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en avant du Var, et les fortifications d'Huningue durent être détruites, sans pouvoir jamais être relevées. Cette ville avait mérité ce sort par l'héroïque défense qu'y avait faite une garnison de 135 hommes, du 25 juin au 27 août. Auxonne n'avait aussi capitulé que ce jour-là, 55 jours après la seconde capitulation de Paris.

Ainsi, après vingt-cinq ans de victoires, le territoire national se trouvait moins étendu, sur certains points, qu'il ne l'était un siècle plus tôt, à la fin du règne de Louis XIV; et pendant ce siècle, les autres puissances avaient toutes démesurément augmenté leurs forces. La Prusse était devenue, de simple électorat, une grande monarchie; la Russie, qui alors naissait à peine, était un colosse; l'Angleterre avait gagné aux Indes cent millions de sujets et avait saisi l'empire de l'Océan la France n'était donc pas affaiblie seulement de ce qu'elle perdait, mais de tout ce que ses rivaux avaient gagné.

En outre les traités de 1815 avaient perfidement entr'ouvert sa frontière. Philippeville, Marienbourg et Bouillon couvraient les débouchés de l'Ardenne nous n'avons plus de ce côté que Rocroy; Sarrelouis couvrait la large trouée entre la Moselle et les Vosges; Landau empêchait de tourner ces montagnes et défendait les approches de Strasbourg; tous ces passages sont ouverts. Huningue, abattu, ne peut plus menacer Bâle de son canon et fermer le pont de cette ville sur le Rhin; la Savoie, rendue au Piémont, nous éloignait des Alpes, notre frontière. La Bavière, notre vieille alliée dans l'Allemagne, fut mise à nos portes, dans le Palatinat, pour y devenir notre ennemie la Prusse fut établie dans la vallée de la Moselle, pour nous y arrêter, si nous voulions sortir de Metz et de Thionville; le royaume des Pays-Bas fut élevé pour nous tenir éloignés des bouches de la Meuse et de l'Escaut, et le don du royaume de Lombardie à l'Autriche rétablissait dans la péninsule italique l'influence autrichienne aux dépens de la nôtre, qui en fut exclue. Enfin, par le traité de la Sainte-Alliance, cette Europe que Napoléon avait voulu réunir sous sa main, se réunissait, mais contre nous, et cette union a duré quarante ans.

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Heureusement la France conservait ce qu'on ne pouvait lui ôter, son admirable position entre deux mers et au vrai centre de l'Europe, sa forte unité, son esprit national, le souvenir de cent victoires, gage assuré de victoires nouvelles, si

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elles étaient nécessaires, et ces principes de 1789, qui sont toujours le fondement de notre droit public et l'espoir des nations. C'est pour cela que, malgré nos revers et malgré leurs millions de soldats, les puissances continentales redoutaient encore les glorieux vaincus de 1815, même avant qu'ils fussent redevenus les vainqueurs de l'Alma, de Sébastopol et de Solferino.

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Réaction royaliste. Les royalistes se vengèrent cruellement de leur second exil. Le général Labédoyère, les frères Faucher, les généraux Mouton-Duvernet, Chartrand, furent fusillés. Le maréchal Ney, condamné à mort par la cour des Pairs, fut exécuté le 7 décembre, dans l'avenue de l'Observatoire. « Soldats, droit au cœur, " dit, en commandant le feu, le héros de la Moskowa. Le maréchal Brune, les généraux Ramel et Lagarde furent assassinés, et une sanglante réaction frappa dans tout le midi les hommes dévoués au régime impérial, même des royalistes que l'on ne jugeait pas assez ardents. Une loi du 4 décembre 1815 institua pour trois ans des cours prévôtales qui s'attirèrent bientôt une sinistre renommée. La monarchie restaurée eut ses massacres, sa terreur, qu'on appelle la terreur blanche.

Au lieu de modérer ce mouvement des esprits, la Chambre des députés fit elle-même la guerre aux principes de la Révolution. Elle essaya, malgré le roi, d'effacer la Charte. Louis XVIII fut obligé de renvoyer ces serviteurs trop dévoués; il prit pour ministre le duc de Richelieu, puis le duc Decazes, et une nouvelle Chambre plus modérée commença l'ère du gouvernement représentatif dans notre pays. Cette Chambre adopta la loi qui assurait le recrutement de l'armée par la conscription, et limitait à six ans le service militaire . loi qui a gardé le nom de son auteur, le maréchal Gouvion SaintCyr. L'année 1818 vit enfin cesser l'occupation du territoire français

par les armées étrangères. La Sainte-Alliance voulut bien retirer ses soldats avant le temps fixé par les traités.

Assassinat du duc de Berri. — Jusqu'en 1819, les progrès des libéraux furent lents, mais certains, et ils allaient saisir la majorité, quand le roi, croyant être allé trop loin dans ce sens, se rapprocha du parti contraire. Ce système de bascule, comme on l'appela, ne pouvait contenter personne. L'assassinat du duc de Berri rompit l'équilibre au profit des royalistes. Le 13 février 1820, le duc de Berri était à l'Opéra : à dix heures du soir, il voulut reconduire la duchesse à sa voiture, et, au moment où il lui disait adieu, un misérable, Louvel, survint et le poignarda, sans qu'on eût à peine le temps de le voir. Louvel persista jusque sur l'échafaud à déclarer qu'il n'avait pas de complices. Les idées libérales furent rendues responsables de ce crime, et le nouveau ministère, qui fut alors formé, lança le gouvernement dans la voie funeste où il vint se briser en 1830.

Alliance de l'autel et du trône. La liberté individuelle fut suspendue, la censure des journaux rétablie, et le double vote institué pour faire passer l'influence politique aux mains des grands propriétaires qui votaient deux fois, au collège de département et au collége d'arrondissement. La naissance du duc de Bordeaux, fils posthume du duc de Berri (29 septembre 1820), la mort de Napoléon (5 mai 1821), augmentèrent la joie et les espérances des ultra-royalistes, qui firent arriver au ministère MM. de Villèle et Corbière. Alors on parla tout haut de rétablir l'autorité royale dans ses anciennes prérogatives et de rendre au clergé son influence politique. Les jésuites revenus en France et d'autres congrégations religieuses entreprirent de convertir le pays à ces idées d'un régime disparu.

Sociétés secrètes.— Les libéraux protestèrent, comme le font les partis opprimés, par des conspirations. A la congrégation formée par les ultra-royalistes, et qui comptait cinquante mille affiliés, ils opposèrent la charbonnerie, qui se recrutait surtout dans les écoles, le barreau et l'armée. Le carbonarisme étendait ses ramifications sur toute la France, dans l'Allemagne, l'Italie et l'Espagne. Il essaya plusieurs insurrections à main armée. En 1820, le capitaine Nantil, plus tard le général Berton, le colonel Caron, le capitaine Vallé et quatre sous-officiers de la Rochelle furent condamnés et exécutés, excepté Nantil qui échappa par la fuite.

Expédition d'Espagne. - Après avoir à l'intérieur effrayé les libéraux par des lois et par des supplices, le ministère chargea une armée d'aller étouffer en Espagne l'esprit révolutionnaire et libéral, comme on venait de l'étouffer en Allemagne, à Naples et dans le Piémont.

Cette expédition, commandée par le duc d'Angoulême, avait pour but de rendre à Ferdinand VII son autorité absolue sur ses sujets qui voulaient le contraindre à donner une constitution. L'armée française, qui agissait au nom de la Sainte-Alliance réunie en congrès

à Vérone (1822), entra en Espagne le 7 avril 1823. Elle eut peu d'occasions de combattre et ne rencontra de résistance sérieuse qu'à Cadix dont elle fit le siége. Le 31 août nos troupes s'emparèrent, après un brillant assaut, de la forte position du Trocadéro, et ce succès détermina la reddition de la ville. Rétabli par nos armes, Ferdinand VII n'en écouta que moins nos conseils, et fit peser un joug plus dur sur son royaume. Cette expédition ne put donc, comme l'avait espéré Chateaubriand, alors ministre, faire rejaillir sur la branche aînée des Bourbons assez de gloire militaire pour la réconcilier avec le pays. Le ministère et la congrégation y puisèrent une confiance fatale que les élections augmentèrent encore, parce qu'elles ne laissèrent entrer à la Chambre que dix-neuf députés libéraux. Courier, Béranger. Mais derrière eux et avec eux était le pays tout entier qui applaudissait aux arrêts de la magistrature, devenue libérale depuis que la congrégation était menaçante, et qui surtout lisait avidement les pamphlets de Paul-Louis Courier et les chansons de Béranger. Béranger continuait, même en prison, à chansonner le Gouvernement, à attaquer cette union dangereuse du trône et de l'autel. Béranger évoquait les glorieux souvenirs de l'Empire et réveillait le patriotisme des Français. Aussi, lorsqu'il mourut, en 1857, l'empereur Napoléon III voulut que l'État fît les frais des funérailles de ce poëte populaire et national.

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Charles X, M. de Villèle.- La mort de Louis XVIII, roi prudent et modéré, parut devoir assurer le triomphe des ultra-royalistes en faisant passer la couronne sur la tête de son frère Charles X (1824). Un de ceux qui, en 1789, avaient donné le signal de l'émigration, depuis longtemps ennemi du nouveau régime, ce prince se croyait appelé à faire revivre en France la foi à l'ancienne monarchie. Dès les premiers jours de son règne, il fit demander aux Chambres par M. de Villèle une indemnité d'un milliard pour les émigrés, le rétablissement des couvents de femmes, celui du droit d'atnesse, et la dure loi du sacrilege contre les délits commis dans les églises. Les députés accordèrent tout; il n'y eut de résistance qu'à la Chambre des pairs, qui par cette opposition gagna quelques jours de popularité.

Au mois de mai 1825, le nouveau roi fit renouveler en sa faveur l'antique cérémonie du sacre. A cette fête royale répondit une manifestation populaire. Un des chefs du parti libéral, le général Foy, venait de mourir. Cent mille personnes suivirent ses funérailles, et une souscription nationale assura l'avenir de ses enfants.

La conduite du ministère avait irrité contre lui la population de toutes les grandes villes. Paris surtout lui était hostile. A une revue de la garde nationale, que le roi passa lui-même au mois d'avril 1827, le cri Vive la charte! retentit dans tous les rangs. Le soir même, la garde nationale fut licenciée. C'était une faute, car la royauté, en achevant d'éloigner d'elle toute la classe moyenne, se trouva avec ses seules forces en face d'une révolution prochaine. Le ministère

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