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formidable de 25 000 hommes. Les Russes étaient massés sur le plateau de Pratzen, développant à droite dans la plaine le corps de Bagration et une immense cavalerie qui se promettait de fouler Lannes et nos régiments sous les pieds de ses chevaux. Le château d'Austerlitz, quartier des deux empereurs, n'était couvert que par une réserve de 10 000 hom

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L'ennemi donna tête baissée dans le piége. Trois divisions russes descendirent des hauteurs et vinrent livrer un combat inégal, mais furieux, vers Telnitz et Sokolnitz, que défendaient un seul régiment et un bataillon, la division Friant étant encore à ce moment fort loin en arrière, vers Gross-Raigern, quoiqu'elle eût fait 36 lieues en deux jours. Quand ils se furent engagés à fond de ce côté et que, maîtres des villages, ils croyaient avoir décidé du sort de la journée, Napoléon, qui jusqu'alors avait contenu à grand' peine l'impatience de ses soldats, lança 25 000 hommes sur le plateau de Pratzen, clef de toute la position, culbuta la garde impériale russe qui la défendait, coupa en deux l'armée ennemie, et, se rabattant sur les trois divisions envoyées pour tourner notre droite, tandis que les soldats de Davout les poussaient de front, les accabla de mitraille, les jeta sur les étangs glacés qui bordaient la plaine et rompit la glace à coups de boulets, sous les pas de milliers de Russes qui y périrent engloutis. Lannes, dans le même temps, avait livré à droite une vraie bataille et bravé tous les efforts de la cavalerie ennemie qui, décimée par son feu, ne put supporter le choc des escadrons de Murat, et fut rejetée en désordre, avec les débris de Bagration, sur Austerlitz (2 décembre 1805). « Soldats, dit Napoléon dans une de ses proclamations qui étaient toujours l'annonce ou la récompense d'une victoire, soldats, je suis content de vous, vous avez décoré vos aigles d'une gloire immortelle.... Rentrés dans vos foyers, il vous suffira de dire : j'étais à Austerlitz pour qu'on vous réponde: voilà un brave. »

15000 morts, 10 000 prisonniers, 280 bouches à feu, telles étaient les pertes de l'ennemi. Les deux empereurs fuyaient; celui d'Autriche fit demander une entrevue à Napoléon aux avant-postes on convint d'une armistice. La Prusse, effrayée, se hâta de démentir les intentions qu'elle avait eues, et traita avec Napoléon. Pour lui rendre un retour vers l'Angleterre impossible, il lui offrit le Hanovre en échange du duché de

Clèves, de la forte place de Wesel sur le Rhin et de la principauté de Neuchâtel en Suisse.

Traité de Presbourg (28 décembre); Confédération du Rhin. L'Autriche ne signa la paix que le 26 décembre à Presbourg. Elle abandonnait les États vénitiens avec l'Istrie et la Dalmatie, que Napoléon réunit au royaume d'Italie, le Tyrol et la Souabe autrichienne dont il se servit pour agrandir les domaines des ducs de Bavière et de Wurtemberg, qui prirent le titre de roi, et ceux du duc de Bade

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qui prit celui de grand-duc. L'Autriche perdit 4 millions de sujets sur 24, un revenu de 15 millions de florins sur 103 et, par la cession de Venise, toute action sur l'Italie, par celle du Tyrol, toute influence sur la Suisse. Les arsenaux de Vienne avaient livré à l'armée française 100 000 fusils et 2000 pièces de canon. Du bronze pris à l'ennemi dans cette campagne, on fit la colonne de la Grande armée, élevée, à Paris, sur la place Vendôme.

Le traité de Presbourg, après Austerlitz, consacrait l'Empire comme la paix de Lunéville, après Marengo, avait con

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sacré le Consulat. Il donnait à la France la plus magnifique position. La Prusse était éloignée du Rhin; l'Autriche était rejetée hors de l'Italie. Les princes allemands qui nous séparaient de l'Autriche, recevaient de nos mains de riches domaines et des titres qu'ils n'avaient même jamais rêvés; enfin Napoléon, achevant dans la paix l'œuvre de la guerre, constituait, quelques mois après Austerlitz, la Confédération du Rhin. Le vieil empire germanique, créé par Charlemagne, fut dissous après dix siècles d'existence. François II abdiqua le titre d'Empereur d'Allemagne (6 août); il avait déjà pris, pour ne pas déchoir, celui d'Empereur d'Autriche. Alors un très-grand nombre des 370 États qui se partageaient le sol allemand et y entretenaient une anarchie permanente, furent supprimés au profit des princes les plus puissants de l'Allemagne occidentale et centrale. Ceux-ci se réunirent sous la protection de la France, et un nouvel État fédératif, qui fut nommé la Confédération du Rhin. La Prusse et l'Autriche, puissances à moitié slaves, en furent exclues. C'était un bienfait pour l'Allemagne et c'était une pensée heureuse pour l'Europe, que de placer entre trois grands États militaires cette Confédération qui empêchait leurs frontières de se toucher. Nous devons éternellement regretter que l'Empire n'ait pu se tenir à ce traité de Presbourg, si bien conçu pour le repos de l'Italie et de l'Allemagne, et pour la grandeur de la France. Royautés vassales; grands fiefs militaires; nouvelle noblesse. Mais déjà Napoléon était à d'autres pensées, et ce sceptre de Charlemagne qu'il venait d'arracher des mains de la nation germanique, il voulait le garder pour luimême, quand l'intérêt de l'Europe et celui de la France eussent demandé qu'il fût à jamais brisé. A peine avait-il fait suspendre aux voûtes de Notre-Dame, de l'hôtel de ville et du palais du Sénat, les 120 drapeaux conquis dans cette guerre de trois mois, qu'il chassait les Bourbons de Naples, et complétait le système de l'empire en l'entourant de monarchies vassales et de principautés feudataires. Joseph Bonaparte fut créé roi de Naples et de Sicile; Louis, roi de Hollande; Élisa, sœur de Napoléon, devint duchesse de Lucques; la belle Pauline Borghèse, son autre sœur, fut duchesse de Guastalla; Murat, époux de Caroline Bonaparte, eut le grand-duché de Berg; Berthier, la principauté souveraine de Neufchâtel; Talleyrand, celle de Bénévent; Bernadotte, beau-frère de Joseph, celle de Ponte-Corvo.

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Il se réserva dans les États vénitiens douze duchés, quatre dans le royaume de Naples, deux dans les duchés de Parme et de Plaisance, un dans celui de Lucques, et il les distribua successivement à ses compagnons d'armes ou à ses plus dévoués serviteurs. Les deux anciens consuls Lebrun et Cambacérès devinrent ainsi ducs de Plaisance et de Parme; les ministres Gaudin, Fouché, Champagny, Maret, devinrent ducs de Gaëte, d'Otrante, de Cadore et de Bassano; le grand juge Regnier, duc de Massa; le grand maréchal Duroc, duc de Frioul; les maréchaux Soult, Bessières, Victor, Moncey, Mortier, Macdonald, Oudinot, ducs de Dalmatie, d'Istrie, de Bellune, de Conegliano, de Trévise, de Tarente et de Reggio; les généraux Caulaincourt, Clarke, Savary, Arrighi, ducs de Vicence, de Feltre, de Rovigo et de Padoue, etc. Dans ces duchés, tous constitués hors de France pour ne pas blesser l'esprit d'égalité de la nation, une part des revenus publics était assurée au titulaire, mais sans aucun pouvoir politique; ce n'était donc pas un retour complet à la féodalité.

Afin d'avoir des récompenses pour tous les grades, il retint 34 millions de biens nationaux, et 2400 000 francs de rente dans les divers États d'Italie; après les campagnes de Prusse et de Pologne, 20 millions de domaines en Pologne; 30 en Hanovre, 5 à 6 millions de revenus en Westphalie. Il avait donc de quoi distribuer de riches dotations à ses généraux, à ses ministres, à ses soldats. Tout général de division eut en perspective, comme récompense de ses services, une dotation et un titre de comte; tout général de brigade, une dotation et un titre de baron. Les colonels espérèrent l'une ou l'autre2, et une nouvelle noblesse d'origine toute plébéienne, mais qui avait trouvé ses parchemins sur les champs de bataille, se forma auprès du soldat couronné qui cherchait à reconstituer un corps aristocratique, pour le placer autour du trône, où il était assis. C'était là une déviation au principe de l'égalité du moins Napoléon n'attribua à cette nou

1. Davout reçut 416 000 francs de revenu et 300 000 francs en argent; Lannes, 328 000 francs de revenu et un million en argent; les autres à proportion. Après Tilsitt, il donna aux officiers de la grande armée 6 millions, aux soldats 12. Un blessé avait triple part; un ampute avait une donation de 500 à 10 000 francs.

2. Les ministres, les sénateurs, les conseillers d'État, les archevêques furent de droit comtes. Les premiers présidents, les procureurs généraux, les évêques et les maires des trente-sept bonnes villes de l'empire furent barons. Les membres de la Légion d'honneur furent chevaliers.

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velle noblesse aucun privilége. Elle n'eut d'autre avantage sur le reste des citoyens que ses titres et ses honneurs. Pour la rendre durable, cependant, et maintenir son éclat, il créa des majorats'; mais l'esprit du pays n'était pas dans cette voie; et, en dehors des majorats constitués par l'Empereur, il n'y en eut que 212 constitués par des particuliers, lesquels ne représentèrent pas un revenu de deux millions. Campagne de Prusse (1806). - La journée d'Austerlitz avait tué William Pitt, notre implacable ennemi, et Fox, esprit libre, cœur élevé, lui avait succédé au ministère. Napoléon, à cette nouvelle, espéra ramener l'Angleterre à la paix. Malheureusement Fox mourut, et le pouvoir revint aux élèves de Pitt, aux partisans de la guerre à outrance. Un traité venait d'être signé par l'ambassadeur russe en France, il fut désavoué; un négociateur anglais était à Paris. On fit trainer les conférences en longueur, et des bruits perfidement semés sur la restitution à l'Angleterre du Hanovre, que Napoléon avait récemment promis à la Prusse, jetèrent la cour de Berlin dans des anxiétés qui amenèrent les plus folles résolutions 2.

Il fallait à Napoléon une grande alliance continentale. L'Autriche avait été trop profondément humiliée depuis dix ans pour qu'on pût compter sur elle; la Russie, contrainte après Austerlitz, à ramener chez elle par journées d'étapes ses armées vaincues, demandait trop pour prix de son alliance et ne se livrait qu'à demi : c'est à la Prusse que Napoléon eût voulu lier sa fortune, mais depuis la campagne de 1805, cette cour vacillante, qui se croyait encore la cour du grand Frédéric, quand elle n'avait qu'un roi faible et une reine imprudente, n'inspirait à Napoléon ni estime ni confiance. La veille d'Austerlitz, elle préparait ses armées sur nos derrières; le lendemain, elle nous tendait la main. L'Empereur pénétra

1. C'est-à-dire qu'une partie des biens des nouveaux nobles, déclarée inaliénable et insaisissable, fut réservée à perpétuité à l'aîné de la maison. Une loi de 1835 a interdit pour l'avenir toute institution de majorat.

2. Depuis la paix de Bâle, la Prusse s'était tenue à l'écart des grands conflits européens. Cependant M. d'Haugwitz l'avait fait entrer énergiquement en mars 1800, dans la ligue des neutres, et elle avait alors occupé momentanément le Hanovre. La paix de Luneville (1801) lui avait ôté ses possessions à la gauche du Rhin mais lui avait valu de belles indemnités en Westphalie. En 1805 et 1806, la cour ds Berlin montra la plus grande versatilite. Les négociations qui se croisèrent pendant 14 mois avec la France, la Prusse, l'Autriche et l'Angleterre offrent le triste spectacle de beaucoup de duplicité, de faiblesse et de convoitise.

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