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fi les hommes n'euffent pu élever un aussi hurdi & auffi prodigieux édifice. Quelques fragmens de chapiteaux & de colonnes, qui existent encore, juftifient ce furnom; mais tous ces débris refpectables, ainfi que ceux des, Temples de Caftor & Pollux, de Minerve & de Cerès, font dans un tel état de délâbrement, qu'on peut à peine donner une idée, de leur plan & de leur conftruction. Dix-neuf planches font employées à rendre ce qu'on a pu delfiner de ces reítes précieux.

Les efprits y font encore plus dégradés que les monumens. La nature y est toujours riche & les hommes miferables. Tous les environs de cette antique cité offrent un pays & des afpects délicieux, qui contraftent fingulièrement avec les habitans de la nouvelle Agrigente, la plupart pauvres, triftes, devots & Lauvages.

Toute cette partie de la Sicile eft frappée de la même dégradation. En côtoyant toujours la mer, on cherche en vain l'antique ville de Géla, qui a totalement difparu; deux petites villes modernes, Alicata & Terranuova, fe difputent l'honneur de l'avoir remplacée.

La proximité où les Voyageurs fe trouvoient, dans cette partie de la Sicile, de l'ifle de Malte, les engagea à y faire une légère & rapide excurfion, dont il réfulte cependant pour le Voyage Pittorefque une fuite de vues, de plans & de cartes infiniment curieufes, & qui fuffifent pour donner une idée de la forme & des détails de ce rocher célèbre.

De

De retour fur les côtes de la Sicile, & après avoir doublé la pointe de l'ifle ou cap Paflaro, nos Deffinateurs arrivent à Syracufe, autrefois la Capitale de la Sicile, & l'une des plus riches & des plus magnifiques villes de l'Univers : il n'y en a peut-être aucune aujourd'hui qui foit plus pauvre, plus miférable, & qui ait plus fouffert de l'outrage des tems & des hommes.

On voit dans le plan détaillé ou vue à vol d'oifeau de l'antique Syracufe, que nous offre le Voyage Pittorefque, & qui a été fait d'après les Hiftoriens, les monumens & la defcription qu'en a laiffée Cicéron, que cette ville immenfe avoit vingt-un milles ou fept lieues de circuit, & qu'elle devoit être au moins de la grandeur de Paris. Les murailles qui l'entouToient & qui étoient bâties pour la sûreté, & non pour la ruine des citoyens, exiftent encore en grande partie. Son port, formé par la nature, l'un des plus beaux & des plus heureufement fitués qu'il y ait dans le monde, eft toujours le même; il n'y manque que des vaiffeaux. Les Grecs avoient décoré Syracufe. de tous les trélors des Arts. On fait que les Romains ayant pris cette ville, long-temps defendue par le génie d'Archimède, en enlevèrent les ftatues & les tableaux, chef-d'œeuvres des plus excellens Artiftes, pour en orner le triomphe du vainqueur, & fervir d'embelliffement à Rome, encore groffière & fauvage: le temps & les Barbares ont achevé Touvrage des Romains.

Le feul monument antique dont il exifte.quel No. 10, 3 Mars 1787,

B

ques reftes un peu confervés, eft un Temple de Minerve, on en a fait la Cathédrale de la moderne Syracuse. Le théâtre, autrefois le plus célèbre de la grande Grèce, n'offre plus que des débris informes. Le Temple de Jupi-, ter Olympien n'existe plus que dans deux fûts de colonnes tronquées, & à la place eft un Couvent dédié à la Vierge; mais on chercheroit en vain & le grand Temple d'Efculape décrit par Athénée, & celui de Diane, Divinité tutélaire de Syracufe, & les chapelles dépouillées par Verrès, & le tombeau d'Archimède, retrouvé par Cicéron.

Il femble que par une deftinée particulière à Syracufe, il n'y ait que les objets qui rapellent des idées affligeantes qui y exiftent encore en entier. Telles font ces carrières fameufes de Denys le Tyran, lieux redoutables à l'innocence, & où cet homme, affi méchant Prince que méchant Poëte, envoyoit jusqu'à ceux qui trouvoient fes vers mauvais. Chaque pays a eu fes carrières; & combien ont gémi dans ces gouffres, qui n'étoient pas plus criminels que Philoxene! telles font encore ces immenfes latomies, où des milliers d'Athéniens furent renfermés, & périrent de faim & de misère; enfin, ces catacombes, les plus vaftes que l'on connoiffe, & qui forment une ville fouterraine peuplée de tombeaux, L'afyle de la mort & du néant eft donc aujourd'hui ce qui peut nous donner une plus jufteidée de l'antique fplendeur & de la population de Syracufe. L'Auteur du Voyage Pittorefque n'a rien

oublié de rant d'objets divers: vingt deffins différens, & qui tous ont un attrait particulier, font confacrés à Syracufe & à les environs. Près du temple de Jupiter, en temontant la rivière de l'Anapus, & fur la fontaine Cyanée, nos Voyageurs trouvent le Papyrus, cette plante curienfe, & autrefois fi utile qui n'exifte dans le monde que fur les marais forme le Nil dans fes débordemens, & fur cette fontaine tranquille & ignorée : la defcription & les gravures qui la repréfentent, font également curieufes.

que

Après avoir vu, obfervé & deffiné tout ce que ce pays renferme de monumens & d'objets intéreffans, les Deffinateurs achèvent leurs coarfes Pittorefques, en paffant fur les ruines de Leontium, & fe retrouvent à Catage, après avoir fait ainsi, le crayon à la main, le tour de la Sicile entière.

Enfin, l'Auteur, pour ne rien laiffer à defirer de tout ce qui a trait à cette partie du Royaume de Naples, a réuni & donné comme fupplément à fon Ouvrage, un Mémoire de M. le Commandeur de Dolomieu contenant les obfervations les plus curieufes fur les volcans éteints, & l'hiftoire naturelle de cette partie de la Sicile. Il en eft de même d'une defcription des Ifles de Lipari, que cet habile Naturalifte a obfervées avec la Lagacité & fon exactitude ordinaires.

Le tout eft terminé par une explication fommaire des médailles de la Sicile, qui contient ce que les Antiquaires ont éc.it

de plus judicieux & de plus exact fur ce genre de monument fi inftructif pour la connoiffance de l'hiftoire & les progrès de l'art. Les foins particuliers que l'Auteur a apportés aux gravures de ces médailles, les rendent un des principaux ornemens du Voyage Pittorefque. Dix-huit planches font destinées à ce feul objet, & plus de 10 font confacrées à ce qui concerne la Sičile.

Teile eft l'efquiffe rapide d'un des Ouvrages les plus importans qu'ait fait entreprendre l'amour paffionné des Arts, & l'exécution eft digne de l'efprit & des vues qui l'ont infpiré. Rien n'y eft négligé, & l'on doit favoir gré à l'Auteur de s'être foutenu dans une auffi longue carrière avec le même foin & le même intérêt : une pareille entreprise femble même excéder les moyens & la fortune d'un particulier; mais tel eft le chatme de ces Arts pour cel i qui en eft inspiré, que toute idée d'économie, toute vue d'inté rêt difparoît, lorsqu'il eft queftion de leur gloire; c'eft une maîtreffe charmante, dont on eft enivré aucune dépense, aucune parare ne coûre pour qu'elle puiffe paroître avec plus d'éclat & d'avantages.

On fent qu'une telle production ne pouvoit être le fruit des travaux d'un feul homme; M. l'Abbé de S. *** aime à payer un jufte tribut d'éloges & de reconnoiffance à tous les talens qui l'ont fecondé dans cette vafte entreprife, & qui ont contribué à fa perfection. A la tête des Artiftes, il nomme MM. Fragonard & Robert, dont les deffins pleins

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