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dehors. Elle s'empressa d'achever la constitution. Le 14 septembre, le roi, jusqu'alors retenu aux Tuileries comme pri. sonnier, l'accepta et en jura solennellement l'observation. L'Assemblée lui rendit ses pouvoirs; mais pouvait-il ļui rendre l'autorité morale qu'il avait perdue et imposer à son entourage sa volonté de vivre loyalement avec les nouvelles lois?

Constitution de 1791.—Elle donnait le pouvoir législatif à une Assemblée unique et permanente que le roi ne pouvait dissoudre, mais que des élections générales renouvelaient tous les deux ans, et qui avait seule l'initiative des lois. Elle laissait au monarque, avec le pouvoir exécutif, la faculté de suspendre pendant quatre ans les volontés nationales; mais ce droit de veto ne pouvait être exercé dans les questions de finances. Le corps électoral était divisé en assemblées primaires, qui, réunies aux chefs-lieux de canon, nommaient les électeurs, et en assemblées électorales qui nommaient les députés à l'Assemblée nationale, les administrateurs du département, ceux du district, et les juges des tribunaux. Les premières comprenaient les citoyens actifs, c'est-à-dire les citoyens âgés de vingt-cinq ans au moins, inscrits sur les rôles de la garde nationale, domiciliés de fait depuis un an dans le canton, et payant une contribution directe égale à la valeur locale de trois journées de travail. Les secondes étaient formées des citoyens propriétaires, usufruitiers ou locataires d'un bien donnant un revenu égal à la valeur locale de cent cinquante à deux cents journées de travail. Tous les citoyens actifs étaient éligibles. Les domestiques étaient exclus des assemblées primaires.

La constitution de 1791, qui conservait plus de deux millions d'électeurs, était odieuse à la cour et à l'Europe comme trop révolutionnaire; mais elle l'était aussi à la masse du peuple, surtout depuis le 17 juillet, comme trop aristocratique. Les uns lui reprochaient d'avoir ruiné tous les abus; les autres, d'avoir marqué une limite, quelque bas qu'elle l'eût placée, à l'exercice des droits politiques.

Clôture de la Constituante (30 septembre 1791). — La Constituante finit dignement par des paroles de liberté et de concorde. Elle proclama une amnistie générale, supprima les entraves mises à la circulation, et effaça, pour rappeler les émigrés à la patrie, toutes les lois d'exception; mais ils ne l'entendirent pas.

La Constituante n'avait pas compté avec le temps, ce grand. maitre des choses humaines; elle a droit pourtant, malgré ses erreurs, à notre reconnaissance, car si ses réformes politiques ont péri ou n'existent que fort altérées, elle s'était si bien placée dans le vrai, que presque toutes ses réformes civiles ont survécu consacrées par le Code Napoléon, dont les auteurs ont suivi les grands principes qu'elle avait posés. Deux de ses membres s'étaient surtont signalés : Mirabeau par son éloquence impétueuse, Sieyès par son imperturbable logique. Elle est de Mirabeau, cette belle formule de l'ère nouvelle qui s'ouvrait pour les peuples : « Le droit est le souverain du monde. » Après eux on avait remarqué Mounier, Malouet, Cazalès, Maury, Barnave, les deux Lameth, Lally et Duport.

La Constituante avait interdit la réélection de ses membres, désintéressement imprudent qui allait priver l'Assemblée nouvelle des lumières et de l'expérience si chèrement acquises par les vétérans de la Révolution.

CHAPITRE LX.

ASSEMBLÉE LÉGISLATIVE (1791-1792).

L'Assemblée législative (1 octobre 1791-21 septembre 1792). L'Assemblée législative, si pâle entre ses deux grandes et terribles sœurs, la Constituante et la Convention, commença ses séances le 1er octobre 1791, et les termina le 21 septembre 1792. Elle fut une trahison entre la monarchie limitée des Constitutionnels et la dictature des Montagnards. Ses meneurs, les Girondins', Brissot, Pétion, Vergniaud, Guadet, Gensonné, Ducos, Isnard, Valazé, travail

1. Les Girondins étaient ainsi nommés, parce que dans leurs rangs se distinguaient, par leur brillante éloquence, les députés de la Gironde, Vergniaud, Guadet et Gensonné. Les républicains exaltés étaient appelés Montagnards, parce qu'ils siégeaient à l'Assemblée sur les bancs supérieurs du côté gauche. Les Feuillants, ou royalistes constitutionnels, siégeaient à droite.

lèrent en effet à renverser la royauté, mais en laissant aux partis extrêmes l'initiative de la république, que ceux-ci firent sanglante, et qu'eux peut-être ils auraient faite modérée.

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Mesures plus sévères contre les prêtres non assermentés et les émigrés. L'esprit de l'Assemblée nouvelle se révéla dès le début par la discussion qui s'éleva pour savoir si les noms de sire et de majesté continueraient d'être donnés au roi. Mais bientôt de plus gra. ves objets l'occupèrent; trois grands dangers menaçaient la Révolution les prêtres non assermentés qui, par leur refus de prêter le serment civique, devenaient des causes de troubles dans les provinces; les émigrés, qui avaient fait de Bruxelles, de Worms et de Coblentz des foyers d'intrigues contre le pays; enfin les puissances étrangères, qui, sans cesse obsédées par eux, dévoilèrent hautement leur intention de rétablir Louis XVI dans ses droits par la fameuse déclaration de Pilnitz, signée du roi de Prusse et de l'empereur Léopold (27 août 1791). La Constituante comprenant combien il était difficile que l'esprit de sacrifice qui avait rendu immortelle la nuit du 4 août, devînt la règle de la conduite de tous ceux que la Révolution blessait, avait refusé d'entrer dans la voie des lois exceptionnelles. Elle avait menacé, mais sans frapper. La Législative frappa. Tout prêtre non assermenté sera privé de son traitement; les émigrés qui ne rentreront pas dans un délai fixé, seront déclarés conspirateurs, et les revenus de leurs biens seront perçus au profit de la nation, « sans préjudice toutefois des droits de leurs femmes, de leurs enfants et de leurs légitimes créanciers'. »

Déclaration aux puissances étrangères. Quant aux puissances, voici en quels termes l'Assemblée convia le roi à leur répondre : « Dites-leur que partout où l'on souffre des préparatifs contre la France, la France ne peut voir que des ennemis; que nous garderons religieusement le serment de ne faire aucune conquête; que nous leur offrons le bon voisinage, l'amitié inviolable d'un pays libre et puissant; que

1. Ces lois contre les émigrés étaient renouvelées de l'ancien régime. Le cardinal de Lorraine, après l'édit de Châteaubriant, de 1551, avait fait prononcer la confiscation des biens contre ceux qui sortaient du royaume pour cause de religion. Même chose en 1685. On se rendait bien compte de ce que faisait l'Assemblée. « Ce n'est pas une loi, disait Mallet-Dupan, à propos de la loi du 23 mars 1792 contre les émigrés, c'est une batterie de canons qu'elle a déchargée sur ses ennemis. » La lutte à mort commençait.

nous respecterons leurs lois, leurs usages, leurs constitutions, mais que nous voulons que la nôtre soit respectée. Dites-leur enfin que si des princes d'Allemagne continuent de favoriser des préparatifs dirigés contre les Français, les Français porteront chez eux, non pas le fer et la flamme, mais la liberté ! C'est à eux de calculer quelles peuvent être les suites de ce réveil des nations. >> (29 novembre 1791.) Le roi transmit aux puissances étrangères les invitations de retirer leurs troupes des frontières françaises; mais elles déclarèrent, par l'organe de M. Kaunitz, « la légitimité de la ligue des souverains réunis pour la sûreté et l'honneur des couronnes. » Ainsi, il n'y avait plus à en douter, les rois se coalisaient contre la France et allaient commencer cette épouvantable guerre de vingt-trois années, qui ne fut pour eux, si ce n'est au dernier jour, qu'une longue suite de désastres, mais qui fit dévier la Révolution de ses voies pacifiques, qui exalta les passions en même temps que l'héroïsme, qui couvrit la France de sang autant que de gloire.

Ministère girondin (mars 1792). — A l'approche de la guerre, Louis XVI fut obligé d'appeler les Girondins au ministère; Servan fut mis à la guerre, Dumouriez aux af faires étrangères. Le dernier était un très-habile homme, plein de ressources, mais qui avait malheureusement vécu cinquante ans au milieu des intrigues des cours, et qui manquait de principes; en ce moment il était Girondin. Le portefeuille de l'intérieur fut remis à l'intègre Roland, dont la femme a mérité une place parmi les grands noms de la Ré. volution. Quand Roland vint la première fois à la cour, il s'y présenta en chapeau rond avec des cordons aux souliers. Le maître des cérémonies crut rêver, il ne voulait pas le laisser entrer; il fallait pourtant laisser passer un ministre. Se tournant vers Dumouriez : « Eh! monsieur, point de boucles à ses souliers! s'écria au désespoir le gardien de l'étiquette. Ah! monsieur, tout est perdu, répondit grave. ment Dumouriez.

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Premiers revers; journée du 20 juin 1792. La guerre fut déclarée' solennellement le 20 avril 1792 par Louis XVI à l'Empereur. Dumouriez voulait prendre l'offen

1. Le prétexte des armements de l'Empereur avait été son devoir de défendre les droits des princes allemands possessionnés en France, dans l'Alsace, la Lorraine, la Franche-Comté, et dont les priviléges féodaux avaient été abolis comme ceux de toute la noblesse.

sive. 11 comptait enlever aisément les Pays-Bas, récemment révoltés contre la maison d'Autriche. Mais le début fut malheureux; car il n'y avait nulle confiance entre les soldats et les officiers, les premiers croyant toujours à la trahison des seconds. Deux corps d'armée prirent la fuite; un d'eux égorgea son général, Dillon. Grand effroi à Paris; l'Assemblée déclare que la patrie est en danger, vote la formation d'un camp de 20 000 hommes sous la capitale, et prononce la peine de la déportation contre les prêtres non assermentés. Le roi refuse de sanctionner cette dernière mesure, et congédie ses ministres girondins. Aussitôt Vergniaud l'attaque à la tribune, en donnant à entendre qu'il favorise les progrès des Autrichiens, et l'Assemblée envoie aux quatre-vingt-trois départements une lettre de Roland au roi, dure, mais qui montrait nettement que tout le mal de la situation était dans les défiances réciproques du prince et de l'Assemblée. Ce moment fut, en effet, le dernier où Louis aurait pu encore sauver sa couronne, en se mettant résolûment à la tête de la Révolution. Loin de là, il expédiait alors un agent secret, Mallet du Pan, aux coalisés. On ignorait cette mission; mais nul ne doutait que le comité autrichien » formé autour de la reine ne correspondît avec les ennemis. Pétion était maire de Paris. Républicain, il laissa partir de l'hôtel de ville les plus violentes motions contre la royauté. Ces motions, grossies encore dans les clubs, étaient de là répandues dans le peuple par les mille voix de la presse, surtout par le journal de Marat, qui commençait sa sanguinaire dictature, et désorganisait tout, en semant partout le soupçon. La foule ne résista pas longtemps à cet appel, que semblaient justifier et les menaces des émigrés et l'insuffisance des mesures prises pour la défense du territoire.

Le 20 juin, le peuple, armé de piques, s'assemble sous prétexte de fêter l'anniversaire du serment du Jeu de Paume, et, conduit par le brasseur Santerre, s'avance vers l'Assemblée, qui est forcée de lui ouvrir ses portes; il défile devant elle en chantant le fameux Ça ira, aux cris de Vive la nation! et de là marche aux Tuileries, y pénètre violemment, et somme Louis XVI de sanctionner les décrets. Le roi, pressé dans une embrasure de fenêtre, presque étouffé, monte sur une table et se laisse coiffer du bonnet rouge, que les Jacobins avaient adopté. Le peuple, satisfait, se retire sans avoir pourtant arraché la sanction des décrets. Louis avait montré dans cette

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