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LIVRE SEPTIÈME

REVISION DE LA CONDAMNATION

DE DREYFUS

CHAPITRE PREMIER

Audience de la Cour de cassation du 20 mai. Le président

Ballot-Beaupré lit son rapport.

de Déroulède en Cour d'assises.

Première audience du procès
Rochefort vole au secours

des tables de la Loi, brisées par Ballot.

Le prophète récite les versets: «Une femme élégante et charmante me demanda de l'embrasser.» « Une brave paysanne, un peu hâlée, vint m'apporter des roses, merveilleusement écloses dans son jardin ». Hayard, l'empereur des camelots, s'est vanté naguère d'avoir organisé des ovations, autrement impressionnantes, en l'honneur du prophète. La femme élégante et la paysanne hâlée ont dû le faire sourire. Ce dont

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le prophète ne se vante pas, c'est du bouquet que lui offre une tierce admiratrice. Il est entouré d'une faveur jaune, sur laquelle s'étale ironiquement le verset du « récit succinct mais exact » : « Il n'y a qu'une chose pratique et sensée à faire, c'est de sortir de ce patelin que nous avons assez vu ».

M. Drumont n'est pas content et le genre badin ne lui sied point. La grimace convient mieux à son genre de beauté que le sourire; et, à forcer son talent, il demeure sans grâce.

Pour que la pirouette ait de la désinvolture, il faut le haut talon rouge... et la « manière ! » Virer sur le bas talon noir d'un gros soulier, c'est risquer de trébucher, et prêter à rire.

D'autant que ces lourdes gentillesses ne trompent personne, ni sur la vérité des faits, ni sur l'état réel des âmes.

M. Drumont, pas plus que M. Rochefort, n'est l'homme des foules. Tous deux adorent les mettre en rumeur; mais tous deux préfèrent, de beaucoup, les diriger d'un peu loin, rester hors de leur contact assez brutal, sur la passerelle du commandement. Sinon, l'un devient vert et l'autre blême : c'est nerveux !

Le Petit Dauphinois aurait, paraît-il, «< salement pro fané la Vérité » en prétendant que M. Drumont était très inquiet. C'est en ces termes que celui-ci s'en plaint.

Voilà ce qu'il en coûte de ne pas allier les apparences à la réalité; de ne pas connaître son « paroistre » ; et de ne pouvoir entendre causer librement ses meilleurs amislesquels, moins favorisés, blaguent à l'enviet l'éloquence et l'attitude du Maitre, en cas de gros temps.

L'exact est que M. Drumont, dans la cohue, perd son chapeau, ce qui lui donne l'air de perdre la tête; perd le Nord, ce qui lui donne l'air de perdre la boussole; s'en va à la dérive, en hêlant, avec des gestes de noyé.

Il rappelle ainsi ces oiseaux de nuit qu'un hasard a dérangés de leur trou, qu'aveugle la claire lumière et

dont le vol court, saccadé, se heurte à tout et par

tout.

Le noyé est mal à l'aise, le hibou est désagréablement surpris l'un et l'autre sont seulement déplacés des conditions d'atmosphère ou d'heure propices à leur organisme. Où a-t-on pris qu'ils soient «très inquiets? » Le Petit Dauphinois affligera les psychologues en s'en tenant ainsi aux choses visibles, aux seules allures, aux seuls aspects. Dans le tréfonds de son âme, M. Drumont était tout à fait rassuré. Seulement, il n'y paraissait pas: voilà!

D'autant qu'il semble que cela a chauffé dur, là-bas ! Je le regrette, parce qu'il m'aurait plu de garder uniquement pour nous, défenseurs de la Justice et de la Vérité, le monopole de certains souvenirs. Mais puisque le fait est accompli sans que ma volonté y soit pour rien, puisque pas un cheveu pourquoi M. Drumont a-t-il le cheveu juif? ne manque à la tête du Rabbin de l'Antisémitisme, il est bien permis de s'égayer un peu, en face ce juste retour des choses d'ici-bas.

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Ca ne peut pas toujours être les mêmes qu'on injurie, qu'on menace, qu'on «pile » à coups de poing ou qu'on assomme à coups de matraque, sur les marches du Palais de Justice à Paris, ou dans les boutiques du quartier juif, à Alger.

La place Grenette répond à la place Dauphine... et l'imbécillité des violences initiales est de légitimer, par avance, toutes représailles.

C'est désolant, pour les raisonneurs; pour ces canailles de gens bien élevés, comme Cornély, comme moi et quelques autres. Car nos plus majestueux arguments tombent devant la bonhomie têtue d'un socialo qui relève ses manches et répond:

J'ai trinqué le premier. Ce tour-ci, c'est moi qui régale !

Il faut croire qu'à Grenoble « la foule visiblement hostile» malgré le manque d'appétit de M. Drumont, en cris du moins, l'a régalé !

Le 29 mai, Rochefort publie : « Cour d'Assises et Cour de Cassation.

1.

Ils se prostituent, en échange de bureaux de poste
pour leurs maîtresses.

C'est aujourd'hui que s'ouvrent dans le même monument, témoin de tant d'horreurs, deux procès qui, pour être simultanés, n'en sont pas moins aussi dissemblables que possible.

Dans le prétoire de la cour d'assises, Déroulède et Habert expliqueront comment ils ont tenté d'arracher la France aux traîtres dans les mains desquels elle est tombée; et dans le prétoire de la Cour de cassation, l'ex-antidreyfusard Ballot-Beaupré conclura en faveur de la revision du procès d'un félon dont la culpabilité ne peut faire doute, fût-ce pour les magistrats les plus obtus, puisqu'il l'a imprudemment avouée à cinq ou six personnes.

Comme Dupuy, comme Lebret, tant que Félix Faure a vécu, le rapporteur Ballot-Beaupré s'est proclamé parfaitement convaincu de la légitimité de la condamnation de la pourriture qui emplit, à cette heure, de son infection, l'ancien et le nouveau mondes. Il s'agissait, en effet, de ne pas se faire exclure des faveurs, des banquets et des bals de l'Elysée.

Les invitations et prébendes de l'Elysée s'adressant aujourd'hui à ceux qui crachent sur l'honneur français, M. Ballot-Beaupré, au retour des obsèques de l'ancien président, s'est senti subitement envahir par un dreyfu sisme d'autant plus convaincu que ce pauvre Felix Faure n'était plus là pour le lui reprocher.

Dupuy et Lebret, qui servaient d'intermédiaires entre le Syndicat et le rapporteur de la Cour suprême, ont eu naturellement raison de ce dernier, comme Louis Bonaparte, après le Deux-Décembre, a eu raison de cette même Cour qui l'avait d'abord mis hors la loi.

Tout ça c'est une question de goût. Comme dans les restaurants à prix fixe, on offre à ces gens-là un certain

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