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lettre de change sans l'autorisation du mari, repose donc sur une appréciation complétement erronée de la situation juridique et législative de l'Allemagne et de ses États particuliers. C'est à tort qu'on a identifié les lois allemandes avec les lois en vigueur dans les anciennes provinces de la Prusse. Il est vrai que d'après les principes du droit civil prussien (Preussisches Landrecht), la femme mariée ne peut s'obliger sans le consentement de son mari, et à part quelques exceptions qui n'ont ici aucun intérêt, ce sont des règles analogues à celles du code civil français qui lui sont applicables. En conséquence, selon le code prussien (Preussisches Landrecht) comme d'après le droit français, la femme mariée non marchande publique ne peut s'obliger valablement par lettre de change.

Mais il en est tout autrement d'après le droit commun, qui se trouve précisément en vigueur dans la ville de Francfort-sur-le-Mein et ses dépendances.

Le droit commun, c'est-à-dire le droit romain reçu en Allemagne, ne contient aucune disposition qui fasse dépendre de l'autorisation du mari la validité d'un contrat consenti par la femme mariée. Tout au contraire, il n'a jamais fait l'objet du moindre doute, en doctrine comme en jurisprudence, que les contrats conclus par les femmes mariées sont aussi valables que ceux conclus par les femmes non mariées, sans qu'il soit besoin d'aucune espèce d'autorisation. Par conséquent, il est universellement admis que dans toutes les parties de l'empire allemand régies par les dispositions du droit commun, la femme mariée peut valablement s'obliger par lettre de change sans qu'elle ait besoin de l'autorisation maritale (1).

Aucune exception à ce principe du droit commun n'a été faite pour la ville de Francfort-sur-le-Mein. Jamais la législation de cette ancienne ville libre n'a adopté ni promulgué de dispositions légales en vertu desquelles le principe ci-dessus du droit commun aurait été modifié ou restreint, de façon à rendre l'autorisation maritale nécessaire pour la femme mariée qui s'oblige par contrat (2). La législation prussienne, à l'égard de la question particulière qui nous occupe ici, n'a empiété d'aucune manière sur le domaine du droit privé de cette ville depuis qu'elle a été réunie aux autres provinces de la monarchie prussienne. Avant comme après l'annexion, la femme mariée, domiciliée à Francfort et régie par la loi de

(1) THÖL 1. c., RENAUD, 7. C., HARTMANN § 46; arrêt de la cour suprême de commerce de l'Allemagne du 27 juin 1871. (Entscheidungen des Bundes-Oberhandelsgerichts, II, p. 408.)

(2) BENDER, Privatrecht der freien Stadt Frankfurt, § 13-15.

cette ville, a donc la capacité de souscrire légalement et valablement une lettre de change sans l'autorisation de son mari.

L'opinion contraire adoptée par le tribunal de commerce de la Seine repose, comme nous l'avons dit plus haut, sur une confusion erronée faite entre les lois prussiennes et les lois allemandes. Ce qui est vrai pour les provinces de la vieille Prusse, ou encore pour les provinces où le code Napoléon est en vigueur, est complétement faux pour ceux des pays allemands dans lesquels le droit commun, c'est-à-dire le droit romain, est en vigueur, et de ce nombre est l'ancienne ville libre de Francfort. Leipzig, le 30 mars 1879.

REV. DE DR. INT.

1le année.

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THÉORIE DU DROIT DES PRISES,

PAR

M. A. BULMERINCQ (1),

Ancien professeur de l'Université de Dorpat. membre de l'Institut de droit international.

INTRODUCTION.

Le droit en vigueur que nous avons exposé dans la première partie de notre rapport, tel qu'il s'est développé dans la législation, dans les déclarations des États et dans les traités internationaux, offre, il est vrai, bien des similitudes, mais aussi bien des différences. En outre, quelques États ont réglé le droit des prises, d'une manière plus ou moins étendue, par la législation. Dans d'autres, malgré les changements amenés par la déclaration de Paris sur le droit de la guerre, on n'a pas publié de nouveaux règlements des prises, et les anciennes ordonnances, qui se rapportent essentiellement aux corsaires, sont restées en vigueur. Cela tient à ce que ces derniers États n'ont plus été mêlés à aucune guerre, depuis une vingtaine d'années.

Il serait impossible d'établir pour toutes les puissances maritimes, un projet matériel et formel du droit des prises, en ne se basant que sur le droit en vigueur, exposé dans la première partie. C'est qu'il faut, avant tout, faire une étude comparée des différentes dispositions, et dans ce but apprécier d'abord et compléter la théorie actuelle, et puis fixer la théorie véritable.

En ce qui concerne l'exposé de la théorie, telle qu'elle se trouve souvent dans des ouvrages complets de droit international, ou plus rarement dans des monographies, dans les uns, à l'exception des Anglais, des Américains et de Calvo, la matière est traitée d'une manière trop abrégée et

(1) L'étude que nous publions sous le titre de Théorie du droit des prises, forme la deuxième partie du rapport présenté par M. Bulmerincq à l'Institut de droit international, conformément à la décision prise par l'Institut le 12 septembre 1877. Voir t. X, p. 185.

La première partie qui a paru sous le titre : Le Droit des prises maritimes, n'ayant pu être imprimée sous les yeux de l'auteur, il s'y est glissé un nombre malheureusement assez considérable de fautes d'impression, notamment dans les chiffres des citations et des dates. Nous donnerons un errata général lorsque le travail entier sera terminé.

trop incomplète, et dans les deux on a trop peu tenu compte du droit législatif, des conventions et des jugements. Dans les ouvrages étendus, on est souvent parti du point de vue national au lieu d'envisager le côté international (1); de sorte que nous croyons pouvoir dire avec raison: Qu'il nous manque jusqu'à présent un ouvrage sur le droit international des prises. Nous nous bornerons, pour notre rapport, à nous servir presqu'uniquement de la nouvelle littérature, sans remonter donc plus haut que Huebner. Car, en partant de Grotius, Bynkershoeck et autres, nous serions conduits trop loin pour le but principal que nous nous proposons : lequel est de formuler un projet pour le droit international des prises, qui puisse être pratiquement et immédiatement employé.

La théorie devra essentiellement nous aider pour arriver à ce résultat, en comparant la législation moderne, et en assimilant diverses dispositions internationales. Elle ne peut en effet se servir des décisions des tribunaux de prises que dans les cas où plusieurs jugements, d'un caractère également international et juridique, reposent sur la même proposition de droit; car un seul jugement ne fait pas jurisprudence; même ce n'est pas un jugement: ce n'est qu'une sentence.

Le droit des prises est, sans contredit, une partie du droit de la guerre maritime; il est donc en principe soumis aux dispositions valables pour la guerre en général, et spécialement pour la guerre maritime. Le droit des prises ne peut être exercé que par des belligérants, et seulement dans le temps que dure une guerre. Il n'y a en dehors de la guerre ni droits ni devoirs de neutralité; de même sans guerre les droits de prises n'existent pas. Voilà pourquoi les tribunaux de prises n'entrent généralement en fonctions qu'après le commencement d'une guerre et finissent avec elle; de sorte que des prises faites, mais non jugées, avant la fin de la guerre, ont été souvent volontairement restituées par les puissances au nom desquelles elles avaient été faites. Quand des prises faites immédiatement avant la fin de la guerre pouvaient très bien être jugées après la fin de celleci, il fallait, surtout lorsque le procès était déjà entamé, que la procédure continuat ipso jure si cette continuation était arrêtée, ou qu'on fit légalement une renonciation en forme.

Les dispositions particulières sur le droit des prises sont formulées

(1) En outre, on traite du droit des prises dans des ouvrages sur le droit maritime privé, tels que MENO PÖHLS et KALTENBORN; sur le droit maritime international, comme CAUCHY, et enfin sur les droits des neutres, tels que HAUTEFEUILLE, GESSNER, DE BURGH.

dans les règlements sur les prises, dans les ordonnances partiellement ou entièrement relatives au droit des prises, pour la procédure de certains États, l'un envers l'autre, au cas d'une guerre éclatant entre eux; ces dispositions se retrouvent encore dans quelques rares traités dont le droit des prises est l'objet exclusif; ou bien dans des traités d'un sujet général, où parmi des conventions sur d'autres objets; il s'en trouve aussi quelques-unes, sur des circonstances du droit des prises, qui se rapportent naturellement plus au droit matériel qu'au droit formel des prises. Enfin, nous possédons de nombreuses décisions des tribunaux de prises; mais jusqu'à présent celles-ci ont rarement servi a faire un droit généralement en vigueur, parce qu'elles se basent trop sur un point de vue national, et sont inspirées par des intérêts nationaux. Des auteurs anglais et américains sur le droit international, et du nombre Wildman, Phillimore et Twiss, se sont servis de décisions anglaises et américaines, dans leurs exposés du droit international général. Wildman particulièrement passe pour avoir décrit la pratique des tribunaux anglais de prises, et dans son ouvrage presque chaque proposition est en effet appuyée sur des décisions. Dans la XIa partie de ses commentaires sur le droit international, volume III, page 680, Phillimore commence son 4o chapitre qui a pour titre « Principes et pratique des tribunaux de prises, » de la manière suivante: « Ce sujet important des principes et de la pratique du > tribunal de droit maritime international en général, mais plus spéciale» ment en Angleterre et dans les États-Unis de l'Amérique du Nord, sera » considéré, etc., etc. »

Nous ne voulons certes pas faire un reproche concernant cette restriction à l'honorable auteur de cet excellent ouvrage; nous remarquons aussi qu'il a tenu compte de la législation française, quoiqu'uniquement de la plus ancienne, comme de la célèbre ordonnance de la marine, de 1681, et d'autres ordonnances plus anciennes encore depuis 1400; il cite quelques règlements postérieurs, par exemple, de 1692 et 1694, de 1744 et 1778, ainsi que les opinions de Portalis, mais parle très-peu des décisions des tribunaux français de prises; toutefois, un tel exposé ne peut réellement servir de règle que pour le droit des prises en Angleterre et en Amérique, et ne saurait prétendre à un caractère international. Pistoye et Duverdy se bornèrent aussi à deux nations, les Français et les Anglais, dans leur Traité des prises maritimes, car, à côté des décisions des tribunaux français de prises, ils ne citent réellement que celles des Anglais, mais en très-grand nombre. De sorte que, comme Phillimore, ils ne

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