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comme sous l'ancien régime : l'étranger devient Français par certaines conditions, dont tout intéressé peut invoquer l'effet, et le pouvoir législatif seul peut dispenser de ces conditions.

La constitution du 24 juin 1793 est plus large encore, elle porte à l'article 4 : « Tout étranger âgé de vingt et un << ans accomplis, qui, domicilié en France depuis une année, << y vit de son travail, ou acquiert une propriété, ou épouse une Française, ou adopte un enfant, ou nourrit un « vieillard, tout étranger enfin qui sera jugé par le Corps «< législatif avoir bien mérité de l'humanité est admis à «<l'exercice des droits de citoyen français. » Ici plus de serment civique même pour la qualité de citoyen. Comme cette théorie a paru peu raisonnable à certaines cours, il y a des arrêts en sens inverse: mais il suffit de lire le texte de la loi pour voir clairement, que malgré l'opinion des magistrats d'Orléans et de Nîmes, il n'est pas possible de nier qu'à cette époque la qualité de Français et de citoyen ne fût une conséquence forcée et même involontaire du simple fait que l'on avait rempli les conditions prévues par la loi. Du reste, un arrêt de la cour de Lyon 2 l'a reconnu formellement. Toutefois le domicile exigé par la constitution de 1793 doit être un domicile réel d'où résulte l'intention sérieuse de rester en France; on a jugé en conséquence que la résidence pour faire le commerce serait insuffisante. En outre, il faut satisfaire consciencieusement à la condition de vivre de son travail; c'est l'accomplissement de cette condition qui établit un lien avec la France. La cour de Bordeaux a fait l'application de cette

1 Arrêts du 25 juin 1840, et 13 août 1841.

2 Arrêt du 10 novembre 1827.

disposition en 1847; elle a décidé, qu'un étranger ayant rempli les fonctions de secrétaire particulier ou de chancelier du consul d'une puissance étrangère, ne pouvait prétendre à la qualité de Français, vu qu'il n'avait eu qu'une résidence accidentelle et précaire en France, et que ses fonctions n'établissaient aucun rapprochement entre lui et la société française. '

Ce système, même appliqué avec des réserves, ne pouvait durer plus longtemps. Sa propre exagération devait lui être fatale Parce qu'un Allemand ou un Américain avait adopté un enfant ou nourri un vieillard. il était absurde de le déclarer Français: il pouvait mériter le prix Monthyon, mais nullement la qualité de citoyen, à laquelle il tenait peut-être fort peu. Cependant, on ne revint pas directement à l'ancien système. Les constitutions de l'an III et de l'an VIII imposent seulement des délais précédés d'une déclaration de se fixer en France.

La constitution du 5 fructidor an III porte : « L'étran« ger devient citoyen français lorsqu'après avoir atteint « l'âge de vingt et un ans accomplis et avoir déclaré l'in<< tention de se fixer en France, il y a résidé pendant sept «< années consécutives, pourvu qu'il y paye une contribu

tion directe, et qu'en outre il y possède une propriété « foncière, ou un établissement d'agriculture ou de com<< merce, ou qu'il ait épousé une Française.» Nous trouvons ici un élément nouveau, une contribution directe. Il importe de ne pas se méprendre sur ce point. La constitution de l'an III s'occupe uniquement des citoyens, comme membres du corps électoral, et prenant

1 Voir Stoïcesco, op. cit., page 229. L'arrêt de Bordeaux est du 17 juin 1847.

2 Art 10.

part au gouvernement de la République. Elle supprime le suffrage universel en n'acceptant pour citoyen que des censitaires, si faible que soit le cens. Mais il ne pouvait entrer dans la pensée des législateurs d'exiger un cens pour la simple qualité de national français : l'article 8 y répugne, puisqu'il porte que les hommes nés et résidant en France - évidemment des Français ne seront citoyens que s'ils payent une contribution. Il est donc à croire que l'individu qui, sous le régime de la constitution de l'an III, déclarait son intention de fixer son domicile en France, et remplissait les autres conditions (épouser une Française, par exemple, ce qui ne suppose aucune contribution) était Français, ipso facto, sept ans plus tard, mais non citoyen '. La déclaration se faisait à la municipalité.

L'article 3 de la constitution de l'an VIII accorde la naturalisation à la seule condition de la déclaration, suivie de dix ans de séjour : c'est au fond le même système, avec un délai prolongé. Dans tous les cas, les constitutions de l'an III et de l'an VIII ont fait cesser l'abus de la naturalisation qui, en 1793 surtout, avait atteint ses dernières limites. Avec elles, reparut l'idée fort sage d'obliger au moins à une demande l'individu qu'on naturalise, afin qu'il ne soit pas francisé contre son grẻ.

Un décret impérial du 17 mars 1809 a rétabli l'ancien régime des lettres de naturalisation qui est demeuré en vigueur jusqu'à présent. Les conditions de la constitution de l'an VIII restent exigées, seulement elles n'opèrent plus de plein droit le changement de nationalité. La naturalisation est prononcée par l'Empereur. L'article 2 décide:

1 Cour de cass., 26 janvier 1835.

«< que la demande en naturalisation et les pièces à l'appui <«< seront transmises par le maire du domicile du pétition« naire au préfet, qui les adressera, avec son avis, à notre « grand-juge, ministre de la justice. »>

Ce décret, modifié par un certain nombre de lois et décrets postérieurs, forme le fondement de notre droit actuel en matière de naturalisation. C'est ainsi qu'en cette matière comme en beaucoup d'autres, après les essais de la période révolutionnaire, on revint à l'ancien système. Aujourd'hui la naturalisation par un simple séjour est morte; et il est impossible à un étranger de se faire naturaliser autrement que par obtention de lettres délivrées par le gouvernement, qui est libre de les refuser.

La période de dix ans avait, dès l'Empire, paru longue au gouvernement, qui voulait pouvoir dispenser de ce stage les personnes capables de rendre des services au pays. Avant même le décret du 17 mars 1809, les sénatus-consultes du 26 vendémiaire an XI et du 19 février 1808 avaient donné au pouvoir exécutif la faculté d'abréger les délais quand il le jugerait convenable. C'était une disposition imitée des premières constitutions révolutionnaires, avec cette différence que ce qui relevait du législatif tomba dans le domaine de l'exécutif. Le sénatus-consulte du 26 vendémiaire an XI est ainsi conçu. « Pendant cinq « ans à compter de la publication du présent sénatus-con«sulte organique, les étrangers qui rendront ou qui << auront rendu des services importants à la République, « qui apporteront dans son sein une invention, des talents, << ou une industrie utile, ou qui formeront de grands éta«<blissements, pourront, après un an de domicile, être << admis à jouir des droits de citoyen français. Ce droit « leur sera conféré par un arrêté du gouvernement pris

sur le rapport du ministre de l'intérieur, le Conseil d'État << entendu. » L'acte du 19 février 1808 supprime toute condition de délai.

On remarquera que le sénatus-consulte de vendémiaire parle du domicile. Il s'agit du domicile en France, autorisé suivant l'article 13 du Code civil. En était-il de même dans la constitution de l'an VIII? Nous ne le pensons pas; les termes de cet acte prouvent à l'évidence qu'il prévoit une déclaration spéciale; d'ailleurs, des circulaires ministérielles ont subséquemment réglé la forme dans laquelle elle devait être faite. Cependant le Conseil d'État, par un avis assez obscur, a paru adopter la règle inverse, et croire que, depuis le Code, la déclaration exigée par la constitution de l'an VIII a dû être remplacée par la demande d'admission à domicile. La pratique ne s'est nullement conformée à cette opinion, et, tant que l'article de la constitution de l'an VIII a été en vigueur, on a adressé la simple déclaration.

Cette législation fondée sur la constitution de l'an VIII et modifiée par les sénatus-consultes de l'an XI, de 1808 et de 1809 s'est perpétuée jusqu'en 1848. Nous ne parlons pas ici de l'ordonnance du 4 juin 1814, ni de la loi du 14 octobre de la même année, dont il sera traité séparément.

Le gouvernement provisoire de 1848, un mois après son arrivée au pouvoir, rendit le décret du 28 mars, qui donnait au ministre de la justice le droit de délivrer des lettres de naturalisation à quiconque pourrait justifier d'une résidence de cinq ans en France, à condition qu'il produisît des attestations des autorités compétentes, établissant qu'il est, sous tous les rapports, digne d'être admis au rang de citoyen.

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