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la question (mai 1590), mais rendait la haine des ligueurs plus furieuse. Le 24 juillet, le roi fit donner un assaut au bout de deux heures les faubourgs furent emportés.

La détresse fut alors à son comble; après avoir diminué chaque jour la ration de pain qu'on distribuait au peuple, le corps de ville ne donna plus rien; chacun eut à se pourvoir. On abattit les chevaux, ânes, mulets qui survivaient encore. Tout ce qui avait vie, même des animaux immondes, fut traqué, dévoré. La duchesse de Montpensier refusa de céder un petit chien qu'elle gardait, disait-elle, « comme dernière ressource pour sa propre vie. Quelques-uns pilèrent des ossements de morts pour en faire une sorte de pâte, et moururent de cet affreux aliment. Chose horrible! les hommes d'armes commençaient à faire la chasse aux petits enfants; une mère mangea le sien.

Il y a bien souvent la légende à côté de l'histoire. C'est à la légende qu'appartient le Henri IV laissant entrer des vivres dans Paris qu'il assiége; celui de l'histoire tance vivement ses serviteurs d'O, de Givry et d'autres qui se relâchaient de la sévérité ordinaire en pareille occurrence en faisant passer quelques secours aux amis qu'ils avaient dans la place. Si sa bonté ne va pas jusqu'à leur laisser défaire d'une main ce qu'il fait de l'autre, elle l'attendrit du moins au spectacle de tant de maux. « J'aimerais quasi mieux, disait-il, n'avoir point de Paris, que de l'avoir ruiné par la mort de tant de personnes... et un jour qu'il rencontra des paysans qu'on menait pendre pour avoir été surpris introduisant une charrette de pain par une poterne, il les fit relâcher, leur distribua quelque argent et leur dit : « Le Béarnais est pauvre; s'il avait davantage, il vous donnerait plus. »

Intervention du duc de Parme et des Espagnols (1590). Dans la crainte de perdre les Pays-Bas, alors fortement inquiétés par Maurice de Nassau, Philippe II n'avait qu'à la dernière extrémité donné ordre à son meilleur général de secourir les Parisiens. Parti de Valenciennes le 3 août, le duc de Parme arriva à Meaux le 23, fort à temps, car le siége durait depuis quatre mois. Déjà les politiques, quoique bien peu nombreux, avaient levé la tête et crié dans les rues : Du pain ou la paix! « Deux jours encore, et ceux de Paris, dit une relation, eussent été obligés d'ouvrir les portes à Henri IV et mème de le prier d'entrer dedans. » Le roi alla au-devant des Espagnols pour les combattre dans les plaines de Chelles.

Le duc de Parme, habile tacticien, escarmoucha avec les Français, les occupa pendant quatre jours, et le cinquième, a la faveur d'un épais brouillard, surprit Lagny qui commande les approvisionnements de Paris par la Marne, comme Corbeil par la Seine; et de cette ville il lança une nombreuse flottille de bateaux avec des soldats et des vivres, afin de ravitailler Paris. Tout l'effort d'une laborieuse campagne était perdu.

Intervention des Anglais et des Allemands; prise de Chartres (1591). - Pendant l'hiver, le vicomte de Tu

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renne, un des plus habiles du parti, fut envoyé en Angleterre et en Allemagne. Il obtint 700 Angiais d'Élisabeth, 2000 Hollandais de Maurice, et leva en Allemagne 4000 chevaux et 8000 fantassins qu'il amena lui-même. Il reçut du roi, en récompense de ces signalés services, la main de l'héritière de la petite souveraineté de Bouillon et de Sedan, sur les frontières

1. Cette porte est la seule qui subsiste des sept portes fortifiées qui donnaient autrefois accès dans la ville.

de la Champagne. Turenne n'avait point encore rejoint le roi, que Henri IV avait pris (19 avril 1591) le grenier de Paris, Chartres, et comme les neuf dixièmes des évêques de France l'avaient reconnu, il fit tenir dans cette ville un concile national qui déclara nulles et non avenues de nouvelles excommunications lancées par le pape Grégoire XIV contre lui. Il ne fallait plus songer à prendre Paris, où 4000 Espagnols tenaient garnison; mais Henri, pour investir de loin sa capitale et lui couper les arrivages de la Normandie, comme il venait, en prenant Chartres, de lui couper ceux de la Beauce, parut tout à coup devant Rouen (novembre 1591).

Siége de Rouen (1591-1592); combats d'Aumale et d'Yvetot (1592). Ce fut un second siége de Paris ; la Ligue y était très-forte, et la défense fut dirigée par un homme d'énergie et de ressources, Villars-Brancas, gouverneur de Normandie. Si la famine ne fut pas aussi grande, les attaques furent bien plus sanglantes. Le dục de Parme vint encore une fois des Pays-Bas pour délivrer la place, en mars 1502. Henri IV ne voulut pas, cette fois, renouveler la faute qu'il avait faite devant Paris. Il laissa Biron avec son infanterie continuerl ége, et à la tête d'une cavalerie leste et brave de 7000 hommes, il courut au-devant de l'ennemi. A Aumale, il s'aventura avec 600 cavaliers, au milieu de l'armée espagnole, reçut un coup de mousquet, et ne s'en tira que parce que le duc de Parme ne put croire que ce fût le roi de France qui était venu faire ainsi le coup de pistolet dans ses lignes « comme un carabin. » Biron cependant fut forcé de lever le siége de Rouen (avril). Le duc de Parme entra dans la place, et dégagea la Seine en prenant Caudebec, mais il reçut une blessure que sa mauvaise santé rendit mortelle. Pendant qu'il était retenu sur son lit de souffrance, Henri IV attaqua son armée à Yvetot, lui tua 3000 hommes, et l'enferma dans une position qui semblait désespérée, entre la Seine et la mer. « Vive Dieu! s'écria-t-il avec sa gaieté or. dinaire, si je perds le royaume de France, je suis en possession de celui d'Yvetot'. » Le duc de Parme se tira cependant de ce mauvais pas; des bateaux secrètement préparés à Rouen descendirent rapidement la Seine, avec le reflux, jusqu'à Caudebec; en une nuit l'armée passa sur l'autre rive; elle était

1. Yvetot, terre allodiale, la seule qni subsistât au nord de la Loire, et dont le seigneur ne rendait hommage à personne, était quelquefois, à cause de cette circonstance, appelé le roi d'Yvetot.

sauvée, et regagna sans encombre les Pays-Bas. Mais le duc ne put aller plus loin qu'Arras; il y mourut le 3 décembre.

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Une fois ce grand homme de guerre avait arraché la victoire

1. Caudebec était alors une des villes les plus commerçantes de la basse Seine. Quand Henri IV arriva devant le portail de son église, charmante Construction du quinzième siècle, il s'écria: « Voilà la plus belle chapelle que j'aie jamais vue. » La révocation de l'édit de Nantes a tué son industrie; Rouen et le Havre ont tué son commerce.

des mains du roi, et retardé la fin de la crise. Heureusement la Ligue travaillait elle-même pour Henri IV.

Les Seize. Depuis la suppression du conseil général de l'Union, une lutte sourde avait toujours existé entre Mayenne et les Seize, c'est-à-dire entre la fraction aristocratique et la fraction démocratique de la Ligue; entre le parti français et le parti espagnol. Les revers de Mayenne, les premiers succès du duc de Parme rendirent aux Seize la puissance qu'ils avaient un instant perdue. Ils commencèrent à accuser hautement « la tyrannie de la noblesse et l'injustice des chefs de justice qui ruinaient l'autorité et la puissance des ecclésiastiques et la liberté du peuple. » Depuis la mort du Balafré, à Blois, son fils était retenu au château de Tours; il s'évada le 15 août 1591, et accourut à Paris plein de l'ardeur et de la haine qu'il avait amassées durant ses deux années de captivité. Les Seize crurent trouver en lui le chef qui leur convenait; ils firent luire à ses yeux l'espérance d'épouser la fille de Philippe II et de s'asseoir avec elle sur le trône de France.

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Exécutions ordonnées par les Seize (1591): démagogie de la Ligue. Pendant les dernières opérations autour de Rouen, les prédications avaient pris un caractère farouche. L'un disait ouvertement qu'il fallait jouer au couteau; l'autre demandait « une nouvelle saignée contre les politiques. Des figures sinistres se montraient. Le 15 novembre (1591), Bussy-Leclerc, Crucé et les plus animés de la faction prirent les armes, se rendirent au Palais, en arrachèrent le président Brisson, les conseillers Claude Larcher et Jean Tardif, et les conduisirent au Châtelet, où un prêtre et le bourreau les attendaient. Brisson demanda en vain d'être mis au pain et à l'eau entre quatre murailles pour y achever un livre qu'il avait commencé. Il fut pendu sur l'heure. Ces chefs du parlement étaient à la fois les partisans de Mayenne et de l'autorité monarchique; leur mort fut le signal du pillage et du meurtre d'un certain nombre de suspects. Le but de la conspiration était de s'assurer du pouvoir pour dominer les états qui allaient s'assembler, puis d'y faire élire un roi catholique, tenu d'établir l'inquisition en France, de respecter les priviléges reconquis du clergé et des communes, et de se soumettre aux résolutions arrêtées par les états, désormais réunis tous les cinq ans. C'était en un mot, pour la religion, l'introduction en France du régime qui a été si fatal à l'Italie et à l'Espagne; pour la politique, la destruction de la

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