Page images
PDF
EPUB

aux gouvernements asiatiques de l'exploiter d'une manière indigne d'une grande puissance européenne.

Les gouvernements asiatiques comprennent parfaitement l'animosité qui règne entre l'Angleterre et la Russie et ils en profitent pour extorquer divers avantages; on peut aisément s'en convaincre en suivant les pourparlers échangés entre l'émir de Caboul et le gouvernement de Calcutta. Shir-Ali-Khan et ses ministres ont maintes fois déclaré aux vice-rois des Indes qu'ils savaient parfaitement l'importance de l'Afghanistan pour la défense des possessions britanniques aux Indes. L'émir disait que le gouvernement anglais devait le défendre contre la Russie pour garantir la sécurité de ses propres possessions. Voilà pourquoi Shir-Ali-Khan exigeait de l'Angleterre, parfois d'un ton assez arrogant, des subsides en argent et en munitions de guerre. Il a reçu des sommes énormes comme lui étant dues par le gouvernement anglais (1). Les ministres anglais et les vice-rois des Indes avaient pleine intelligence de cette circonstance; pour l'écarter, il aurait fallu, en Angleterre, cesser de répandre toute sorte d'accusations sur le compte de la Russie et de son ambition, et de ses aspirations de conquête aux Indes.

Le général Kaufmann a attiré sur cette question l'attention de son gouvernement.

« Il y a lieu de croire », écrivait-il au prince Gortchakow, le 17/29 juin 1870, « que la surexcitation des esprits qui règne en ce moment dans les khanats de l'Asie centrale voisins de nos frontières, tient en partie à la conviction dont les peuples de ces pays, et principalement les Afghans, sont pénétrés que tôt au tard, grâce à une haine implacable et invétérée, les Russes et les Anglais doivent en venir aux mains en Asie. Plus d'une fois cette conviction a été exprimée par le Serdar afghan AbdulRahman-Khan (neveu de Shir-Ali et prétendant au trône de Caboul, réfugié en Turkestan), et il a insisté sur ce point pour tâcher de me persuader que la Russie avait intérêt, voire même qu'il lui était absolument indispensable de l'aider, lui Abdul-Rahman, à s'emparer de Caboul. »

Nous avons vu plus haut les autorités anglaises aux Indes, comme le commandant en chef de l'armée, M. Mansfield, et le colonel Taylor, s'exprimer exactement dans le même sens.

Les adversaires inplacables tant de la Russie que de l'Angleterre

(1) Comp. Duc d'ARGYLL, The Eastern question, t. II, p. 313, 323 et suivantes.

peuvent seuls vouloir favoriser le développement de cette conviction dans les pays asiatiques, et donner aux populations barbares et fanatiques de ces pays des preuves qu'un antagonis ne profond divise les deux gouvernements civilisés de l'Asie centrale. Plus cette intelligence de l'animosité existant entre les deux grandes puissances européennes se répandra au sein des peuples asiatiques, plus ces puissances perdront de terrain en Asie, plus leur domination sera mise en péril.

Nous sommes arrivé à la fin de notre étude.

L'idée fondamentale qui l'a inspirée, est maintenant connue du lecteur. Cette idée, c'est la conviction intime et inébranlable que les intérêts de la Russie et de l'Angleterre dans l'Asie centrale sont essentiellement solidaires. Ces deux grandes puissances devraient toujours rester pénétrées de cette vérité, que la mission civilisatrice dont elles se sont chargées envers les peuples à demi-sauvages des pays lointains dont il s'agit, n'est point une chimère; qu'elle est au contraire un fait réel et constitue une tâche digne d'elles.

Puissent la Russie et l'Angleterre ne jamais déserter leur mission! Puissent-elles établir à l'avenir leurs rapports mutuels, non sur la défiance et l'antagonisme, mais sur une confiance réciproque, sur des explications franches et loyales, sur un respect sincère des droits acquis et des aspirations légitimes de l'une et de l'autre.

Les plaines et les montagnes de l'Asie centrale permettent de donner un libre essor à toutes les forces matérielles et intellectuelles de la nation anglaise et de la nation russe. Les deux nations doivent s'y tendre la main et prouver aux peuples asiatiques, par une conduite basée sur une confiance et une estime mutuelles, qu'elles placent leurs intérêts dans une lutte infatigable contre la barbarie et dans l'introduction d'institutions sociales propres à garantir les progrès de la civilisation. En se donnant la main avec confiance, en oubliant les préventions passionnées des temps passés, la nation russe et la nation anglaise prouveront que la vraie civilisation repose en réalité sur la coopération en vue d'un but commun, élevé, digne du XIXe siècle.

302

APERÇU HISTORIQUE DE DIVERSES LÉGISLATIONS MODERNES

EN MATIÈRE DE DÉLITS COMMIS A L'ETRANGER,

PAR

M. P. FIORE,

Professeur de droit international à l'université de Turin (1).

Notre dessein étant d'exposer brièvement comment, dans les législations positives, on a pourvu à la répression des délits commis en pays étranger, nous ne nous occuperons ni des lois romaines ni des lois barbares, parce que les principes relatifs à cette matière y étaient incertains et que les divergences entre les différents systèmes en vigueur dans la pratique, au sujet de la compétence des juges, étaient si grandes sous l'empire de ces législations, que pour être précis et clairs nous devrions être extrêmement longs.

France. Nous commencerons notre étude à l'époque de la Révolution française, et nous ferons remarquer que le premier acte législatif relatif à cette question est le décret de l'Assemblée législative des 3-7 septembre 1792. Il avait pour objet les étrangers qui subissaient en France la peine des galères, à raison de délits commis dans leur pays. On y disposait que les étrangers ne pouvant être légalement jugés que par leurs magistrats nationaux, et que d'après les lois de leur patrie, et que les peines ne pouvant être subies que dans le lieu où les crimes avaient été commis, on ne pouvait détenir dans les galères françaises des individus qui n'avaient pas violé les lois de la France, mais qu'on devait les mettre en liberté.

Du reste, on ne trouve dans le Code de 1792 aucune disposition relative aux délits commis par les Français en pays étranger. Mais ce cas fut prévu dans le Code du 3 brumaire an IV, dont l'article 11 est ainsi conçu: « Tout Français qui se sera rendu coupable hors du territoire de la République d'un délit auquel les lois françaises infligent une peine

[ocr errors]

(1) Traduction de M. CH. ANTOINE, docteur en droit, substitut du procureur de la République près le tribunal de Vouziers.

Cet article formera, sous le titre de : Considérations historiques sur les législations modernes, etc., un chapitre du Traité de droit international pénal que MM. Fiore et Antoine publieront très prochainement.

» afflictive ou infamante est jugé et puni en France lorsqu'il y est » arrêté. »

Lorsqu'il s'agit de discuter le projet de Code d'instruction criminelle, on vit se produire de longues et très vives discussions entre les partisans de la territorialité de la loi pénale et ceux de l'exterritorialité de cette même loi. Les discours prononcés en cette circonstance par Treilhard et par Béranger, tous deux partisans de la territorialité, et par Régnier, Target et Cambacérès, qui étaient partisans du système contraire, sont très importants. Les seconds voulaient faire de la loi pénale une loi personnelle; les premiers soutenaient que le droit de réprimer les délits appartient seulement au magistrat du territoire sur lequel le délit a été commis, ou à celui du territoire sur lequel le délit a été continué. Après de longues discussions on arriva finalement à rédiger les dispositions contenues dans les articles 5, 6 et 7 du Code d'instruction criminelle, où se trouvèrent consacrées plusieurs exceptions aux principes de la territorialité de la loi pénale, mais où on subordonnait les poursuites à raison des délits commis à l'étranger à diverses conditions, qui rendaient l'application de ces articles difficile. En effet, dans ce Code on ne s'occupait pas de la répression des délits commis à l'étranger par des Français contre des étrangers, mais uniquement de ceux commis par un Français contre son national. Dans ce dernier cas, les poursuites étaient permises lorsque l'offensé avait porté plainte et que le coupable était rentré en France sans avoir été jugé et puni à l'étranger à raison du délit. Du reste, relativement aux délits contre la sûreté et le crédit de l'État, les poursuites étaient admises sans conditions lorsque l'auteur du crime était un Français. Si, au contraire, l'auteur était un étranger, il fallait qu'il eût été arrêté en France ou eût été extradé.

Les lacunes d'une législation aussi imparfaite furent mises en lumière à plusieurs reprises. Il était, en effet, véritablement déplorable que le Français qui avait commis un crime à l'étranger fût protégé par les lois de sa patrie et pût jouir de l'impunité.

.

D'abord on chercha à éviter un tel inconvénient en accordant l'extradition des citoyens français à la demande du gouvernement étranger, sur le territoire duquel avait été commis le délit. C'est dans ce sens que fut rendu le décret du 23 octobre 1811. Mais ensuite on prétendit que la Charte de 1814 et puis celle de 1830 avaient ôté au roi le droit de disposer administrativement de la liberté personnelle des Français, et l'on démontra par des arguments sérieux que ce décret devait être considéré

comme abrogé. Il est certain qu'il ne fut plus appliqué; et, pour obvier aux inconvénients qui dérivaient d'une législation aussi imparfaite, le gouvernement présenta successivement trois projets de lois. Le premier fut présenté en 1842 à la Chambre des députés; le deuxième, en 1843 à la Chambre des pairs; le troisième, en 1852 au Corps Législatif. Il faut aussi mentionner une proposition d'initiative parlementalre, celle que M. Roger présenta à la Chambre des députés, en 1845.

Toutes ces propositions, faites dans le but d'introduire dans les articles 5, 6 et 7 du Code d'instruction criminelle les modifications qui étaient reconnues nécessaires, ne furent pas converties en lois par suite de différentes circonstances qu'il serait trop long de rapporter,

Finalement, un nouveau projet de loi fut présenté au Corps Législatif le 16 mars 1865, et, après avoir donné lieu à des discussions très importantes et avoir été modifié partiellement, fut adopté les 30-31 mai 1866 par la Chambre des députés, puis le 22 juin par le Sénat, et converti en loi le 27 juin 1866. La nouvelle loi eut pour effet de consacrer le droit de poursuivre tout Français qui s'était rendu coupable à l'étranger d'un crime prévu dans la loi française (1). Relativement aux délits, les pour

(1) Dans la loi nouvelle on a, aux termes de l'article 2, qui ne fait pas partie du Code d'instruction criminelle, déclaré qu'outre les délits proprement dits, le Français pourrait encore être poursuivi en France à raison des délits et contraventions par lui commis en matière forestière, rurale, de pêche, de douanes ou de contributions indirectes, sur le territoire d'un des États limitrophes, à la condition que l'État limitrophe étranger autorise dans les mêmes cas, la poursuite de ses nationaux devant ses propres tribunaux. Cette réciprocité doit, du reste, être légalement constatée par des conventions internationales ou par un décret publié au Bulletin des Lois.

La promulgation de cette loi a eu pour effet de permettre au gouvernement français de déclarer exécutoires, par un décret, les articles 8 et 9 de la convention concernant les rapports de voisinage et la surveillance des forêts limitrophes entre la France et la Suisse, par décret du 25 août 1866. Lesdits articles, relatifs à la répression des délits forestiers commis par des nationaux sur le territoire limitrophe, avaient été rédigés sous la condition que des réformes seraient faites pour assurer leur mise en vigueur.

Postérieurement à la date du 22 février 1869 avait été conclue une convention avec la Bavière, pour la répression réciproque des délits et contraventions en matière forestière, rurale, de pêche et de chasse; mais, par suite de l'annexion de l'Alsace, la Bavière ayant cessé d'être limitrophe de la France, cette convention est devenue sans objet.

A la date du 2 novembre 1877, un décret du Président de la République a constaté la réciprocité relativement aux délits et contraventions en matière forestière, rurale et de pêche entre la France et la Belgique.

Disons enfin qu'aux termes du procès-verbal de délimitation entre la France et l'empire d'Allemagne, du 26 avril 1877 (promulgué par décret du 2 mars 1878), les deux États s'engagent à faire surveiller les forêts appartenant aux communes de l'autre État

« PreviousContinue »