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de canon tirés depuis trois jours avaient épuisé les réserves de l'artillerie. Il ne restait plus de munitions à la fin de la troisième journée que pour 15 000 coups, c'est-à-dire à peine pour deux heures de combat, et le nombre des ennemis s'accroissait sans cesse. Comme en 1812, il fallut reculer sans avoir été vaincu, et, comme en 1812 aussi, cette retraite vo.lontaire devint un désastre. Napoléon, pour ne pas révéler trop tôt l'intention de la retraite, n'avait pas fait jeter des ponts sur l'Elster et la Pleisse; il n'y en avait qu'un d'une immense longueur établi sur les bras divisés des deux rivières. De là un immense encombrement, des retards, et enfin une erreur fatale: un mineur fit sauter le pont de l'Elster avant que la dernière partie de l'armée, avec deux maréchaux et ses chefs de corps, l'eussent franchi; elle fut prise ou détruite. Le vaillant Poniatowski se noya dans le fleuve, Macdonald le passa à la nage: Lauriston et Reynier furent pris. 120000 hommes, dont 50 000 Français, restèrent couchés sur ces plaines funèbres (16-19 octobre)'.

L'armée trouva encore la route barrée, à Hanau, par 60 000 Austro-Bavarois; l'artillerie de Drouot et la garde y firent une trouée sanglante, par où l'armée passa. Nos canons, dit un témoin oculaire, roulaient dans une boue de chair humaine. Hanau fut notre dernière victoire au delà du Rhin (30 oct.). Le cinquième seulement de nos troupes rentra en France, et 120 000 soldats restèrent inutiles dans les places de l'Elbe, de l'Oder et de la Vistule, où ils furent assiégés. Rapp se défendit héroïquement une année entière à Dantzig; Davout sortit de Hambourg quand et comme il voulut, après l'abdication de Napoléon. Du Tailly, à Torgau, n'ouvrit ses portes qu'après avoir mangé son dernier cheval. Il faut citer encore les belles défenses de Lapoype à Wittenberg, de Lemarois à Magdebourg, de Grandeau à Stettin, de Ravier à Damm, de Fornier d'Albe à Custrin, de Laplane à Glogau. L'histoire doit un souvenir à ces braves gens qui, loin de la

1. Journée du 16, trois batailles, à Leipzig, Lindenau et Mockern; 115 000 hommes contre 200 000; elle nous coûte 27 000 hommes, aux coalisés, 40 000. Nous gardons le champ de bataille et empêchons la jonction des deux masses ennemies; mais la victoire n'étant pas éclatante, le danger augmente, car nous ne pouvons accroître nos forces que de 25 000 hommes, et il en arrivait 110000 aux alliés. Journée du 18, pour préparer et assurer la retraite morts ou blessés 20 000 Français, 30 000 coalisés, furieux combats à Dolitz et Probsteyda. Dans la nuit du 18 au 19, retraite par l'unique pont de Lindenau. Journée du 19, dans les faubourgs de la ville de Leipzig, pour couvrir la retraite.

France et de tout secours, tenaient aussi fièrement notre drapeau qu'au temps de nos victoires.

Campagne de France (1814). Pour sauver la France, il eût fallu un réveil unanime de l'esprit national; mais le ressort était brisé. Le peuple des villes et des campagnes, qui avait seul encore du dévouement pour l'Empereur, était désarmé; ce ne fut que le 5 mars, cinq mois après l'entrée de Wellington en France, que Napoléon proclama, trop tard, la levée en masse, l'insurrection nationale. La bourgeoisie, qui avait salué sa dictature, quand cette dictature sauvait le pays du désordre de l'invasion, la repoussait aujourd'hui qu'elle semblait mener le pays aux abîmes; et, au moment où il eût fallu que la nation entière se serrât autour de Napoléon, les libéraux donnaient le signal d'une opposition intempestive et malheureuse. Les ennemis profitèrent habilement de ces pre miers symptômes de lassitude et de défection prochaine. Ils publièrent la fameuse déclaration de Francfort, dans laquelle ils protestaient « qu'ils ne faisaient pas la guerre à la France, mais à la prépondérance que Napoléon avait trop lengtemps exercée hors des limites de son empire. » Et ils offrirent la paix, à condition que la France rentrât dans ses limites naturelles. Mais ces propositions n'étaient pas sincères; les alliés ne voulaient que séparer l'Empereur de la nation. Ils y réussirent le Corps législatif, à qui Napoléon venait deman· der un concours énergique, répondit en se plaignant du despotisme et de la guerre. « Est-ce le moment de parler des abus, s'écria l'Empereur, quand 200 000 Cosaques franchissent nos frontières? Il ne s'agit pas de liberté et de sûreté individuelle, il s'agit de l'indépendance nationale. » Et il avait raison; s'il n'eût pas eu la dictature, c'est alors qu'il eût fallu la lui donner. Le Corps législatif fut ajourné pour un temps indéfini. Napoléon régla seul le budget, renvoya le pape en Italie, Ferdinand VII en Espagne, et se prépara à une lutte suprême.

Il n'avait plus que 60 000 soldats contre les 360 000 qui s'avançaient, partagés en deux grandes armées: celle de Silésie, sous Blücher; celle de Bohème, sous Schwartzenberg. La première passa sans résistance le Rhin, la Moselle et la Meuse; la deuxième, violant la neutralité suisse, déboucha par la trouée de Béfort et le Jura. Elles devaient lier leurs communications par le plateau de Langres. Au sud, 160 000 Anglo-Espagnols, sous Wellington, franchissaient les Pyré

nées; au sud-est, 80 000 Autrichiens s'approchaient des Alpes; au nord-est, 80 000 Suédois, Prussiens et Russes, sous Bernadotte, menaçaient la Belgique; et comme si ce n'était pas assez de ces forces immenses, 400 000 soldats se levaient encore en arrière des armées actives. Ainsi plus d'un million d'hommes armés allaient se précipiter sur la France.

Napoléon accourut, le 26 janvier 1814, à Vitry-le-François, pour séparer les armées de Silésie et de Bohême, attaqua et battit Blücher à Saint-Dizier (27), puis à Brienne (29), sans

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pouvoir empêcher la réunion des deux armées annemies; et les Français, arrêtés à la Rothière (1er fév.), furent contraints de se replier sur Troyes. Quelques jours après (8 fév.) Napoléon recevait un dernier ultimatum des alliés; cette fois, ils n'accordaient plus les limites naturelles, le Rhin et les Alpes, mais voulaient que la France rentrât dans ses frontières de 1789. On conseillait à l'Empereur d'accepter : « Que j'aban onne les conquêtes qui ont été faites avant moi, s'écria-t-il; que je laisse la France plus petite que je l'ai trouvée ? Jamais!

Les alliés se séparèrent pour marcher à la fois sur Paris, par la vallée de la Seine et par celle de la Marne. Alors Napoléon tombe sur Blücher, dont les 120 000 hommes s'étendaient en longue colonne de Châlons à la Ferté-sous-Jouarre. Il coupe cette colonne à Champaubert le 10 février, et sépare Sacken de Blücher; le 11, il bat le premier à Montmirail, le poursuit jusqu'à Château-Thierry, où il le bat encore le 13. Pendant que Sacken fuit sur Soissons, il se retourne contre le second, et, par une attaque impétueuse à Vau

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Place de l'Hôtel-de-Ville de Châlons-sur-Marne.

champs, le 14, le refoule sur Châlons. C'étaient quatre victoires en cinq jours. Mais tandis qu'il est sur les bords de la Marne, Schwartzenberg s'avance par la vallée de la Seine; son avant-garde a déjà dépassé Melun. L'armée française a fait 30 lieues en 36 heures et le 16 février elle heurte et chasse devant elle les Autrichiens à Mormant, le 17 à Nangis et à Donnemarie. Un corps de 30 000 hommes s'était aventuré jusqu'à Fontainebleau. Une faute du maréchal Victor, qui tarda de quelques heures de s'emparer de Montereau, lui permet d'échapper. Une arrière-garde seulement

est détruite dans cette ville le 18, une autre à Méry-surSeine le 22. Les Autrichiens perdent en .8 jours 50 lieues de terrain. L'armée française rentre dans Troyes en triomphe.

Mais cette poursuite des Autrichiens sur la haute Seine laisse libres les approches de Paris; Blücher, qui a raffermi son armée, y marche une seconde fois par la Marne, Napoléon court à lui et le jette en désordre sur Soissons. Blücher était perdu Soissons ouvre ses portes et le sauve. La ville venait d'être prise par l'armée du Nord : les Prussiens y trouvent un refuge et y doublent leurs forces. Ils n'en sont pas moins battus à Craonne; mais ils se concentrent près de Laon au nombre de 100 000 hommes, et se maintiennent dans cette forte position, malgré les efforts de l'Empereur pour les en déloger (10 mars). Napoléon se retourne alors contre les Russes et les chasse de Reims (13 mars). Schwartzenberg, qui pendant l'absence de la petite armée française s'était avancé jusqu'à Provins, à deux journées de marche de Paris, s'effraye de la voir revenir sur son flanc; il s'arrête, recule; les abords de Paris sont encore une fois dégagés.

Ainsi, en un mois, Napoléon avait livré quatorze batailles, remporté douze victoires et défendu les approches de sa capitale contre les trois grandes armées ennemies. Les alliés, un moment inquiets, avaient accepté l'ouverture d'un congrès à Châtillon, mais sans désir sérieux d'y terminer la grande querelle. Pour Napoléon, il avait déjà dit : « J'ai juré de maintenir l'intégrité du territoire de la république; si les alliés persistent à vouloir démembrer la France, je ne vois que trois partis vaincre, mourir ou abdiquer. » Le congrès fut rompu (10 mars).

La lutte devenait de plus en plus inégale. La défection de Murat, qui crut ainsi sauver sa couronne, livra l'Italie aux Autrichiens. Augereau, après un simulacre de bataille, leur ouvrit les portes de Lyon, la seconde ville de France; le général Maison évacuait la Belgique; enfin, les Anglais de Wellington, que Soult n'avait pu arrêter, entraient à Bordeaux, où Louis XVIII fut proclamé roi (12 mars); et dans l'intérieur les royalistes s'agitaient. « Vous pouvez tout et vous n'osez rien, écrivait Talleyrand aux souverains alliés; osez donc encore une fois. »

Le czar veut en finir avec cette lutte qui étonne le monde et qui est un dernier affront pour les coalisés. Il ordonne à Blücher et à Schwartzenberg de réunir leurs forces pour mar

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