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CHAPITRE LXV.

L'EMPIRE DE 1807 A 1812.

Royaumes feudataires. On a vu déjà que l'Empereur avait voulu se créer des appuis en entourant l'empire de royaumes feudataires. Le royaume de Naples, entre les mains de Joseph; et celui d'Italie, qui avait pour vice-roi Eugène Beauharnais, couvraient la France au sud-est; la Confédération helvétique, dont Napoléon était médiateur, la Confédération du Rhin, dont il était protecteur, la couvraient à l'est; le royaume de Hollande, entre les mains de Louis Bonaparte, en défendait les approches au nord-est. De ce côté, Napoléon venait de créer encore pour son quatrième frère Jérôme, le royaume de Westphalie. Le temps n'avait pas donné à ces établissements nouveaux la force qu'il assure aux institutions humaines qui vont dans le sens du siècle, ni scellé l'alliance de ces rois parvenus avec leurs peuples: mais nul ne dispose du temps; il fallait attendre que ces jeunes dynasties, si elles le pouvaient, poussassent des racines dans le sol nouveau qui les portait. Ainsi tout le long des frontières orientales de son empire, des précautions étaient prises; au sud, Napoléon n'avait rien sur quoi il pût compter. Une branche dégénérée de la maison de Bourbon régnait à Madrid sous la direction d'un favori, Godoï, prince de la Paix. Avant Iéna, il armait contre nous; la monarchie prussienne brisée, il déclara ces préparatifs faits pour la France. Napoléon ne se trompa point. sur ses intentions réelles, il revint de Tilsitt avec la pensée d'enchaîner, d'une manière ou d'une autre, la péninsule à sa politique.

Conquête du Portugal (novembre 1807); armements maritimes. Il résolut d'abord de chasser les Anglais du Portugal, et offrit à la cour de Madrid de partager avec elle ce royaume. Une armée, commandée par Junot, traversa l'Espagne et entra dans Lisbonne sans coup férir. Dans le même

temps, les Russes conquéraient la Finlande, et l'Angleterre excitait contre elle l'indignation de l'Europe entière par une nouvelle violation du droit des gens, que rien ne pouvait justifier, l'attaque contre Copenhague, qu'elle bombarda trois jours durant, pour enlever au Danemark sa flotte et dépouiller son arsenal, réputé très-riche. Cet acte odieux fit entrer dans le blocus continental le Danemark, même l'Autriche; le Portugal y était déjà. Du fond de la Baltique jusqu'au détroit de Gibraltar, tous les ports du continent furent fermés aux Anglais. En même temps au Texel, à Brest, à Lorient, à Rochefort, à Cadix, à Toulon, d'immenses armements se préparèrent la flottille de Boulogne fut réorganisée, et une nouvelle menace fut suspendue sur la tête de l'Angleterre. Cette fois le continent tout entier marchait avec la France. L'Angleterre ne pouvait tenir longtemps. Elle fut sauvée par une faute de Napoléon, son intervention en Espagne, qui eut lieu en même temps que sa rupture avec le pape.

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Rupture avec le pape (2 avril 1808 ). C'est sur la question du blocus continental que les démêlés avec Pie VII commencèrent. Le pape voulait rester neutre; mais, comme prince temporel, il ne pouvait se soustraire aux mesures imposées à tous les États du continent. Il le voulut pourtant; de plus il refusait de reconnaître Joseph comme roi de Naples, et il contrariait sans cesse la politique de la France en Italie. Napoléon ne s'était point attendu à cette résistance; fatigué d'une guerre de notes, menacé d'une excommunication, il fit occuper Rome le 2 avril 1808. Mais cette capitale, qu'il était si aisé de prendre, ne pouvait être gardée qu'au prix des plus grands embarras; et ce vieillard qui n'avait ni un soldat, ni un canon, était plus difficile à vaincre que les troupes innombrables de l'Autriche, de la Prusse et de la Russie. L'épée du conquérant devait s'ébrécher contre ce pouvoir insaisissable, qui ne commandait point aux armées, mais aux consciences. Napoléon eut beau, après Wagram, déclarer la domination temporelle du pape supprimée, faire de Rome et de son territoire deux départements français et retenir le pontife dans une respectueuse captivité à Savone, il se trouva affaibli par ces mesures mêmes, car une redoutable opposition se forma dès lors contre lui, au sein du clergé et des catholiques français. On oublia les grands services qu'il avait rendus à l'Église, les autels relevés, le culte restauré et la France ramenée par lui dans l'unité catholique, on ne vit plus dans l'au

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teur du Concordat que le persécuteur du Souverain Pontife.

Invasion de l'Espagne (1808). L'intervention de l'Empereur en Espagne eut des suites bien plus graves. La cour de Madrid était profondément divisée. Godoï dominait le roi et la reine, mais était odieux au prince des Asturies, Ferdinand, et à la nation tout entière. Il avait pensé à se relever de ce mépris avant Iéna, par une attaque contre le midi de la France combinée avec une armée anglo-portugaise; après, en sollicitant bassement la faveur de Napoléon. Une maladie du roi Charles IV décida la reine et Godoï à chercher les moyens de priver du trône l'héritier présomptif, qui se défendit contre cette intrigue en implorant, lui aussi, l'appui de Napoléon. Mais, à ces prières adressées au puissant maître de l'Occident, il ajouta un complot contre le favori. Ses papiers furent saisis; on l'arrêta, et un procès criminel fut commencé contre lui et contre ses amis. Telle était la famille qui régnait sur l'Espagne, et qui laissait ce beau pays dans la plus honteuse torpeur.

Napoléon, sentant bien qu'il n'y avait rien à faire avec de tels princes, eut voulu les amener à fuir en Amérique, comme la maison de Bragance venait de fuir au Brésil; et à cet effet, pour les épouvanter, il accumulait de grandes forces derrière les Pyrénées. Un nouveau scandale fit avorter ce plan. Un soulèvement, qui éclata à Aranjuez, força Charles IV à abdiquer en faveur de son fils Ferdinand VII. Godoï courut risque de la vie et fut blessé. Mais Murat était déjà avec une armée près de Madrid; il y entra, refusa de reconnaître la révolution d'Aranjuez et persuada au vieux roi de se rendre à Bayonne auprès de Napoléon. Ferdinand prit le même chemin pour plaider sa cause auprès de ce redoutable arbitre. Les princes aveugles qui s'étaient laissé prendre a ce piége n'en sortirent pas; intimidés ou séduits, ils abdiquèrent entre les mains de l'Empereur. Charles IV alla vivre à Compiègne, dans un des châteaux impériaux; Ferdinand VII à Valençay, dans une demi-captivité. Joseph abandonna à Murat sa couronne de Naples, qui lui plaisait, pour prendre celle d'Espague, bien autrement lourde, et qu'il n'était pas capable de porter. Une junte des principaux personnages de l'Espagne, convoquée à Bayonne, le 'reconnut roi, et promulguà en même temps une constitution nouvelle pour le royaume.

Dans toute cette affaire, Napoléon avait joué un rôle qui

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