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devraient se placer l'appréciation et la critique. Mais ces hypothèses échappent tellement à l'expérience que par là même elles échappent aussi un peu à la critique. Néanmoins si l'on me demandait ce que je pense de cette idée de Charles Bonnet que l'ame doit être éternellement unie à un corps et qu'elle ne doit jamais exister à l'état d'esprit pur, sans me prononcer formellement en faveur de cette opinion, j'avouerais qu'elle n'a rien qui répugne à mon intelligence, et qu'elle a même l'avantage de nous aider à concevoir le passage de cette vie à une autre vie en ménageant une transition plus naturelle et moins brusque entre l'état actuel et l'état futur. Elle n'a rien non plus qui doive inquiéter les plus zélés spiritualistes, car elle ne nie nullement la distinction de l'ame et du corps, et elle ne se présente pas seulemeut sous les auspices de Charles Bonnet, mais encore sous les auspices de Leibnitz, que personne n'a jamais, que je sache, accusé de matérialisme.

Mais de toutes les hypothèses de Charles Bonnet sur l'état futur des êtres, celle qui sourit le plus à notre esprit, est celle de cette transformation ascendante, de ce perfectionnement continu de tous les êtres de la création depuis le dernier de tous jusqu'au premier de tous. L'expérience nous prouve que notre monde et les êtres qui l'habitent ont été d'abord moins parfaits qu'ils ne le sont aujourd'hui. Pourquoi ne pas conclure de ce qui s'est passé dans notre monde à ce qui doit s'y passer encore, pourquoi ne pas conclure de notre monde à l'univers tout entier ! La création tout entière ne peut-elle pas être conçue comme aspirant et s'élevant sans cesse à un état plus parfait en vertu d'une tendance, d'une force déposéefen elle par le créateur dès le commencement? Néanmoins quelque belles, quelque grandes que soient ces idées, il faut bien reconnaître avec Charles Bonnet que ce ne sont pas des vérités mathématiquement démontrées.

Lorsque nous cherchons à déterminer la nature et les conditions de l'état futur de l'homme, nous sommes dans le champ des conjectures, mais nous n'y sommes pas, mais nous faisons plus qu'une conjecture, lorque nous nous bornons à affirmer que cet état futur existe. Tout ne finit pas à la mort, la raison nous force à le croire. Mais comment notre existence est-elle alors modifiée, comment et par quels liens se rattache-t-elle à une existence antérieure? Sur cette autre question nous sommes réduits aux doutes et aux conjectures.

En ce qui concerne le problème de la destinée humaine, il serait peut-être prudent et sage de s'en tenir à ces paroles d'un ancien: Vita mutatur, non tollitur, la vie est changée, elle n'est pas détruite. Non, elle n'est pas détruite, il est impossible qu'elle soit détruite; voilà la pensée à laquelle il faut fermement s'attacher, mais comment la vie se conservet-elle, comment et de quelle manière est-elle changée, voilà un mystère que l'intelligence humaine aura bien de la peine à pénétrer, et sur ce point les idées de Charles Bonnet ne peuvent être présentées que comme il les présente lui-même, c'est-à-dire comme de grandes et consolantes conjectures. Francisque Bouillier.

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Vous avez reçu deux opuscules auxquels leur auteur à joint la demande de vous appartenir en qualité de correspondant. Les trois commissaires que, dans votre séance du 27 avril dernier, vous avez nommés pour les examiner et vous présenter un rapport, sont MM. Péricaud, Bredin et (1) Ce rapport était destiné à rester enseveli dans les cartons de l'Académic; mais une feuille quotidienne de notre ville en ayant rapporté quelques

Rey; vous avez bien voulu m'associer à ces trois honorables collègues, et, quoique je ne sois dans cette commission qu'une sorte de hors-d'œuvre qui ne peut contribuer en rien à une juste appréciation des deux opuscules, il se trouve néanmoins que c'est à moi qu'ont été dévolus le soin de les étudier avec plus d'attention, et l'honneur de vous en entretenir.

Le premier de ces opuscules porte ce titre bizarre : Lettre sur le Poisson-Dieu des premiers chrétiens, à propos d'une inscription grecque inédite, trouvée près d'Autun.

Nous disons que ce titre est bizarre, et je pourrais ajouter qu'il est répréhensible, puisqu'il présente l'idée que les premiers chrétiens auraient adoré un poisson. L'auteur cependant est bien loin de cette absurde supposition, et il reconnaît, aussi bien que nous, la pureté du culte que nos pères rendaient au seul vrai Dieu. Mais il n'a pas pensé qu'il y a des règles de convenance que l'on ne doit jamais enfreindre, quelque désir qu'on ait de faire valoir son œuvre par une annonce piquante, et d'exciter la curiosité de ceux qui ne se donneraient pas même la peine de tourner le premier feuillet d'une brochure, si le frontispice ne leur présentait quelque chose d'extraordinaire. Cette critique vous paraîtra peut-être un peu sévère; il m'a semblé néanmoins que, si, dans un siècle où le commun des hommes n'a que de l'indifférence pour ce qui porte le sceau de la raison et de la sagesse, quelques auteurs ont la faiblesse de se conformer à la manière des charlatans qui jettent à la multitude des paroles merveilleuses pour l'inviter à passer sous

fragments qui, pris isolément, pouvaient donner lieu à des méprises sur les intentions de l'auteur, il s'est vu dans la nécessité de réclamer de M. le Directeur de la Revue du Lyonnais une place dans son recueil, avec prière d'y insérer ee rapport dans son entier. (Note de l'Auteur).

le rideau, vous, Messieurs, membres d'une corporation chargée de maintenir la dignité des lettres et celle du savoir, vous devez hautement blâmer de semblables expédients, et je me flatte de n'avoir été ici que votre organe dans les réflexions que m'a inspirées un premier regard sur les feuilles qui nous occupent.

D'après ce que je viens d'avoir l'honneur de vous dire, vous comprenez, Messieurs, que, bien loin d'avoir été allêché par le titre à lire les pages qu'il recouvre, je n'ai au contraire tourné le feuillet qu'avec une extrême défiance; mais, contre ce qui arrive trop souvent, c'est le titre qui est répréhensible, et l'œuvre n'est autre chose que l'exposition d'un emblême connu dont les premiers chrétiens, obligés de cacher l'objet de leur culte, se servaient pour le désigner. Il ne s'agit donc point d'un prétendu Dieu-poisson adoré par nos pères, mais d'un poisson figuré sur les monuments, ou du mot grec 70s (poisson) employé dans une inscription comme symbole d'une croyance, à la place d'un nom que l'on ne croyait pas prudent de faire connaître. plus clairement. Cet usage de cacher la vérité sous des emblêmes n'a point été particulier aux premiers chrétiens, puisque saint Clément d'Alexandrie dont les œuvres, ainsi que vous le savez, contiennent de précieux documents sur les coutumes anciennes, nous dit que: « Tous ceux qui ont traité des choses divines, les Barbares comme les Grecs, l'ont couverte du voile des énigmes, des signes et des symboles. » (1)

Un savant modeste, que cite l'auteur dans le premier des opuscules dont j'ai à vous entretenir, s'est ainsi exprimé sur l'emblême auquel les premiers chrétiens jugeaient quelquefois convenable d'avoir recours pour dérober à la con

(1) « Omnes ergo, ut semel dicam, qui de rebus divinis tractarunt, tam Barbari quam Græci, veritatem Ænigmatibus, signisque ac symbolis..... tradiderunt,» (S. Clem. Alex. Strom. lib. V.)

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