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où nous étions précédemment. Il ne faut pas oublier non plus que l'opinion est soumise, à l'égard de la peine de mort, à bien des fluctuations et des hasards. »

Sans doute il y a beaucoup de vrai dans ce raisonnement.

Ce message fut soumis à l'examen des chambres fédérales. Le rapport de la majorité de la commission du Conseil des États, présenté par M. Freuler et très bien rédigé, conclut en ces termes : « La commission est d'accord sur les points principaux et en particulier sur celui-ci : qu'au point de vue de la question de la peine de mort, la révision de l'article 65 de la constitution fédérale est à un haut degré désirable. »

La minorité s'exprime, à la fin de son rapport, dans les termes suivants : « Le rétablissement de la peine de mort n'est, pour nous, une nécessité ni pour la conscience du peuple, ni pour le bien-être de l'État; nous ne pouvons donc donner les mains, sur ce point, à une révision de la constitution. »>

Les débats au Conseil des États durèrent plusieurs jours, du 15 au 20 mars. Une proposition éventuelle d'ajournement et d'invitation au Conseil fédéral de mettre à l'étude différentes autres questions encore, fut rejetée, et sous la date mentionnée du 20 mars cette chambre résolut, à la grande majorité de 27 voix contre 15, de soumettre au vote du peuple l'abrogation de l'article 6 et son remplacement par un article ainsi conçu:

« Il ne pourra être prononcé de peine de mort pour cause de délit politique. »

Dans le sein du Conseil national les discussions ont été non seulement animées, mais quelquefois même passionnées. De longs discours furent prononcés pour et contre et un grand nombre de propositions vinrent compliquer un peu la votation. Je ne veux pas omettre de dire qu'on parla de l'unification du droit pénal suisse (1), qu'on proposa d'autre part (2) d'inviter le Conseil fédéral à étudier les questions suivantes : 1o s'il serait possible et opportun de conclure une convention d'après laquelle les cantons auraient la faculté d'envoyer dans les colonies pénitentiaires d'un autre État, moyennant une indemnité équitable, les criminels condamnés pour assassinat; 2o la question de l'établissement d'une maison de force centrale suisse, dans laquelle les cantons auraient la faculté de placer les malfaiteurs condamnés à perpétuité.

Il serait inutile d'énumérer toutes les propositions et tous les amende

(1) M. KÜNZLI, d'Argovie.

(2) M. VIGIER, de Soleure.

ments. L'ajournement de la question fut rejeté, ainsi que toutes les mesures conciliatrices; le parti radical voulait le maintien à tout prix de l'article 65. Par la votation du 27 mars, le Conseil national, par 65 voix contre 63, prit la décision suivante : « L'assemblée fédérale arrête il n'est entré en matière ni sur les pétitions ni sur la motion de M. Freuler, député aux États, concernant la révision de la constitution fédérale et le rétablissement de la peine de mort. »

Maintenant il y avait conflit entre les deux chambres : l'une voulait le maintien du status quo, l'autre la votation du peuple suisse. Cet état de la question était regrettable, il était même très dangereux, car il allait nécessairement provoquer une agitation nouvelle dans la population, et même des pétitions tendant à une révision totale de la constitution. On était arrivé à une situation que tous les partis voulaient éviter. Le Conseil des États, auquel l'affaire fut renvoyée, resta fidèle à sa première décision, toutefois en la modifiant en ce sens qu'il y fut ajouté que « les peines corporelles sont interdites. » Au second débat le Conseil national changa d'opinion et adhéra, le 28 mars 1879, à la décision du Conseil des États. Le Conseil fédéral fut chargé de l'exécution de cet arrêté.

La votation du peuple suisse sur cet arrêté fédéral concernant la révision de l'article 65 de la constitution fédérale fut fixée au 18 mai. 200,485 voix se déclarèrent en faveur de cette révision (c'est-à-dire votèrent oui) contre 181,588 citoyens qui votèrent non. Le résultat officiel se trouve en chiffres détaillés dans la feuille fédérale n° 28, du 14 juin 1879, pages 858 ss.

Parmi les cantons, 12 et 4 demi cantons ont adopté la révision, savoir Lucerne, Uri, Schwyz, Glaris, Zoug, Fribourg, Schaffhouse, Saint-Gall, les Grisons, Argovie, Vaud et Valais; de même Obwalden, Nidwalden, Appenzell Rhodes extérieures et Rhodes intérieures.

Ont rejeté la révision : 7 cantons et deux demi cantons, savoir : Zurich, Berne, Soleure, Thurgovie, Tessin, Neuchâtel et Genève; de même Bâle-ville et Bâle-campagne.

Il est donc satisfait à l'article 114 de la constitution fédérale. La majorité des citoyens et la majorité des cantons ont voté pour la révision de l'article 65.

Le résultat effectif de cette votation n'est nullement le rétablissement de la peine de mort dans toute la Suisse, mais le rétablissement du status quo ante. Les cantons possèdent la faculté de conserver leur

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législation pénale actuelle, ou de la changer et de rétablir la peine de mort. Nous aurons donc encore une grande diversité de lois criminelles et de justice pénale. Peut-être cela nous conduira-t-il à l'unification du droit pénal. Celle-ci serait préférable sans doute à l'état de choses actuel. En effet, ou bien le code suisse garderait la peine capitale pour les cas les plus graves, en statuant toutes les garanties possible, ou bien il effacera cette peine pour le domaine entier de la Confédération, toutefois en donnant des garanties contre les criminels dangereux soit par déportation, soit au moyen d'une prison centrale suisse, — garanties et précautions que les cantons ne sont pas à même d'offrir.

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La jurisprudence suisse présente, croyons nous, un véritable intérêt au point de vue international, et par suite du développement des institutions fédérales actuelles, cet intérêt tendra chaque année à grandir.

Cela nous engage à donner un compte rendu des arrêts les plus importants du tribunal fédéral, et peut-être aussi, lorsque l'occasion s'en présentera, d'autres tribunaux suisses.

Mais auparavant, il nous paraît nécessaire de fournir quelques explications sommaires sur l'organisation judiciaire fédérale.

On sait que la Suisse se compose de vingt-deux cantons confédérés ; sous le pacte de 1814, ces cantons jouissaient d'une souveraineté trèsétendue. La constitution de 1848 modifia cet état de choses d'une manière considérable.

Dans son article 3 elle pose des limites à la souveraineté cantonale : « Les cantons sont souverains en tant que leur souveraineté n'est pas » limitée par la constitution fédérale, et comme tels ils exercent tous les » droits qui ne sont pas délégués au pouvoir fédéral. »

La Suisse qui était jusqu'alors une confédération d'États (Staatenbund), devint un État fédératif (Bundesstaat).

La constitution de 1874 repose sur les mêmes principes, mais elle restreint plus encore que celle de 1848 la souveraineté cantonale et délègue au pouvoir fédéral des droits plus nombreux et plus importants.

Nous n'avons à étudier ici cette question qu'au point de vue judiciaire. L'article 64 de la constitution fédérale dispose que l'administration de

la justice reste « aux cantons, sous réserve des attributions du tribunal fédéral. » En conséquence chaque canton organise comme il veut ses tribunaux, qui rendent la justice dans les limites de sa souveraineté, et ces limites sont encore très-larges, car tous les pouvoirs qui n'ont pas été expressément délégués à la Confédération appartiennent aux cantons. Il y a ainsi une grande variété dans l'organisation judiciaire des cantons suisses. Mais la constitution de 1874 a étendu dans une proportion considérable la compétence de la Confédération au point de vue judiciaire et beaucoup augmenté les attributions du tribunal fédéral.

C'est même là, on peut le dire, le progrès le plus incontestable qui ait été réalisé par la dernière révision.

Avant 1874 le tribunal fédéral existait, mais c'était un rouage qui fonctionnait difficilement et rarement. Il était bien dit (art. 105) que les recours des citoyens pour violation des droits garantis par la constitution pouvaient être renvoyés par l'Assemblée fédérale au tribunal fédéral.

Mais en réalité, c'était le Conseil fédéral et en dernier ressort l'Assemblée fédérale, c'est à dire deux pouvoirs politiques, qui prononçaient sur ces recours. Il y avait là un inconvénient véritable (1).

La constitution fédérale de 1874 y a remédié, en donnant au tribunal fédéral une compétence étendue et précise.

La loi du 27 juin 1874, édictée en exécution de la nouvelle constitution, organise le tribunal fédéral et fixe sa compétence, qui s'applique à la fois au droit civil, au droit public et au droit pénal. Cherchons à nous rendre compte de la juridiction de ce tribunal dans ces trois domaines.

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Le tribunal fédéral connaît des différends de droit civil suivants : 1° Entre la Confédération et les cantons.

2o Entre des corporations ou des particuliers et la Confédération. Mais il faut pour cela que la Confédération soit défenderesse dans le procès, et que le litige atteigne une valeur en capital d'au moins 3000 francs. Ainsi la Confédération ne peut assigner un particulier que devant le tribunal cantonal du lieu de son domicile, tandis qu'un particulier doit assigner la Confédération devant le tribunal fédéral.

3o Entre cantons.

(1) Voir BLUMER, Handbuch des schweizerischen Bundesstaatsrechtes, t. II, p. 85.

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