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Bernard.

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CHAPITRE TROISIÈME

Séance du Sénat du 1er mars 1899. Adjuration prophétique de << Pensez-vous qu'il serait sage de ne pas prévoir, en cas de revision du procès Dreyfus, un conflit entre l'arrêt ds la cour de cassation et le jugement du conseil de guerre qui le suivra? Vous êtes des hommes politiques; vous devez être avisés; légiférez que la Cour de cassation, toutes Chambres réunies, statuera sur le fond sans renvoi, si elle prononce la revision. >> Vote de la loi d'adjonction par le Sénat.

Le 1er mars, Rochefort dit son mot sur la délibération sénatoriale dans « Royalistes et Républicains. »

A cette heure, le type du libéral, du républicain et du socialiste est, pour les collectivistes dreyfusards, représenté par qui? Par le vieux sénateur Bérenger, ancien magistrat de l'Empire et qui, à l'instar de Ribot, autre dreyfusiste, nous appliquait, à nous qui combattions alors sans relâche pour l'avènement de la République, les peines les plus dures que continssent les infâmes décrets du Coup d'Etat.

an

Ce sera l'éternelle honte de cette radicaille et de cette extrême gauche vendues aux juifs et aux traîtres, d'en être arrivées à se serrer autour d'un infect vieillard, cien pourvoyeur des geôles bonapartistes. Et il leur est désormais interdit de renier cette attache: hier, leurs

journaux, que le Syndicat a presque tous sauvés de la faillite, s'extasiaient devant l'éloquence dreyfusarde de l'ancien porte-clefs et porte-coton de Napoléon III.

Ce n'est pas, comme on l'a prétendu, l'amour, c'est surtout l'argent qui rapproche les distances.

Les représailles du clown contre Bérenger sont moins somnifères que celles du prophète : mais le thème en est pareil: «L'or coule à flots» vaut. « L'argent rapproche les distances. » Ce thème révèle l'anémie cérébrale des clients du clown et du prophète. Clown et prophète font la paire. A eux deux, ils sont en peine de jeter leur ordure assez haut pour atteindre l'ancien « porte clefs et porte-coton » de Napoléon III. Grâce aux outrages impuissants du prophète et du clown, l'histoire retient que le parti conservateur ne compte pas exclusivement des sots et des lâches. Bérenger a une conscience. Il lui obéit, de préférence aux menaces du clown et du prophète. L'historien salue l'homme de bien, qui refuse sa part de la honte ineffaçable, où se noient les moutons de Panurge qui pré tendent personnifier religion et honneur, probité et vertus antiques.

Le 1°r mars 1899, le Sénat poursuit et termine la délibération du projet de loi qui adjoint les Chambres civiles de la Cour de Cassation aux juges saisis de la revision du procès Dreyfus.

1.

Intervention de Bernard. Réplique du Garde des Sceaux. Entente sur le texte des deux premiers paragraphes du projet de loi. Intervention de Léonce de Sal. - «La rédaction du

-

second paragraphe est mal compréhensible. » — Réplique du

Garde des Sceaux.

M. LE PRÉSIDENT.

L'ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi, adopté par la Chambre des Députés, portant modification de l'article 445 du Code d'instruction criminelle.

Nous en sommes arrivés à la discussion de l'amendement de M. Bernard.

D'autre part, M. de Sal a demandé la parole sur l'article unique.

Il conviendrait peut-être de mettre d'abord en discussion l'amendement.

M. BERNARD.

Mon amendement ne diffère du projet de loi que sur le troisième paragraphe ; il ne peut donc venir en discussion que si les deux premiers paragraphes sont adoptés. M. LE PRÉSIDENT. Les deux premiers paragraphes de votre nouvel amendement diffèrent du texte du projet, en ce sens qu'il y a joint plusieurs mots. Il est ainsi conçu : Rédiger ainsi qu'il suit l'article 445:

«En cas de recevabilité, la chambre criminelle statuera sur la demande en revision, si l'affaire est en état.

« Si l'affaire n'est pas en état, la chambre criminelle procédera directement ou par commissions rogatoires à toutes enquêtes sur le fond, confrontations, reconnaissances d'identité, interrogatoires et tous moyens propres à mettre la vérité en évidence. Après la fin de l'instruction, il sera alors statué par les chambres réunies de la Cour de cassation sur la demande en revision, ensuite de débats publics et contradictoires.

<< Toutes les fois que la chambre criminelle, dans le cas du paragraphe premier, ou les Chambres réunies, dans le cas du paragraphe 2, décideront qu'il y a lieu à revision, la Cour de cassation, Chambres réunies, devra statuer sur le fond, sans renvoi, soit de plano, s'il n'existe plus de charges contre la partie condamnée, soit en procédant à de nouveaux débats oraux et contradictoires, selon les règles de procédure suivies devant la juridiction dont la sentence aura été annulée par l'arrêt déclarant qu'il y a lieu à revision. » M. LEBRET, Garde des Sceaux. L'amendement de M. Bernard contient, dans le second paragraphe, une première différence avec le texte du Gouvernement; il a rétabli le mot interrogatoire omis par nous. Sur ce point, M. Bernard reconnaît que les déclarations du Gouvernement lui suffisent.

Une autre différence provient de ce que nous disons : et moyens, alors que M. Bernard dit et tous moyens. Or, l'adjonction de ce mot tous, qui n'est pas nécessaire, suffirait à renvoyer le projet devant la Chambre.

M. BERNARD. Je le supprime volontiers.

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M. LE GARDE DES SCEAUX. - M. Bernard introduit à la fin du même paragraphe les mots : après débats publics et contradictoires. Ces mots sont inutiles, ils ne figurent pas dans le Code d'instruction criminelle, et cependant, il n'y a pas de doute sur ce point, et on peut citer des exemples, les débats en matière de revision sont publics et contradictoires.

Si pour les deux premiers paragraphes M. Bernard consent à supprimer ces modifications, on peut mettre aux voix le texte du Gouvernement.

M. BERNARD. Les explications de M. le Garde des Sceaux me donnent satisfaction; je consens à supprimer les mots débats publics et contradictoires, à condition que le fait existe.

M. LE PRÉSIDENT.

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- La parole est à M. de Sal. M. DE SAL. Je voudrais avoir une explication de la Commission. Le paragraphe 2 de l'article unique est ainsi

conçu :

<< En cas de recevabilité, la chambre criminelle statuera sur la demande en revision, si l'affaire est en état. »

Or, en ce qui concerne l'affaire en ce moment soumise à la chambre criminelle, on ne peut pas dire qu'elle n'est pas en état à l'heure actuelle; la recevabilité remonte à une époque déjà éloignée; l'enquête a été faite; elle a même duré assez longtemps.

Du moment que l'instruction est finie, l'affaire est en état; elle est si bien état que le dossier a été envoyé au procureur général. Néanmoins, on me dit : la chambre criminelle ne pourra pas statuer seule dans cette affaire.

Si l'on se reporte aux travaux préparatoires de la Commission, on y voit que l'affaire, quoique en état, n'est pas en état.

Que veut dire ce français? Comment expliquer que cette affaire qui est en état ne pourra pas être jugée par la chambre criminelle, alors que le paragraphe 2 du projet dit le contraire?

On me dira peut-être qu'il ne faut pas modifier le texte, pour éviter un renvoi à la Chambre, et parce que les moments sont précieux. Il me tarde autant qu'à d'autres d'avoir une solution mais il faut encore avoir un texte compréhensible.

Je m'étonne qu'une loi qu'on a eu le temps de préparer ne soit pas plus claire et qu'on ne puisse pas, à la lecture, en deviner le sens et la portée. (Très bien! très bien! sur un certain nombre de bancs.)

M. LEBRET, Garde des Sceaux, Ministre de la Justice. J'avais déjà entendu parler, notamment dans le sein de la Commission, de la difficulté que vient de soulever M. de Sal. J'avoue, Messieurs, que je ne comprends pas bien ce qu'on nous objecte.

Le texte du projet de loi est en effet très clair. Il envisage. deux hypothèses :

Première hypothèse la recevabilité étant admise, si l'affairé est en état, c'est-à-dire s'il n'y a pas besoin d'enquête pour éclaircir les faits, la chambre criminelle statue immédiatement.

Seconde hypothèse: Si l'affaire n'est pas en état, l'enquête est faite par la chambre criminelle, mais ce sont les chambres réunies qui prononcent.

Voilà le texte. Comment l'interpréter en ce qui concerne l'affaire pendante? C'est bien simple. L'arrêt de recevabilité a déclaré que l'affaire n'était pas en état. Donc elle ne peut être jugée que par les chambres réunies. (Mouvements divers.) M. DE SAL. Vous ne m'avez pas répondu !

2.

Intervention de Lecomte. << Il faut ajouter huit mots au second paragraphe, pour qu'il réponde à l'intention du législateur.»- Réplique du Président de Commission. «La rédaction est claire, elle correspond à l'intention du législateur. >> - Duplique de Lecomte.

M. MAXIME LECOMTE. Une voix éloquente a dit, hier, du projet de loi qu'il était «< mal venu. » Il n'en peut être autrement. Ce qui est mal conçu est toujours mal exprimé. (Rires approbatifs.)

L'imperfection du fond entraîne forcément l'imperfection de la forme. Le Gouvernement ne tardera pas à s'en apercevoir.

Je l'avertis charitablement que, son texte à la main, les chambres réunies de la Cour de cassation auront le droit et même le devoir de repousser l'odieux présent qu'on veut leur faire (Ah! Ah!)

Elles ne pourront pas se saisir de l'affaire Dreyfus; elles

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