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Me Mimerel s'efforce de démontrer le néant de cette quintuple accusation.

Il insiste surtout sur le « petit bleu. » D'après le représentant du lieutenant-colonel Picquart, les experts auraient trouvé des ressemblances graphiques entre l'écriture de la carte-télégramme et celle d'une autre pièce, écrite au crayon noir et signée C... comme le petit bleu. >>

Il est donc nécessaire, dit Me Mimerel, de faire une expertise sérieuse avec des pièces de comparaison authentiques de l'écriture du « petit bleu, » en la comparant à celle de l'agent de chez qui il doit provenir; de s'assurer de ce qui est l'écriture de la pièce au crayon signée C..., écriture que les experts affirment ressembler à celle du « petit bleu. >>

L'expertise faite à l'instruction Tavernier montre que cette apparence a été donnée à la pièce après coup. Il serait dans l'intérêt de la vérité de rechercher qui lui a donné cette apparence frauduleuse.

En terminant sa plaidoirie, Mc Mimerel s'écrie:

Quelle que soit la juridiction devant laquelle il sera renvoyé, le lieutenant-colonel Picquart ira la tête haute, en homme qui n'a pas hésité à tout sacrifier pour accomplir une œuvre de justice et faire, en un mot, son devoir.

CHAPITRE DEUXIÈME

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Audience de la Cour de cassation du 3 mars 1899. Drumont dispose ses injures contre Atthalin dans la bouche des avocats favorables à la cause de Dreyfus.

Le 3 mars se tient la deuxième audience du règlement de juges de Picquart. En voici le compte-rendu, d'après le Matin.

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1. Réquisitoire du procureur général.

Au début de l'audience de la chambre criminelle, la parole est donnée à M. Manau, pour le prononcé de son réquisitoire.

Après avoir défendu la chambre criminelle et son président contre le reproche immérité, dit-il, d'avoir fait subir à cette affaire des retards exagérés, » le procureur général recherche, à l'exemple du conseiller Atthalin et de Me Mimerel, s'il y a connexité légale entre les faits retenus par le conseil de guerre et ceux qui le sont par le tribunal correctionnel.

C'est là la grande règle. Il importe à la bonne administration de la justice, lorsque la connexité apparaît, d'après les documents d'une affaire, que tous les auteurs ou complices des mêmes faits délictueux ou de faits connexes soient sou

mis à un même débat, traduits devant le même juge, et qu'il soit statué à leur égard par un seul et même arrêt. En un mot, il suffit que l'unité du débat et du jugement s'offre comme garantissant, d'une manière plus forte, la manifestation, souvent laborieuse, de la vérité.

Le procureur général examine les divers faits relevés par les préventions et donne les raisons, exclusivement juridiques, qui, après un examen minutieux des dossiers, l'ont déterminé à proposer l'admission, sur tous les points, de la requête en règlement de juges, et il apprécie les avis des parquets civil et militaire.

Il montre que la prorogation de la juridiction civile s'impose lorsqu'un civil se trouve placé, par la prévention, à côté du militaire », et que « s'il y a connexité avec un autre fait où un civil est impliqué, c'est la juridiction de droit commun qui prévaut. »

M. Manau indique ensuite comment, selon lui, doit s'opérer ce règlement des juges :

Pouvez-vous renvoyer devant le conseil de guerre Picquart et Leblois? dit-il. C'est impossible.

La présence de Leblois, qu'on a mis au procès, même sur un seul point, ne le permet pas. Le conseil de guerre est un tribunal d'exception. Sa compétence ne peut être prorogée. La prorogation ne peut se faire qu'au profit d'un tribunal de droit commun, qui est investi de la plénitude légale de juridiction.

C'est là une doctrine ancienne et incontestable qui a pour soutien des hommes comme d'Argentré, Loyseau, Henrion de Pansey dans le passé, la doctrine et la jurisprudence dans le présent, d'accord avec la loi.

Si donc vous réglez de juges, comme nous vous le proposons formellement, vous ne pouvez que renvoyer devant la chambre des mises en accusation, supérieure au juge d'instruction et au tribunal, la prévention, tant des crimes que des délits qui vous paraîtront connexes, à un degré ou à un autre, sans être arrêtés par la présence de Picquart, à raison de sa qualité.

Seulement, votre arrêt étant souverain sur la connexité des faits, cette chambre n'aura plus qu'à renvoyer l'affaire devant le juge du fait le plus grave, qui entraînera avec lui

tous ceux que vous aurez déclarés connexes, et à ordonner que la procédure sera suivie suivant les règles du code d'instruction criminelle.

En terminant, le procureur général examine la question de savoir si « le silence de M. Leblois, renvoyé en police correctionnelle avec Picquart par une ordonnance ayant acquis l'autorité de la chose jugée, peut paralyser la requête en règlement de juges presentée par le lieutenant-colonel Picquart. »

Il répond par la négative.

A l'heure qu'il est, Leblois entraîne Picquart devant les juges que vous leur donnerez à tous deux et qui vis-à-vis de lui, Leblois, ne peuvent en aucun cas être ceux du conseil de guerre. A son tour, par la force des principes, si vous reconnaissez la connexité, Picquart l'entraîne à son tour, devant les juges du droit commun, à cause de la connexité existant entre le faux et l'usage de faux avec le délit correctionnel.

Un arrêt du 16 avril 1856 a, d'ailleurs, tranché la question en ce sens.

M. Manau conclut formellement à l'admission de la requête sur tous les points.

Tel est, messieurs, dit-il, le résultat de l'examen minutieux que nous avons eu à faire des deux énormes dossiers. Il nous a fallu y consacrer de longues heures et de longues méditations pour arriver à vous donner des conclusions documentées sur les éléments qu'ils renferment.

Ces conclusions, nous vous les livrons, avec la sérénité d'une conscience que rien ne trouble, soutenue qu'elle est par la force invincible que donnent le sentiment du devoir et l'unique désir de faire toujours triompher la justice par la Vérité et par la Loi.

2. L'arrêt de la Chambre criminelle.

La cour se retire pour délibérer. Après quatre heures de délibération, elle rend un arrêt dont voici les passages essentiels :

Attendu pour le demandeur Picquart qu'une or onnance du juge d'instruction l'a renvoyé devant une juridiction correctionnelle sous la prévention d'avoir communiqué à Me Leblois, personne non qualifiée, les documents intéressant la sûreté extérieure de l'Etat (dossier de haute trahison d'Esterhazy);

Attendu que le demandeur, d'autre part, a été renvoyé devant le deuxième conseil de guerre de la division militaire de Paris, en vertu d'un ordre d'informer du 24 novembre 1898, pour :

Avoir fabriqué ou fait fabriquer une lettre missive adressée au commandant Esterhazy; pour avoir fait usage de ladite lettre; pour avoir communiqué à une personne non qualifiée, Me Leblois, un dossier d'espionnage Boulot et un dossier relatif au service des pigeons voyageurs, le dossier de trahison Dreyfus, dossiers assimilés à des documents intéressant la défense du territoire et la sûreté de l'Etat;

Attendu que pour demander attribution à une même juridiction des motifs susvisés, Picquart soutient qu'un lien de connexité existerait entre les faits qualifiés délits et qualifiés crimes;

Attendu qu'en fait, des documents de la procédure assignent comme but du crime de faux et usage de faux reprochés à Picquart l'intention de substituer une autre personne à Dreyfus et de faire proclamer son innocence;

Attendu que la communication à Leblois se rattacherait au même ordre d'idées en raison des circonstances et des préoccupations de Picquart;

Attendu, enfin, que la communication du dossier Esterhazy est attribuée, par les documents de la procédure et par le réquisitoire définitif, à la volonté d'innocenter Dreyfus et de provoquer des poursuises contre Esterhazy;

Qu'ainsi, d'après la prévention même, les faits seraient déterminés par la même cause et tendraient au même but;

Attendu que tous les faits sont connexes entre eux; qu'il importe à la bonne administration de la justice qu'ils soient soumis à un même débat devant une même juridiction, pour être statué par un seul et même arrêt;

Mais, attendu que, pour le dossier Boulot et pour le dossier des pigeons-voyageurs, il n'existe aucune connexité entre leur communication et les chefs ci-dessus, et que dès

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