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ile pour être jeté sur quelque rocher plus solitaire, il préféra tenter encore une fois la fortune. Il s'embarque avec quelques centaines d'hommes et aborde au golfe Juan', près de Cannes, dans le département du Var (1er mars). « Français, dit-il dans une proclamation, élevé au trône par votre choix, tout ce qui a été fait sans vous est illégitime. Soldats, tous ceux que nous avons vus depuis vingt-cinq ans parcourir toute l'Europe pour nous susciter des ennemis, qui ont passé leur

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vie à combattre contre nous dans les rangs des armées étrangères, prétendraient-ils enchaîner nos aigles? Venez vous ranger sous les drapeaux de votre chef; son existence ne se compose que de la vôtre; ses droits ne sont que ceux du peuple et les vôtres; son intérêt, son honneur et sa gloire ne sont autres que votre intérêt, votre honneur et votre gloire. La victoire marchera au pas de charge, l'aigle, avec les cou

1. Un petit monament indique la place où Napoléon passa la nuit.

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leurs nationales, volera de clocher en clocher jusqu'aux tours de Notre-Dame. »

De Cannes à Grenoble, la petite troupe ne rencontra pas un obstacle. « Citoyens, disait l'Empereur aux paysans, je compte sur le peuple, parce que je suis l'homme du peuple. Il avouait franchement qu'il s'était trompé en voulant donner à la France l'empire du monde, ne parlait que de paix et de liberté, promettait une constitution et des garanties. Près de Grenoble il rencontra les premières troupes envoyées contre lui. Il s'avança seul et dit : « Y a-t-il quelqu'un d'entre vous qui veuille tuer son Empereur? » Les armes tombèrent des mains des soldats, qui répondirent par un immense cri de Vive l'Empereur! Labédoyère lui amena le 7o de ligne; chaque soldat avait repris sa cocarde tricolore, religieusement gardée depuis dix mois au fond des sacs. Dès lors la route ne fut qu'un triomphe à Grenoble, les habitants enfoncèrent eux-mêmes les portes de leur ville pour les laisser entrer; à Lyon, où il arriva le 10, accueil aussi enthousiaste. Il n'y resta que jusqu'au 13 et y reprit l'exercice du pouvoir souverain; Ney, parti de Paris tout dévoué au roi, vit ses régiments céder à l'entraînement universel et vint lui-même rejoindre à Auxerre son ancien chef. Le 20 mars, Napoléon rentrait aux Tuileries, que Louis XVIII avait quittées la veille. Pas un coup de fusil n'était parti pour défendre les Bourbons, pas une goutte de sang n'avait été versée pour le rétablissement de l'Empire: c'est que cette révolution inouïe ne sortait pas d'un complot, mais d'une conspiration universelle.

Les Cent-Jours (20 mars-22 juin).— Les événements accomplis depuis une année avaient appris à Napoléon qu'il avait laissé en dehors de son gouvernement une des forces vives de la France, l'esprit de liberté. Cette force, il voulut la ressaisir, et, pour donner un gage aux libéraux, il confia le ministère de l'intérieur à Carnot, républicain intègre. En même temps, il supprimait les lettres de noblesse féodale, brisait les entraves de la presse, rendait la nomination des maires à l'élection; il disait à Benjamin Constant : « Je ne suis pas seulement, comme on l'a dit, l'Empereur des soldats, je suis celui des paysans, des plébéiens, de la France. Aussi, malgré tout le passé, vous voyez le peuple revenir à moi. Il y a sympathie entre nous, parce que je suis sorti de ses rangs; ce n'est pas comme avec les privilégiés.... Mais je ne veux pas être le roi d'une jacquerie. S'il y a des moyens de

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gouverner avec une constitution, à la bonne heure!... Voyez donc ce qui vous semble possible; apportez-moi vos idées. Des discussions publiques, des élections libres, des ministres responsables, la liberté de la presse, je veux tout cela.... Je ne hais point la liberté. Je l'ai écartée lorsqu'elle obstruait ma route; mais j'ai été nourri dans ses pensées; je vieillis; on n'est plus à quarante-cinq ans ce qu'on était à trente. Le repos d'un roi constitutionnel peut me convenir. Il conviendra plus sûrement encore à mon fils 1. »

L'Acte additionnel aux constitutions de l'Empire, qui renferme les principales dispositions de la Charte deux Chambres, l'une héréditaire, l'autre élective, la liberté de la presse, etc., fut promulgué dans l'assemblée solennelle du Champ de Mai (26 mai). Soumis à la sanction du peuple, il avait réuni 1 500 000 oui contre 4 206 non.

Cependant on allait avoir l'Europe entière à combattre, et, outre la guerre étrangère, la guerre civile, les royalistes prenaient les armes dans la Vendée. Les souverains alliés, réunis alors en congrès à Vienne pour se partager les peuples, déclarèrent que « Napoléon s'était placé hors des relations civiles et sociales, et que, comme ennemi et perturbateur du repos du monde, il était livré à la vindicte publique. » Ainsi, on mettait l'Empereur hors la loi, et non-seulement l'Empereur, mais la France. Marchons, disaient-ils, pour partager cette terre impie. Il faut exterminer cette bande de brigands qu'on appelle l'armée française. Le monde ne peut rester en repos tant qu'il restera un peuple français. Qu'on le change en peuples de Bourgogne, de Neustrie, d'Aquitaine, etc., ils se déchireront entre eux, mais le monde sera tranquille pour des siècles. Et Blücher promettait aux étudiants prussiens de faire pendre Napoléon.

C'étaient les paroles de Brunswick lors de la première coalition; et elles excitèrent dans nos provinces de l'est un élan presque égal à celui de 1792. Bourgeois, ouvriers, paysans, offrirent leurs bras. Des fédérations eurent lieu dans plusieurs provinces. La Bretagne en donna le signal. Les fédérés se mettaient à la disposition du gouvernement; mais Napo

1. Benjamin Constant, Mémoires sur les Cent-Jours. Cette conversation en rappelle une autre du commencement de 1813, entre l'Empereur et le comte de Narbonne, où quelques-unes de ces pensées, surtout la dernière, se retrouvent. Souvenirs contemporains d'histoire et de littérature, de M. Villemain, p. 287.

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