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spécialement aux réfugiés politiques une hospitalité généreuse, en les mettant à l'abri de l'hostilité et de la persécution de leurs vainqueurs, de l'injustice de leurs souverains naturels ou de leurs concitoyens.

Toutefois, on ne les laisse entrer et séjourner dans nos pays qu'en leur imposant certaines conditions. On ne leur permet pas de continuer leurs attaques contre le gouvernement étranger; on les sauvegarde s'ils ne cherchent plus à faire triompher par des complots ou des entreprises quelconques leur cause perdue, mais on prend à cet égard toutes les mesures nécessaires. S'ils entrent armés, on les désarme (1); on les interne en leur assignant des résidences qu'il ne leur est pas permis de quitter sans autosation; on les éloigne des frontières pour les empêcher le plus possible de faire des démarches illégales qui compromettraient la sûreté intérieure et les relations internationales.

L'obligation des réfugiés de se soumettre strictement aux conditions qui leur sout imposées est d'autant plus grande qu'on leur donne, souvent, même des secours quand ils sont dans le besoin (2).

La Suisse a toujours tenu à honneur d'accorder largement, sur son sol hospitalier, un asile aux réfugiés politiques de toutes les nations, que les révolutions survenues dans les diverses parties de l'Europe y avait jetés. Mais elle s'est, en même temps, constamment réservé de juger si les réfugiés se montraient dignes d'une telle hospitalité.

Il n'est pas nécessaire de rappeler au lecteur la condamnation dont un réfugié français a été l'objet pour des articles qui excitaient à l'assassinat des souverains (3). La Suisse vient d'expulser un autre étranger, un Italien, pour des motifs identiques, et un sujet allemand comme indigne de toute protection ultérieure (4),

Agir autrement serait commettre une injustice à l'égard des nationaux eux-mêmes, dont les intérêts seraient lésés par la présence d'individus suspects d'immoralité ou de passions criminelles. Il y aurait là un fait contraire au besoin qu'a tout pays de maintenir des relations amicales avec les gouvernements de forme différente.

(1) En Suisse on a procédé à l'internement, pour la première fois vis-à-vis du canton de Tessin. Voir aussi FIORE, Diritto internazionale pubblico, 1879, 1, 472.

(2) La Suisse a dépensé pour les réfugiés allemands (depuis juillet 1849 jusqu'en août 1850) 1,250,000 francs. En juin 1851, il y avait dans dix-sept cantons suisses 235 réfugiés de toutes les nations; en 1852, il y en avait en Toscane 800. ULLMER, Die staatsrechtliche Praxis der schweizerischen Bundesbehörden aus den Jahren 1848-60, Zürich, 1862, I, p. 333. (3) Affaire de l'Avant-garde. Décembre 1878-avril 1879.

(4) Le nommé Gehlsen. Mars-avril 1879.

Qu'on laisse à la Russie le soin de se défaire des nihilistes qui

des

faits et des procès récents le prouvent se déclarent les ennemis implacables de la civilisation et du genre humain tout entier. Personne ne se trompera dorénavant sur la criminalité de leurs actes, quand on saura qu'ils se plaignent d'un état de choses qui n'existe pas en Russie, sans même indiquer et sans apercevoir les vices qui subsistent réellement dans ce pays. Leurs phrases fameuses : « Ubivaite, streljaite, buntuite! » - « Assassinez, fusillez, faites des émeutes!», n'induiront plus personne en erreur. Leurs desseins sont trop mis à découvert pour qu'on croie à une insurrection politique quand ils viennent dire ce qu'ils ont dit dans un programme saisi à Königsberg: « Quant à l'assassinat de quelques personnages, c'est la considération du profit relatif qui doit seule nous conduire. Il faut s'en prendre en premier lieu aux personnages qui sont le plus nuisibles et le plus redoutables pour notre cause. La mort doit les frapper à l'imprévu; elle doit troubler le gouvernement, répandre une terreur panique et affaiblir nos persécuteurs en les privant de leurs membres les plus intelligents. >>

Il est utile de soumettre le caractère des crimes politiques à une étude approfondie, pour faire exclure des traités d'extradition une exception trop largement conçue. Telle que cette exception se trouve en ce moment inscrite dans un grand nombre de traités, on ne saurait la considérer comme soutenable et défendable en présence de l'état actuel des relations internationales et du développement de la vie constitutionnelle des États civilisés. Nous pensons qu'elle se modifiera suivant les besoins urgents de notre époque, et qu'elle disparaîtra tout comme le principe de la non-extradition des régnicoles (2), au sujet duquel M. Jules Favre prononçait ces belles paroles : « L'extradition, soyez en sûrs, sera le dernier mot de cette lutte entre les principes contradictoires (de la personnalité et de la territorialité de la loi pénale) qui se sont longtemps combattus et qui finiront par s'entendre dans un sentiment commun de justice. >>

(1) Voir le mémoire de M. KARLOWITCH, Die Entwicklung des Nihilismus, ainsi qu'un article de M. DE WALDECK, dans Unsere Zeit 15 juillet 1879, p. 110). Ces deux travaux nous paraissent beaucoup plus exacts que d'autres publications récentes.

(2) Voyez sur cette question controversée BILLOT, p. 66 et suivantes; LESELLYER, Études historiques et pratiques, VI, 1875, no 1037, pp. 622 et suivantes; MANGIN et SOREL, Traité de l'action publique et de l'action civile en matière criminelle, 1876, no 78, p. 108; PRINS, dans la Revue de droit international et de législation comparée, tome XI, p. 83; G, KÖNIG, dans la Zeitschrift des Bernischen Juristenvereins, XIV, p. 670.

NOTES ADDITIONNELLES SUR L'EXTRADITION POUR DÉLITS POLITIQUES.

L'Extradition des criminels a été mise à l'étude par l'Institut de droit international dans la session de Paris (1).

M. le professeur Charles Brocher, rapporteur, en a fait l'objet d'un travail étendu qui sera publié dans l'Annuaire de l'Institut et a servi de point de départ aux délibérations de la session de Bruxelles, desquelles la Revue donnera un compte-rendu sommaire. On y verra que ces délibérations n'ont pas abouti à des conclusions définitives, et que la question est restée à l'étude.

Le rapport de notre éminent confrère de l'université de Genève passe assez rapidement sur les délits politiques.

Il aboutit, en ce qui les concerne, aux thèses suivantes :

« Les crimes ou délits politiques doivent être exclus des traités d'extradition, même dans les cas où ils seraient connexes à des crimes ou délits de droit commun.

» Il convient de se réserver, en termes généraux, la faculté de ne pas extrader pour des crimes ou délits de droit commun qui seraient connexes avec des crimes ou délits politiques. Ce n'est pas à dire qu'on doive user de cette faculté d'une manière absolue. On ne doit le faire que si le fait de droit commun se présente, avec le fait politique, en de tels rapports qu'il y ait des motifs suffisants de redouter au sujet du premier les mêmes dangers que pour le second. Ni une simple simultanéité, ni l'espoir d'impunité qui pourrait en résulter, ne devraient toujours suffire.

» Ces règles sont applicables aux crimes ou délits se rapportant à la religion ou même, plus généralement, à tout mouvement d'idées purement spéculatives se manifestant par la parole ou par la presse.

» Il en est de même au sujet du refus de service militaire et de la désertion, sauf, en ce qui concerne celle-ci, les cas de service maritime. » Plusieurs des membres de l'Institut auxquels le rapport avait été communiqué, selon la règle, un certain temps avant la session, ont jugé utile d'approfondir davantage cette question épineuse et délicate. Ils l'ont fait dans des sens assez divergents. Fidèle au principe de liberté et de responsabilité personnelle, qui forme la base, soit des discussions de l'Institut de droit international, soit de la rédaction de la Revue, nous (1) Voyez Revue, t. X, p. 382-383.

donnons ci-après, comme compléments de l'étude de M. Teichmann, et dans la forme même dans laquelle elles ont été présentées à l'Institut, quelques observations de M. Martens, de M. Hornung et de M. Saripolos. Nos lecteurs auront ainsi, sur l'importante matière de l'Extradition pour délits politiques, un ensemble d'opinions et de jugements qu'ils ne trouveront dépourvu, nous osons l'espérer, ni d'instruction ni d'intérêt.

I. NOTE DE M. HORNUNG SUR L'EXTRADITION POUR CAUSE DE RÉGICIDE.

La question de l'extradition pour cause de régicide a été soulevée tout récemment par la Russie vis-à-vis de la Suisse, dans un article du Journal de Saint-Pétersbourg (avril 1879), qui avait, assure-t-on, pour auteur un Vaudois d'origine, le baron de Jomini, conseiller privé de l'empereur de Russie. C'était à propos de l'attentat de Solovief. Le Journal se plaignit de ce que la Suisse considérait le régicide comme un délit politique, non sujet, par conséquent, à l'extradition. Une difficulté analogue s'était élevée entre la Suisse et le gouvernement de Napoléon III, en 1856 et 1868. La France demandait que le meurtre du souverain fût déclaré n'être pas un délit politique. Le Conseil fédéral refusa (message du 29 novembre 1869), disant qu'il se réservait d'examiner, dans chaque espèce, s'il y avait délit politique ou délit commun.

Billot (Traité de l'Extradition), raconte les difficultés pareilles qui survinrent entre la France impériale et la Belgique. Celle-ci finit par céder. Dans une loi de 1856, elle décida que l'attentat contre le chef d'un gouvernement n'est pas un délit politique, et un traité dans ce sens intervint entre la France et la Belgique en 1856 la clause fut reproduite dans le traité général de 1869. Elle se retrouve également dans les traités de la France avec la Bavière (1869), les Pays-Bas (1860), la Suède et la Norvége (1869), mais non dans les derniers traités de la France avec l'Italie, l'Espagne, l'Angleterre.

Le droit commun, actuellement, c'est que le régicide n'est pas déclaré être un délit non politique, et que chaque État se réserve d'examiner la question dans les différentes espèces qui peuvent se présenter.

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En principe, évidemment, le régicide est un délit politique, car il est dirigé contre le souverain et non contre la personne; il est dicté par des motifs politiques ou sociaux, et, en outre, on peut supposer que, dans la répression, l'État lèsé n'aura pas le même sang-froid ni la même justice que pour les délits communs.

Cela est particulièrement vrai du gouvernement russe actuel. Aujourd'hui, cependant, il y a ceci de particulier dans le régicide, qu'il est inspiré par les idées socialistes et que celles-ci ont un caractère cosmopolite et général. Le nihilisme a, sans doute, des causes spéciales en Russie où il est le résultat du despotisme; mais il se rattache au grand mouvement socialiste européen et américain. A ce point de vue, le danger existe pour l'humanité civilisée tout entière. Mais, malgré cette raison certainement très forte et celle qui est tirée de la nature même du régicide (puisqu'il est un meurtre), ce crime n'en doit pas moins rester en principe un délit politique et, par conséquent, être soustrait à l'extradition.

Nous pouvons d'autant mieux le dire qu'il y a aujourd'hui une compensation très positive et trop peu remarquée à ce principe, dans le fait qu'aujourd'hui les États punissent de plus en plus les délits contre le droit des gens commis sur leur territoire (1). Or, parmi ces délits se place l'attentat contre les chefs de gouvernements étrangers.

Notre code pénal fédéral (art. 42) ne prévoit expressément, chose bizarre, que l'outrage envers un souverain ou un gouvernement étranger; mais l'affaire du journal socialiste l'Avant-garde a montré que l'art. 41, qui prévoit les actes contraires au droit des gens, comprend l'excitation au régicide. Le code allemand (art. 103) punit les attentats contre les souverains étrangers, même lorsqu'ils sont commis par un Allemand hors de l'Allemagne. Le code autrichien renferme une disposition analogue. La loi belge de 1858, sur les délits contre le droit des gens, punit l'attentat et le complot contre le chef d'un gouvernement étranger.

Là est, selon nous, la vraie solution : que chaque État punisse toujours plus, lui-même et d'après sa propre justice, les délits contre le droit des gens commis sur son territoire. Il lui serait difficile de punir ceux qui sont commis par des étrangers ou même par ses nationaux à l'étranger. C'est pourtant ce que prescrit le code allemand, en ce qui concerne les Allemands. En tout cas, les États doivent, par leur propre justice, protéger les autres États. Mais il est difficile d'admettre l'extradition pour le régicide et les délits analogues.

Genève, 26 août 1879.

JOSEPH HORNUNG.

(1) M. Hornung renvoie ici à ure note sur le droit de la guerre, qui a été également communiquée à l'Institut dans la session de Bruxelles et sera publiée dans la Revue.

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