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dans une situation qui est précisément provoquée par l'état de guerre. Et, en effet, si les exigences de son service empêchent qu'on ne fasse servir le personnel sanitaire à un intérêt international, il ne s'en suit nullement que les États neutres n'aient pas le droit de recourir aux remèdes capables d'éloigner les catastrophes qui les menacent. Cela est surtout vrai si la commission dont nous parlons ne doit pas être soustraite au contrôle des États belligérants, et, pour moi, je vois dans l'établissement d'un pareil contrôle une garantie des intérêts médiats de ces États.

Le caractère et le but de la commission sanitaire internationale empêchent évidemment l'immixtion d'États qui seraient sans intérêt dans la question.

Toute espèce de considération politique est étrangère à l'organisation en question. Sans doute, on peut voir dans le droit de guerre un droit des nations souveraines. Chaque guerre n'en est pas moins un mal qui ne se borne pas aux puissances belligérantes, mais entraîne une perturbation dans l'existence harmonique des autres États. Si le droit international veut favoriser les principes d'humanité, il ne peut se contenter de considérer la guerre comme un fait inévitable. Il y aurait là une négation de ces mêmes principes, négation qui serait en contradiction flagrante avec les idées qui nous montrent dans la famille des nations européennes une communauté d'États civilisés.

Le progrès tend à augmenter les charges internationales des États européens. L'État moderne ne remplirait qu'incomplètement sa mission si, dans sa sphère d'action interne, il se contentait d'un rôle négatif, s'il se bornait à la sûreté du droit et s'il voulait se soustraire aux devoirs que lui impose l'avancement de la civilisation. La communauté des nations européennes poursuivrait imparfaitement son développement historique, si elle prétendait s'en tenir à un formalisme raide et engourdi et restreindre son activité aux conséquences formelles de la souveraineté particulière. Notre époque tend plutôt à ouvrir continuellement des voies nouvelles à l'expansion des forces civilisatrices tout en respectant la souveraineté de chaque État. C'est précisément dans les grands États confédérés que, grâce à la mise en œuvre de toutes les forces, les intérêts communs des États particuliers ont reçu la satisfaction la plus complète, sans qu'il en soit résulté pour eux aucun préjudice individuel. Il y a là un exemple dont la grande famille européenne peut tirer profit.

Je n'entrerai pas pour le moment dans l'examen détaillé du projet de convention dont je viens de parler. Je puis me borner à en indiquer, comme

je l'ai fait, l'idée fondamentale. J'ajouterai cependant que la compétence de la commission sanitaire internationale devrait être soigneusement délimitée et que ses rapports avec les belligérants devraient être exactement fixés, pour empêcher, à la fois, la commission de nuire aux intérêts légitimes des belligerants et ceux-ci d'aggraver la tâche de celle-là. Quant aux frais de l'institution, je serais tenté de proposer qu'ils soient payés par les signataires de la convention, en prenant les chiffres des populations comme bases des contributions respectives.

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LA TURQUIE

ET

LES PRINCIPAUTÉS DANUBIENNES

SOUS LE RÉGIME DES CAPITULATIONS.

Études et projet de réforme applicable à la ROUMANIE et à la SERBIE.

PAR

ED. ENGELHARDT,
Ministre plénipotentiaire.

Depuis que la Turquie a été admise dans le concert des nations civilisées et que l'autonomie des populations relevant de sa suzeraineté a été placée sous la garantie collective des grands États du continent, de fréquentes négociations diplomatiques ont eu pour objet l'examen des modifications dont les capitulations orientales seraient susceptibles, et l'on doit convenir que cette réforme spéciale semblait la conséquence logique de la situation nouvelle qui associait le Sultan et ses tributaires à la communauté européenne. « La Porte, disait Fuad Pacha dès 1858, élève la juste prétention de voir cesser de fait un ostracisme qui a cessé de droit depuis le congrès de Paris, et elle se croit pleinement autorisée à protester contre le maintien de privilèges qui la privent des avantages essentiels du droit public moderne auxquels elle a été appelée à participer en vertu du traité du 31 mars 1856 (1).

De leur côté les principautés danubiennes ont plus d'une fois réclamé les bénéfices de l'indépendance intérieure qui leur avait été solennelle

(I) La Turquie devant l'Europe, 1858.

Le protocole XIV du 25 mars 1856 porte: «M. le baron de Bourqueney et les autres plénipotentiaires admettent que les capitulations répondent à une situation à laquelle le traité de paix tend nécessairement à mettre fin et que les privilèges qu'elles stipulent pour les personnes, circonscrivent l'autorité de la Porte dans des limites regrettables, qu'il y a lieu d'aviser à des tempéraments propres à tout concilier, mais qu'il n'est pas moins important de les proportionner aux réformes que la Turquie introduit dans son administration, de manière à combiner les garanties nécessaires aux étrangers avec celles qui naîtront des mesures dont la Porte poursuit l'application. „

"Messieurs les plénipotentiaires reconnaissent tous la nécessité de réviser les stipulations qui fixent..... les conditions des étrangers en Turquie, et ils décident de consigner au présent protocole le vœu qu'une délibération soit ouverte à Constantinople, après la conclusion de la paix, pour atteindre ce but dans une mesure propre à donner une entière satisfaction à tous les intérêts légitimes. »

Voir aussi le Memorandum ottoman d'avril 1869.

ment reconnue à la suite de la guerre de Crimée, insistant sur le caractère contradictoire d'un régime qu'elles considéraient comme la négation de leurs immunités conventionnelles.

Ces revendications en quelque sorte périodiques n'ont été accueillies jusqu'à présent qu'avec une extrême réserve, et si l'on excepte la Russie qui, il y a douze ans, a libéré les Serbes de la juridiction de ses consulats (1) et en a partiellement affranchi les Roumains (2), aucune puissance ne s'est encore formellement dessaisie des droits exceptionnels que les traités et l'usage lui attribuent sur ses sujets ou protégés orientaux (3).

L'on ne pourra cependant persister dans une rigueur qui tend à assimiler, comme s'ils méritaient une égale méfiance, des peuples de race, de religion, de mœurs et d'éducation différentes, et il est vraisemblable qu'à défaut d'une entente commune, des conventions particulières limiteront du moins le domaine des capitulations dans les provinces chrétiennes que le traité de Berlin a définitivement détachées de l'empire ottoman.

Quelles pourraient être les bases pratiques de cet accord prochain? A quelles concessions les gouvernements européens auraient-ils à se prêter pour répondre dans une équitable mesure aux légitimes exigences de la Roumanie et de la Serbie, tout en assurant une suffisante protection aux étrangers résidant dans ces pays? Telle est la question restreinte que je me propose de discuter librement dans ces courtes pages, après avoir rappelé l'origine et marqué le caractère propre des juridictions nationales dans les États du Sultan.

I.

Un fait invariable et par cela même caractéristique frappe dès l'abord l'attention du voyageur qui explore pour la première fois une région quelconque de l'empire ottoman. Il remarque qu'aussi bien dans les grands centres que dans la plus infime bourgade, les musulmans et les chrétiens

(I) Notification du 13 mai 1868. La Russie ne comptait alors que de rares sujets dans la principauté et depuis plusieurs années aucune action judiciaire n'avait été portée devant son consulat-général.

(2 Convention du 29 novembre 1869.

Depuis que ces lignes ont été écrites, une convention consulaire a été conclue entre l'Italie et la Serbie. On n'en connaît pas encore les dispositions.

(3) Il ne s'agit point ici de l'Egypte qui a été soumise à un régime particulier et temporaire par le règlement international d'organisation judiciaire de 1874. Voir tomes VIII et IX de cette Revue.

occupent des quartiers séparés, et pour peu que cette particularité l'intéresse, il ne tarde pas à se convaincre que cet isolement est l'effet d'un éloignement réciproque.

Que son itinéraire le conduise dans les anciennes provinces turques où le chrétien a gardé ou repris le dessus, comme en Roumanie et en Serbie, le visiteur étranger s'aperçoit que les musulmans y ont complétement disparu et comme il en témoigne sa surprise, on lui apprend que dans l'un de ces pays des conventions formelles ont stipulé leur émigration (1) et que dans l'autre des capitulations plusieurs fois séculaires leur interdisent même l'accès du territoire (2).

Il n'aura pas à méditer longuement sur ces simples observations et un grand effort de logique ne lui sera point nécessaire pour reconnaître qu'il y a incompatibilité entre Turcs et chrétiens, que la violence seule les rapproche ou plutôt les juxtapose, que dès qu'elle cesse, ils se repous

sent.

C'est ainsi que le touriste le plus novice et le moins sérieux, sans s'en douter peut-être, entrevoit dès ses premiers pas et définit même sous son principal aspect cette redoutable Question d'Orient qui constitue depuis près de deux siècles l'une des plus graves préoccupations de la diplomatie européenne.

Qu'il poursuive sa route et un troisième fait non moins significatif s'imposera de lui-même à ses réflexions. Constatons-le avec lui.

(1) Firman de 1867 concerté entre la Porte et les grandes puissances relativement à l'évacuation des forteresses de Serbie. Voir aussi Hatti Cheriff du 22 novembre 1830 et du 24 décembre 1838.

(2) Tels sont du moins les textes cités par les publicistes roumains :

Il ne sera permis à aucun Turc d'aller en Valaquie sans un motif ostensible (Art. 2 de la capitulation de 1460).

Les marchands turcs feront connaître aux autorités le temps qu'ils doivent séjourner dans le pays pour leurs affaires et ils devront partir, ce temps expiré (Art. 9 de la même capitulation).

Aucune mosquée n'existera jamais dans une partie du territoire valaque (Art. 10). Les Turcs ne pourront avoir, ni acheter des terres en Moldavie; ils ne pourront non plus y bâtir, ni s'y établir en aucune manière (Art. 8 de la capitulation de 1513).

L'exercice du culte musulman est défendu dans tout le territoire moldave (Art. 6 de la capitulation de 1529).

Aucun musulman ne pourra avoir à titre de propriétaire en Moldavie, ni terre, ni maison, ni boutique ; il ne pourra non plus séjourner dans le pays pour affaires de commerce qu'autant qu'il y sera autorisé par le prince (Art. 7).

Les Turcs que la Porte enverra avec des papiers à l'adresse du Prince, ne franchiront pas le Danube ; ils s'arrêteront en face de Galatz (Art. 10).

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