. La reine remplissait le rôle de Rosine.» (Mémoires de Mme de Campan.)

2. Les ennemis de Marie-Antoinette furent d'abord et seulement à Versailles. Sa légèrete blessait des personnes qui ne la lui pardonnaient point. Aussi le jour des révérences de deuil (après la mort de Louis XV), elle fut accusée d'avoir ri de la figure de quelques douarières; et le lendemain une chanson d'une insolence extrême circula dans Versailles :

Petite reine de vingt ans

Vous qui traitez si mal les gens,

Vous repasserez la barrière...., etc. »>

Droz, t. I, p. 133.) Ce fut dès les premiers jours du nouveau règne que les adversaires de l'alliance autrichienne, les courtisans exclus de cette société intime où se plaisait la reine, commencèrent la sourde guerre qui mina peu à peu la popularité que lui avaient valu sa grâce, sa jeunesse et sa beauté. Et parmi ses ennemis, il y en avait de très haut placés. Voy. la Correspondance du comte de la Marck, plus tard prince d'Aremberg, ami très-dévoué de la reine et du roi. Le comte de Provence lui disait un jour, en parlant du roi son frère : "Sa faiblesse et son indécision sont au delà de tout ce qu'on peut dire. Pour vous faire une idée de son caractère, imaginez des boules d'ivoire huilées que vous vous efforceriez vainement de retenir ensemble.» (T. I, p. 125.) La Marck écrivait lui-même à M. Mercy-Argenteau, ambassadeur d'Autriche: « Il faut trancher le mot, le roi est incapable de régner, Voir Feuillet de Conches, Louis XVI, Marie-Antoinette et Mme Elisabeth, lettres et documents inédits dont l'authenticité a été contestée. Le chevalier d'Arneth a publié sous le titre de Marie-Thérèse et Marie-Antoinette, un recueil de lettres tirées des archives de Vienne et plus dignes de foi. (Voir pour cette question importante d'authenticité un debat entre M. Geffroy et M. Feuillet de Conches, Revue des Deux-Mondes, juin et juillet 1866.)

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Un événement malheureux montra, dès l'année 1784, les, dispositions du public à son égard. Le cardinal de Rohan était alors le scandale de l'Église. Ambassadeur à Vienne, il y avait compromis son caractère de prêtre et de représentant de la France par une conduite légère et d'effroyables dépenses. Il disait qu'il était impossible à un gentilhomme de vivre avec 1 200 000 livres de rente. Son parent, le prince de Rohan-Guéméné, ayant fait une banqueroute de 30 millions qui ruina une foule de gens, le cardinal en était tout fier: « Il n'y a, disait-il, qu'un souverain ou un Rohan qui puisse faire une pareille banqueroute. » Méprisé du roi, surtout de la reine, il était en complète disgrâce. Une intrigante, la comtesse de Lamotte, lui fit croire qu'elle était la confidente de Marie-Antoinette et que cette princesse était disposée à lui rendre sa faveur; elle appuyait ses insinuations par de fausses lettres où l'écriture de la reine était imitée à s'y méprendre. Elle alla jusqu'à lui promettre une entrevue, le soir, dans les jardins de Versailles, avec sa souveraine. Une fille qui ressemblait beaucoup à la reine joua le rôle que la comtesse lui avait appris, et le cardinal crut que rien ne serait plus refusé à son ambition. Or, quelque temps auparavant, deux joailliers avaient proposé à Marie-Antoinette un collier d'une valeur de 1 600 000 livres qu'elle avait refusé, en ajoutant, avec le roi, que deux vaisseaux de guerre étaient plus utiles à la France que ce joyaú. La comtesse persuada au cardinal que la reine avait grande envie du collier et qu'elle le chargeait de l'acheter secrètement pour elle! Il alla trouver les marchands, leur montra les lettres et se fit livrer le bijou, dont la comtesse fit aussitôt son profit. A quelque temps de là, les joailliers, inquiets de n'être pas payés, écrivent à la reine. Aussitôt tout se découvre. Le cardinal, arrêté à Versailles même, dans ses habits pontificaux, est envoyé à la Bastille. Le parlement, saisi de l'affaire, rend un arrêt qui le délivre, comme simple dupe, et con damne la comtesse à la marque et à la réclusion. Cette affaire fit le plus grand bruit, et quoique la reine y fût complétement étrangère, sa réputation souffrit beaucoup d'avoir été mêlée à ce scandale.

Louis XVI ne lui avait d'abord montré qu'une extrême froideur. Plus tard elle prit sur lui un très-grand empire, Ce fut après la retraite de Necker qu'elle commença à se mêler activement du gouvernement. Mais n'ayant pas le génie ad

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