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qu'aux frontières des ordres du gouvernement central, et l'établissement des musées ranima le goût des arts. La Convention voulait encore que l'infirme, l'enfant abandonné, fussent recueillis, secourus par la patrie; et le dernier décret de ces législateurs terribles portait que la peine de mort serait abolie après la pacification générale.

CHAPITRE LXII.

LE DIRECTOIRE (27 OCTOBRE 1795-9 NOVEMBRE 1799).

Situation de la république à la fin de 1795. — Le conseil des Anciens et celui des Cinq-Cents, composés, pour les deux tiers, de conventionnels, et, pour l'autre tiers, de députés nouvellement élus, se constituèrent le 27 octobre; et quelques jours après, ils élurent pour directeurs cinq régicides, la Réveillère-Lépeaux, Rewbel, Letourneur, Carnot, Barras les trois premiers, hommes probes et laborieux, mais bien au-dessous de leur tâche; le quatrième, homme supérieur. Le nouveau gouvernement vint s'établir au palais du Luxembourg1. La situation était difficile; les conseils électifs, qui devaient administrer les départements, les cantons et les communes, ne faisaient rien ou faisaient mal, et par cette paralysie de l'autorité, tous les intérêts du pays étaient en souffrance. Le trésor était vide, les assignats tombés dans le plus complet discrédit *. Le commerce et l'industrie n'existaient plus; nos armées manquaient de vivres, de vêtements, même de munitions. Mais trois années d'une telle guerre avaient formé les soldats et les généraux; Moreau commandait l'armée du Rhin; Jourdan, celle de Sambre-et-Meuse; Hoche veillait sur les côtes de l'Océan pour les défendre contre les

1. Ce palais, création de Marie de Médicis (1615-1620), et œuvre remarquable de l'architecte Jacques Desbrosses, avait été, sous la Révolution, transformé en prison. David, prisonnier au Luxembourg après le 9 thermidor, y fit la première esquisse de son tableau des Sabines.

2. Le louis d'or coûtait, le 1er décembre 1795, en assignats, 3500 francs; le 1er janvier suivant, 4500; le 1er mars, 7200,

Anglais et pacifier la Bretagne et la Vendée. Enfin, celui qui devait les éclipser tous, Bonaparte, alors âgé de vingt-sept ans, venait de gagner, le 13 vendémiaire, le commandement de l'armée de l'intérieur, qu'il changea bientôt après contre celui de l'armée d'Italie.

Napoléon Bonaparte. Napoléon Bonaparte était né à Ajaccio, le 15 août 1769, de Charles Bonaparte, noble de Corse, dont la famille était originaire d'Italie, et de Letizia Ramolino'. Son père, juge à Ajaccio et député de la noblesse de Corse en 1779, mourut en 1785. Sa mère est morte à Rome en 1839. Ils avaient eu huit enfants; Napoléon était le second'. Admis à l'École militaire de Brienne en 1779, il passa, cinq ans après, à l'École militaire de Paris, sur la recommandation de ses professeurs, dont un, son maître d'histoire, avait donné sur lui cette note: Il ira loin si les circonstances le favorisent. » Il obtint, l'année suivante, un grade de lieutenant dans le régiment d'artillerie de la Fère. Sa première garnison fut Grenoble, puis Valence. Il se montra d'abord très-partisan de la Révolution, et quand Paoli voulut donner la Corse aux Anglais en 1793, le jeune Bonaparte fit partie de l'expédition dirigée contre ce vieil ami de sa famille. Elle ne réussit pas, il fut obligé de fuir avec tous les siens. Il vint se réfugier à Marseille où sa mère et ses sœurs vécurent longtemps dans une gêne extrême. A l'époque du mouvement fédéraliste de Marseille, qu'il combattit, il fut fait capitaine. Quand l'armée de la Convention attaqua Toulon, livré à la flotte anglo-espagnole, les représentants du peuple le firent chef de bataillon et le chargèrent de diriger l'artillerie du siége. Son général, Cartaux, très-brave, mais très-incapable, ne lui demandait que de faire une brèche où il pût passer avec ses grenadiers. Bonaparte soutint qu'il ne

1. Les Bonaparte de Pérouse s'éteignirent en 1397; ceux de San-Miniato, à la fin du seiz ème siècle. On en trouve aussi à Florence. La branche de Corse résidait prim tivement à Sarsana, dans le territoire de Gênes, et passa en 161 en Cose, où elle resta obscure jusqu'à Napoléo. Voyez, dans le Mémorial de Sainte Hélène, au mardi 15 août 181, le gai récit de Napoléon sur les généalogies qu'on lui fi après son couronnement, et sur les instances d'un vieux parent, abbé de San-Miniato, au sujet d'un pere Bonaventure Buonaparte, capucin de Bologne, et depuis longtemps béatifié, mais que l'on n'avait pu faire canoniser à cause des frais énormes que cela eût coûtés. Le pape ne vous le refusera pas, disait le bon abbé, si vous le lui demandez; et s'il faut payer, aujourd'hui ce doit être peu de chose pour vous. »> Napoléon signa Buonaparte jusqu'au jour où il prit le commandement de l'armée d'Italie.

2. Cinq fils: Joseph, Napoléon, Lucien, Louis, Jérôme; et trois filles : Eliza, Pauline, Caroline.

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fallait pas s'occuper de la place, mais des vaisseaux; qu'en menaçant ceux-ci de leur couper la retraite, on les obligerait à fuir. Il montra au général et aux représentants un point, à l'extrémité méridionale de la rade, d'où l'on pouvait foudroyer la flotte. « C'est là qu'est Toulon, » dit-il. Dugommier avait remplacé Cartaux. Il comprit le plan de Bonaparte et l'approuva. Le fort de l'Éguillette fut enlevé, et les Anglais se hâtèrent d'abandonner Toulon, qu'ils n'avaient pas su sauver, et qu'ils incendièrent. Bonaparte, nommé en récompense général de brigade, alla commander l'artillerie de l'armée d'Italie. La journée du 9 thermidor arrêta sa fortune. Il fut mis en disponibilité; le 13 vendémiaire l'en fit sortir avec éclat. Carnot lui donna le commandement de l'armée des Alpes, avec laquelle Schérer, ou plutôt Masséna, avait gagné la glorieuse, mais stérile victoire de Loano (23 et 24 novembre 1795). Il n'avait pas vingt-sept ans.

Campagne de Bonaparte en Italie (1796-1797). Le plan de Carnot, pour la campagne de 1796, était hardi et savant. Deux généraux déjà célèbres, Jourdan et Moreau, ayant chacun de 70 à 80 000 hommes, devaient pénétrer en Allemagne, le premier, par la vallée du Mein; le second, par celle du Necker, pour atteindre le bassin du Danube, et descendre de là sur les États héréditaires, que les 38 000 hommes de Bonaparte menaceraient par l'Italie. Ainsi, Moreau, au centre, Jourdan et Bonaparte aux deux ailes, allaient opérer un mouvement en avant, faire vivre nos armées en pays ennemi, et converger, s'il était possible, sur la route de Vienne. Mais nos trois armées étaient séparées; Ponaparte de Moreau, par le massif des Alpes italiennes; Moreau de Jourdan, par les Alpes de la Franconie. Ce plan très-heureux en cas de succès, pouvait avoir de fâcheuses conséquences en cas de revers.

Quand Bonaparte arriva à l'armée des Alpes, les généraux Masséna, Augereau, Serrurier, Laharpe, Berthier, déjà illustrés par d'importants services, accueillirent mal le nouveau venu. Il les réunit, leur dévoila ses plans, et, en sortant du conseil, Masséna dit à Augereau: « Nous avons trouvé notre maître. » Aux soldats, Bonaparte jeta une de ces magnifiques proclamations qui électrisaient les âmes : « Soldats, dit-il, vous êtes mal nourris et presque nus; le gouvernement vous doit beaucoup, mais ne peut rien pour vous; votre patience, votre courage vous honorent, mais ne vous procurent ni

gloire ni avantage; je vais vous conduire dans les plus fertiles plaines du monde ; vous y trouverez de grandes villes, de riches provinces; vous y trouverez honneur, gloire et richesses. Soldats d'Italie, manqueriez-vous de courage? »

Il avait trouvé l'armée campée sur le revers méridional des Alpes et de l'Apennin, où elle luttait péniblement depuis quatre années contre les troupes sardes et autrichiennes. Les premiers se trouvaient à Céval, les seconds, plus à l'est, étaient à cheval sur l'Apennin, dans la vallée de la Bormida et la rivière de Gênes, vers Voltri. Beaulieu les commandait et parlait d'aller vite en besogne. Il voulait, disait-il au roi de Sardaigne, ne se débotter qu'à Lyon. Bonaparte avait 38 000 hommes contre 60 000. Il se résout pourtant à prendre l'offensive, et il la fait très-hardie pour qu'elle rapporte davantage. Au lieu d'user ses forces au milieu de rochers stériles, où il n'y avait pas de grands coups à frapper, il reprend, en la développant, la manœuvre qui avait fait tomber le camp de Saorgio en 1794, et qui, suivie par Masséna en 1795, avait encore valu à Schérer la victoire de Loano. Il tourne les Alpes pour franchir les montagnes au point le plus bas de la chaîne, vers les sources de la Bormida, au col de Montenotte, tandis que Beaulieu l'attend sur le bord de la mer, du côté de Voltri, et se place, par cet habile mouvement, en face du point le plus faible des Austro-Piémontais. п perce leur centre à Montenotte (11 et 12 avril), se place entre eux, et, pour les mieux séparer, les bat successivement les Piémontais dans les gorges de Millesimo (13 et 14), les Autrichiens à Dego (14 et 15). Il est maître alors de la route de Turin, sur laquelle les Piémontais reculent, et de celle de Milan par où les Autrichiens se retirent. Mais il ne s'arrête point: il pousse l'armée sarde l'épée dans les reins, l'écrase à Mondovi (22), et l'oblige à poser les armes par l'armistice de Cherasco, qu'il signe à dix lieues de Turin (28 avril) et qui, changé le 3 juin en un traité de paix, donne à la France la Savoie avec les comtés de Nice et de Tende, et ouvre à Bonaparte les trois places fortes de Coni, Tortone et Alexandrie, sur lesquelles il s'appuiera pour la marche offensive qu'il médite.

Délivré d'un ennemi, il se retourne contre l'autre. En vain Beaulieu, effrayé de ses coups rapides, se replie en toute hâte; Bonaparte le suit, l'atteint. Les Autrichiens s'étaient un moment arrêtés pour reprendre haleine au confluent du

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