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des principes ne peut étendre cette dérogation à d'autres hypothèses que celles pour lesquelles elle a été spécialement établie; M. Laurent néanmoins, se ralliant à l'opinion générale, abandonne le principe dans des cas autres que ceux pour lesquels le législateur a admis une dérogation à la règle générale.

Parfois aussi M. Laurent hésite entre deux solutions contraires, poussé vers l'une par la logique rigoureuse dont il voudrait ne pas se départir, poussé vers l'autre par des considérations de diverses natures; ainsi, il admet en principe que l'obligation alimentaire n'existe qu'à charge des personnes auxquelles la loi l'impose expressément; l'art. 206 du code y astreint les gendres et belles-filles, beaux-pères et belles-mères, les uns vis-à-vis des autres; faut-il étendre l'obligation aux ascendants du conjoint et aux conjoints des descendants? M. Laurent admet d'abord l'affirmative en déclarant que tel est l'esprit de la loi, que telle est la volonté du législateur, que c'est ainsi que l'art. 206 doit être interprété; puis, se souvenant de son principe, il conclut en disant que c'est créer une obligation que la loi n'établit point et dépasser le pouvoir de l'interprète.

Nous ne multiplierons pas nos citations; il en est toutefois une que nous ferons encore, parce qu'elle renferme la condamnation par M. Laurent lui-même de tout son système. Au tome IV, no 482, il traite la question de savoir quels sont les droits de l'usufruitier sur la chose usufructuaire. Peutil la changer? Lui est-il, au contraire, défendu de faire des changements? M. Laurent signale l'opposition existant à cet égard entre la tradition romaine et la tradition germanique, et il conclut en disant qu'il faut s'attacher à cette dernière, favorable à l'usufruitier; son motif, c'est que l'esprit général de notre législation est l'esprit d'équité plutôt que la rigueur juridique.

Ainsi, voilà M. Laurent déclarant lui-même que ce n'est pas la rigueur juridique qui constitue l'esprit dominant de notre législation; mais alors, comment soutenir que le jurisconsulte doit interpréter la loi dans un esprit qui n'est pas celui de la loi, qu'il doit s'attacher aux principes rigoureux et en déduire toutes les conséquences logiques, si rigoureuses qu'elles soient, alors le législateur a été inspiré dans son œuvre par un esprit tout différent? Nous en avons dit assez, croyons-nous, pour établir que la thèse de M. Laurent est erronée, qu'il serait impossible de s'y conformer, et enfin que lui-même s'en écarte en maintes occasions.

que

Nous avons encore à faire à l'ouvrage de M. Laurent une critique qui touche à un tout autre ordre d'idées : l'auteur nous semble laisser trop souvent apparaître l'homme politique; les idées philosophiques de M. Laurent ont droit à tout notre respect, et par le caractère élevé qui les distingue en général et par la sincérité et l'ardeur des convictions de l'auteur; mais, d'autre part, et nous disons ceci malgré la communauté d'idées qui existe, à bien des égards, entre M. Laurent et celui qui écrit ces lignes, d'autre part, nous pensons que le droit doit, autant que possible, rester en dehors de toute polémique religieuse, philosophique ou politique; assurément, nous ne prétendons pas qu'il y ait séparation absolue entre ces divers domaines; telle loi a été adoptée, telle institution a été réglée sous l'inspiration d'idées sur lesquelles aujourd'hui encore existent de graves désaccords; dans des questions de ce genre, il serait impossible d'obtenir qu'on fit abstraction de toute tendance philosophique et de toute préférence politique. Mais il arrive plus d'une fois à M. Laurent de se livrer à des polémiques pareilles sans nécessité aucune; on le voit s'abandonner à des digressions tout-à-fait inattendues sur des points de théologie dans des matières qui sembleraient devoir être entièrement étrangères à la polémique, comme le dépôt par exemple.

L'impartialité, tel est le premier devoir de celui qui doit interpréter la loi, et tout particulièrement du magistrat; cette impartialité serait impossible à

obtenir, si l'on admettait qu'on pùt se laisser guider par l'esprit de parti dans la solution des questions de droit. Il y a donc, dans l'ouvrage de M. Laurent, une tendance qu'il serait hautement regrettable de voir se généraliser dans les écrits des jurisconsultes et dans les décisions des tribunaux, qu'on doit, par conséquent, condamner dans son ouvrage, comme on la condamnerait dans un ouvrage écrit dans un esprit différent. Ajoutons que, dans l'ardeur de ses convictions, il arrive aussi à M. Laurent de rétrécir parfois singulièrement les questions; ainsi, il critique vivement la qualification de personnes civiles imaginée pour désigner des ètres fictifs, pouvant avoir des droits comme les véritables personnes, les personnes physiques; il est d'avis que cette qualification favorise l'ambition des corporations, qu'elle doit fatalement pousser les légistes à revendiquer pour les corporations tous les droits dont jouissent les personnes naturelles! Nous avons peine à comprendre que les dangers dont la société est menacée par suite de la main-morte, aient pu provenir ou aient même pu seulement recevoir une aggravation d'une dénomination employée pour désigner les corporations. C'est faire remonter un grave danger social à une cause bien futile.

Nous nous bornerons à ces quelques points, ne voulant pas reproduire ici d'autres critiques qui ont été formulées contre l'ouvrage de M. Laurent et qui nous semblent également fondées, ainsi notamment les critiques concernant l'absence de l'élément historique ou traditionnel dans son ouvrage. Là encore nous aurions à signaler une contradiction manifeste entre certaines idées émises par l'auteur et la manière dont il a accompli sa tâche. Il admet bien certainement avec Portalis que jamais un peuple ne s'est livré à la périlleuse entreprise de se séparer subitement de tout ce qui l'a civilisé et de refaire, en quelque sorte, son existence; il déclare en toute lettres que la civilisation romaine est un des éléments de la civilisation moderne et que le droit y joue le grand rôle; les Romains, peuple de juristes, ont, d'après lui, porté la science du droit à la perfection; d'autre part, il soutient que c'est l'élément coutumier, c'est-à-dire germanique, qui domine dans le code civil. Si maintenant, après toutes ces déclarations, on parcourt l'œuvre de M. Laurent, on est tout étonné d'avoir à constater qu'il néglige entièrement, ou à peu près, et ce droit romain, d'une si grande valeur intrinsèque, d'une si grande importance dans l'ancien régime en France, et ce droit coutumier, dont les auteurs du code se sont cependant tant inspirés! En un mot, M. Laurent a procédé en général comme si les rédacteurs du code civil avaient fait table rase de toutes les anciennes lois, de tous les anciens usages, de toutes les anciennes institutions, comme s'ils avaient fait une œuvre sans racine aucune dans le passé.

On trouvera peut-être que, dans les lignes qui précèdent, nous n'avons guère fait que la critique de l'œuvre de l'éminent professeur; qu'on n'en conclue cependant pas que nous en méconnaissons la valeur ; si nous avons insisté tout particulièrement sur les défauts que nous avons cru y trouver, ce n'est point que ses mérites et ses qualités soient restés lettre close pour nous; mais il nous a semblé que, surtout lors de l'apparition des premiers volumes de l'ouvrage, on avait plus généralement apprécié ses qualités qu'on ne s'était rendu compte de ses défauts; de ce chef nous avions, avant tout, à formuler les réserves moyennant lesquelles nous pouvions nous rallier au jugement favorable prononcé sur l'ouvrage par la généralité du public spécial auquel il était destiné.

E. V. D. R.

13.

14.

DROIT CRIMINEL.

Principes généraux du droit pénal, par J. J. édition. Deux volumes in-8°, VIII, 572 et 654 pages. éditeur, 1879.

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Résumé des cours de droit pénal et de procédure pénale, professés dans la Faculté de Genève, par J. HORNUNG, professeur de droit public et de droit pénal à l'Université de Genève. In-8°, 32 pages. Genève,

H. Georg, 1878.

Le résumé des cours de droit pénal et de procédure pénale, professés par M. HORNUNG, nous prouve, en quelques pages, et la valeur de M. Hornung comme criminaliste et le caractère vraiment scientifique des études de droit criminel à l'Université de Genève.

Ce qui donne, en effet, au résumé en question une physionomie particulière, ce qui en fait autre chose que le cadre banal d'un cours, c'est l'importance légitime que l'éminent professeur attache à l'histoire, à la législation comparée et à la bibliographie.

M. Hornung ne se borne pas à une introduction des plus complètes contenant l'histoire des doctrines pénales et le développement du droit pénal; toutes les fois que l'occasion s'en présente, il donne également sur les points spéciaux, comme l'étude d'un délit, un aperçu historique et l'état de la législation dans les autres pays.

M. Hornung consacre surtout ses soins à la bibliographie; il n'est pas une question à-propos de laquelle il n'indique les travaux importants publiés dans le monde savant; nous dirons même que cette riche et complète énumération de sources, extrêmement utile et intéressante pour le criminaliste et l'écrivain, est peut-être trop fournie pour l'étudiant celui-ci recherche surtout les éléments de la science et ne peut en approfondir les détails; il lui faut la clarté et la concision; l'auteur lui fournit à profusion l'érudition; mais ces réserves faites, nous ne pouvons qu'approuver la méthode suivie par M. Hornung. Son cours, annuel en Belgique, est de deux années à Genève. Le droit pénal, enseigné la première année, comprend deux parties : la philosophie et l'histoire du droit pénal d'abord, ensuite l'exposé systématique du droit pénal en vigueur à Genève comparé au droit pénal étranger; cette seconde partie se subdivise elle-même en une partie générale et en une partie spéciale qui contient la classification et l'étude des différentes infractions. Le cours de procédure pénale à son tour comprend la philosophie et l'histoire de la procédure pénale; l'exposé systématique de la procédure en vigueur, comparée avec les droits étrangers, c'est-à-dire l'organisme judiciaire; les causes qui le mettent en mouvement (l'action publique et l'action civile) et sa mise en mouvement (le procès). Le plan est vaste, mais il répond aux nécessités d'un enseignement supérieur qui n'a pas pour unique objet l'examen, et n'est pas restreint à un ensemble de formules que l'étudiant croit devoir apprendre par cœur. - En Belgique, l'histoire est trop généralement négligée; et cependant, sans elle, le droit criminel est une sèche nomenclature de règles arides et parfois arbitraires, dépourvues de relief et de portée. Avec elle, au contraire, tout devient lumineux, chaque chose prend sa place et son rôle et l'on distingue mieux, dans le fouillis des textes en vigueur, ce qui appartient

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aux abus du passé et ce que la tradition et la raison ont justement consacré. M. Hornung donne également un exemple bon à suivre quand il s'occupe en détail de l'étude spéciale des infractions. De même qu'il est nécessaire d'examiner le droit répressif dans ses origines pour en comprendre l'organisation actuelle; de même il est nécessaire, pour en comprendre l'application, de le voir se matérialiser, prendre corps au milieu des réalités de l'existence. Et c'est une grave erreur de lancer le jeune homme dans la carrière judiciaire en lui donnant les notions théoriques les plus étendues sur la complicité ou la tentative, tandis qu'on lui laisse ignorer complétement la différence qu'il y a, par exemple, entre l'escroquerie et l'abus de confiance, l'homicide et le meurtre, l'altération et la contrefaçon des monnaies.

Le droit répressif touche aux plus graves problèmes modernes : les causes de la criminalité, la responsabilité de l'individu et la responsabilité de la société dans la production de la criminalité; les devoirs de la société dans l'organisation du régime pénitentiaire; les réformes de l'instruction criminelle préparatoire, le système du jury sont des questions qui préoccupent non-seulement les criminalistes, mais tous les penseurs. Le droit répressif est une science vivante; le mérite du résumé est d'être également vivant; il permet de jeter un coup d'œil exact sur le passé et le présent du droit répressif, il montre enfin la fécondité et l'activité des publicistes allemands et italiens qui figurent pour la meilleure part dans le contingent d'écrivains cités par M. Hornung.

Si nous réunissons côte à côte M. Hornung et M. HAUS, ce n'est pas qu'il y ait la moindre analogie entre le sommaire du cours de M. Hornung et la nouvelle édition en deux volumes des principes généraux du droit pénal belge de M. Haus. Au contraire, si l'on pouvait comparer l'opuscule du professeur de Genève, sorte de vade-mecum de l'étudiant, à l'ouvrage considérable que le professeur belge destine au monde savant, l'on serait plutôt frappé par la différence de conception, et l'on marquerait cette différence en disant que le premier prend la science au point de vue objectif, et le second au point de vue subjectif. Nous n'avons plus ici à faire l'éloge de M. Haus et de son livre; ils sont l'un et l'autre suffisamment connus en Belgique et à l'étranger. Nous rappellerons seulement que la caractéristique du livre c'est la personnalité; M. Haus est le théoricien du code belge de 1867; tout le monde sait la part qu'il a prise à la confection de ce code. Son ouvrage porte l'empreinte de cette éminente situation. Il n'expose pas, il dit la loi; il n'entre point dans l'examen des controverses, il écrit au point de vue abstrait de la science; il établit les principes et en déduit rigoureusement les conséquences logiques; nous ne pensons pas que sur tous les éléments essentiels qui sont les points de repère de la partie générale de notre droit pénal, il existe un exposé systématique plus détaillé; les conditions de l'infraction, la division scientifique des infractions, la tentative, la participation, la récidive, toutes les causes d'atténuation ou d'aggravation, sont autant de matières traitées dans leurs plus petites

nuances.

Le régime pénitentiaire belge qui a actuellement en Europe une si grande importance et fait l'objet des études des criminalistes étrangers, est aussi examiné dans son organisation récente et de façon à ne rien laisser dans l'ombre; la théorie des questions préjudicielles qui a rencontré récemment au Parlement belge une contradiction si ardente, est établie par M. Haus dans toute sa complexité. L'extradition enfin est l'objet d'une étude approfondie.

Oserons-nous ajouter que le livre du vénérable et illustre savant, qui est sans doute le doyen des criminalistes modernes (1), a les défauts de ses éminen

(1) M. HAUS est né le 9 janvier 1796, il enseigne à Gand depuis 1817. M. HEFFTER, REV. DE DR. INT. 11o année.

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BIBLIOGRAPHIE.

A. PRINS, A. RIVIER.

tes qualités? Ce livre est une source précieuse pour l'initié qui veut développer et compléter ses connaissances; il fera peut-être reculer le profane qui cherche uniquement des notions simples et lucides dont l'assimilation est aisée.

En outre, l'ouvrage de M. Haus, par cela même qu'il est personnel, appelle la controverse. Dès le début, l'auteur se met en opposition avec l'école moderne, en déclarant que la légitimité intrinsèque de la peine repose sur le principe d'expiation, et dès lors il est conséquent avec lui-même en admettant également, dans le cours de son traité, la légitimité intrinsèque de la peine de mort. Ce n'est là que de la théorie, puisqu'en fait M. Haus est adversaire, pour le moment, de la peine de mort en Belgique. Mais il est certain que le législateur qui se laisse guider par le principe d'expiation, est entraîné, non-seulement en théorie, mais même dans la pratique, à des rigueurs inutiles. C'est ainsi que notre code a admis, dans une certaine mesure, le principe du cumul des peines qui, dans la correctionnalisation des crimes, produit les conséquences injustes que l'on a si souvent signalées; c'est ainsi encore qu'en matière de récidive, les législations du Brésil et de l'Allemagne exigent, pour que la circonstance aggravante de la récidive existe, des conditions fort justes que nos lois ne réclament pas, notamment la répétition d'un délit de même nature que le premier. Dans ces deux questions, que nous prenons comme exemples, M. Haus a penché plutôt vers la rigueur scientifique que vers la clémence qu'inspirent les réalités de la vie, et si nous signalons ces nuances, nous faisons ressortir en même temps la logique qui préside aux doctrines de l'auteur.

Une science profonde et sûre d'elle-même, un raisonnement droit, une classification méthodique qui embrasse l'ensemble des choses, voilà, en effet, les grandes qualités de l'œuvre de M. Haus; un certain excès d'abstraction, voilà ce que l'on peut reprocher à ce livre, qui restera comme l'un des monuments de la science du droit pénal belge. AD. PRINS.

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КУРСЪ РУССКАГО УГОЛОВНАГО ПРАВА К. С. Таранцеба, профессора С, ПЕТЕРБУРГСКАГО УНИБЕРСИТЕТА. ЧАСТЬ ОБЩАЯ. КНИГА 1-Я. УЧЕНІЕ О ПРЕС

ТУПЛЕНІИ. ВЫПУСКЪ I-H, II-й. Cours de droit pénal russe, par N.TAGANTSEFF, professeur à l'Université de Saint-Pétersbourg. - Partie générale. Livre I. Doctrine du crime. 1e et 2e livraison. - Saint-Pétersbourg 1874 et 1878.

L'auteur expose dans la préface l'étendue, le plan, le mode de cette publication, à laquelle ses cours de droit pénal, à l'Université de St-Pétersbourg et à l'Ecole de Droit, servent de base.

Il excuse le très-grand développement qu'il a donné à son travail par la pénurie de la littérature russe concernant le droit pénal.

<< En expliquant la construction théorique des diverses institutions, il fallait indiquer les travaux sur ces questions dans la littérature, en donner un aperçu et en faire l'examen critique quand cela paraissait nécessaire. Ensuite, il était impossible, à l'occasion de cet examen, de ne pas s'arrêter aussi sur les dispositions des codes de l'Occident et particulièrement de la France et de l'Allemagne. Après cela, en commentant les dispositions de notre droit, on devait faire la description, quelque courte qu'elle fût, du développement des dispositions concernant ces questions dans notre législation, et attirer l'attention sur

l'éminent criminaliste de Berlin, est né le 30 avril 1796; il est professeur depuis 1823, et la première édition de son classique Traité de droit pénal a paru en 1832. L'excellent BIRNBAUM, mort il y a deux ans, était né en 1792. (Note de la Rédaction.)

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