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tan et des puissances tels qu'ils ont été définis par le Congrès de Paris. (Dépêche du 4 janvier 1876.)

L'Italie adhéra aussi sans réserve à la note du comte Andrassy. Mais qu'allait dire l'Angleterre? L'opinion du gouvernement britannique est consignée dans une lettre adressée, le 25 janvier 1876, par lord Derby au comte de Beust. Le principal secrétaire d'État de la reine ne se croit pas en mesure de se prononcer sur la question de l'application des impôts directs aux besoins locaux. Sur les quatre autres propositions, il considère, en se référant aux propres actes de la Porte, que la Turquie est d'accord, en principe, avec le comte Andrassy. Finalement lord Derby annonce que l'ambassadeur britannique sera chargé de donner, aux propositions du gouvernement austro-hongrois, un appui général.

Muni de ces adhésions, le cabinet de Vienne invita son ambassadeur à lire, au ministre turc des affaires étrangères, la note du 30 septembre. A la fin de l'entretien, RachidPacha demanda au comte Zichy de lui laisser, à titre officieux et simplement comme aide-mémoire, une copie de la note, la Porte ayant déclaré, dès le principe, qu'elle ne consentait pas à en recevoir communication officielle. Les représentants des autres puissances signataires du traité de Paris firent connaître l'adhésion de leurs gouvernements à la note et en recommandèrent l'acceptation.

Voici la réponse de la Porte, laquelle a été adressée aux légations ottomanes :

Soucieux du bien-être de ses sujets sans distinction, et voulant de sa haute et généreuse initiative étendre sur les districts révoltés aussi bien les faveurs déjà accordées que les mesures loyalement suggérées par M. le comte Andrassy, mesures qu'il considère comme rentrant dans ses droits souverains et comme des améliorations complémentaires de celles déjà édictées par son récent et auguste rescrit, Sa Majesté le Sultan s'est plù à ordonner, par un iradé en date du 15 mouhairem 1293, l'application des points suivants qui découlent des principes adoptés par la Sublime-Porte et qui, par la nature spéciale de la situation de la Bosnie et de l'Herzégovine, devront en

trer en pleine vigueur dans toutes les parties sans exception de ces

deux provinces.

Ces compléments de réformes se résument ainsi qu'il suit : 1o La liberté religieuse pleine et entière;

2o Abolition du système des fermages (d'impôts);

3o Amélioration de la situation agraire des paysans cultivateurs; 4o Institution d'une commission locale composée en nombre égal de musulmans et de non-musulmans, pour surveiller l'exécution en général de toutes les réformes décrétées.

Quant au projet de M. le comte Andrassy qui concerne l'emploi des impôts directs pour les besoins de la province même, la SublimePorte fait observer que cette disposition ne saurait se conformer au système de notre administration financière.

Toutefois, Sa Majesté Impériale, notre auguste souverain, prenant une fois de plus en considération la situation exceptionnelle des contrées dévastées par l'insurrection, a bien voulu décréter les mesures nécessaires pour affecter une somme qui sera fixée par ordre de Sa Majesté, après avoir entendu les vœux des Conseils administratifs basés sur les besoins des localités. Cette somme formera un supplément aux revenus déjà alloués en Bosnie et en Herzégovine pour les besoins d'utilité publique.

L'emploi des fonds destinés à ce dernier chapitre devra être minutieusement contrôlé par les conseils provinciaux institués aux termes du firman du 12 décembre dernier...

Je termine cette dépêche en déclarant, d'ordre de Sa Majesté notre auguste souverain, que le gouvernement impérial est fermement résolu à mettre en vigueur dans toute leur intégrité, à exécuter ces réformes et à tenir la main à ce qu'aucune atteinte n'y soit portée. Signé: RACHID.

Une communication officielle du 5/17 février 1876 vint confirmer les déclarations du ministre des affaires étrangères relatives aux réformes particulièrement ordonnées en Bosnie et en Herzégovine. Une amnistie fut proclamée en faveur des insurgés qui se soumettraient dans le délai de quatre semaines. La Porte communiqua également aux ambassades quelques jours après les instructions spéciales des commissaires qui allaient être chargés d'appliquer les réformes et l'amnistie. Les zaptiés qu'on emploiera au rapatriement des insurgés, y est-il dit, appartiendront aux différents cultes : ils seront mixtes, selon l'expression officielle.

VI

LE PROGRAMME CHRÉTIEN DE SOUTORINA

Excepté sur un point qui n'exigeait pas, du reste, une solution immédiate, l'accord s'était donc établi entre les signataires du traité de Paris.

Non seulement la Porte avait adhéré au projet de réformes présenté par le comte Andrassy; mais elle s'était résignée à communiquer officiellement ses instructions aux cabinets européens et elle prenait l'engagement envers eux d'exécuter ces réformes.

Qu'allaient dire les intéressés? Allaient-ils trouver que les concessions étaient suffisantes? allaient-ils trouver que l'exécution en était suffisamment garantie par la communication faite et par l'engagement de la Porte? Si l'on interroge l'histoire des vingt-cinq dernières années, il était facile de prévoir ce que, libres d'exprimer leurs vrais sentiments, les chrétiens allaient répondre sur les deux points.

Ce n'est pas le lieu de raconter, comme nous l'avons fait ailleurs, ce qui s'est passé en Herzégovine pendant le quart de siècle qui a suivi la funeste intervention du trop célèbre Omer-Pacha en 1851. Bornons-nous à mentionner qu'en 1858 et en 1862, de grandes puissances européennes étaient intervenues en faveur des chrétiens soulevés de l'Herzégovine, et qu'à la suite des interventions de 1858 et de 1862, la condition des chrétiens avait empiré au point de susciter tout naturellement en 1875 une troisième grande crise; car il ne faut pas

1. Voir Voyage sentimentul dans les pays slaves. In-12, Paris, Palmé.

en chercher les causes ailleurs, comme l'ignorance, la prévention et la peur s'y sont trop appliquées, se privant ainsi du moyen de trouver le remède.

La défiance était donc permise et, cette fois, les chréliens se trouvaient ou réfugiés sur la terre autrichienne ou en armes sur leur propre territoire, c'est-à-dire libres. Le maréchal Roditch, gouverneur de la Dalmatie, réunit les principaux chefs à Raguse et leur offrit ce qui avait été concerté entre Vienne et Constantinople. Les insurgés répondirent que les réformes octroyées étaient insuffisantes et qu'ils ne verraient de garantie à l'exécution que dans une intervention directe de l'Europe. Tel est le sens général d'un programme dont nous allons donner les parties substantielles.

Le mémorandum des insurgés porte la date du 26 mars (7 avril) 1876. Il a été écrit à Soutorina :

Nous demandons :

1° Que le peuple chrétien de l'Herzégovine reçoive en pleine propriété le tiers au moins des terres, et cela non seulement parce que ces terres se trouvent illégitimement en la possession et jouissance des Turcs, mais encore parce que, sans elles, le peuple chrétien de l'Herzégovine ne peut pas vivre et que nous aimons mieux périr que de reprendre une existence impossible;

2° Que la Turquie retire à tout jamais son armée de l'Herzégovine, en ne laissant dans le pays que les garnisons nécessaires pour garder les places de Mostar, Stolatch, Trébigné, Niktchitch, Plenlije, Foscha;

3o Que la Turquie rebâtisse aux chrétiens leurs maisons et leurs églises incendiées et leur donne des vivres au moins pour un an; qu'elle leur fournisse des instruments de culture et que les familles chrétiennes ne paient aucun impôt trois années durant, à partir du jour de leur rapatriement;

4° Que le peuple chrétien de l'Herzégovine ne dépose pas les armes avant que les mahométans ne lui aient donné l'exemple et que les réformes promises aient été complètement mises en vigueur;

5o Que, dans le cas où le peuple chrétien de l'Herzégovine retourne dans son pays, ses chefs soient admis à discuter avec les autorités la mise en pratique des réformes et qu'ils créent tous ensemble une constitution (uprava) en harmonie avec les principes du projet de réformes de Son E. le comte Andrassy. Il va sans dire que nous sommes obligés de demander que les réformes soient appliquées tout

de suite dans toute l'étendue de la Bosnie et de l'Herzégovine sans en excepter les clans (plemena) qui ne sont pas encore soulevés, parce qu'ainsi nous obtiendrons une garantie précieuse pour nous et pour les Turcs eux-mêmes en ce sens qu'ils ne verront pas se développer dans lesdits clans un état de choses semblable à celui qui règne en ce moment chez nous;

6° Considérant que les insurgés ne peuvent pas se fier aux vaines promesses de la Porte qui, jusqu'à présent, n'a jamais tenu ses promesses; considérant que la Porte est à peine en état de nourrir sa propre armée, et que, par conséquent, les insurgés craignent, à bon droit, de voir l'argent qui serait destiné par la Porte au peuple chrétien de l'Herzégovine tomber entre les mains des employés turcs, auquel cas non seulement le peuple chrétien de l'Herzégovine n'en verrait jamais rien, mais pourrait encore mourir de faim;

Considérant enfin que les insurgés savent parfaitement qu'après coup ils n'obtiendraient absolument rien en protestant auprès des grandes puissances; nous demandons, au nom du peuple, que le maniement des fonds en question soit placé sous le contrôle immédiat d'une Commission européenne; que cette Commission reçoive ellemême directement et en entier l'argent destiné à la reconstruction des maisons et des églises, et qu'elle fasse édifier, avant le retour des familles émigrées, quelques magasins centraux pourvus du nécessaire;

7° En dernier lieu, nous demandons que les gouvernements d'Autriche et de Russie établissent, dans les six places où sont maintenant des garnisons turques, chacun un agent chargé de veiller à l'exécution complète des réformes.

Telles sont nos demandes. Votre Excellence voudra bien reconnaitre qu'elles n'ont rien d'exagéré et que nous ne pouvions pas demander moins pour notre sûreté, et comme gage d'une existence meilleure, à laquelle, en tant que peuple, nous avons un droit indéniable.

En priant Votre Excellence de recommander nos modestes vœux au généreux patronage de l'Autriche, etc., etc.

Ces demandes n'ont, en effet, rien d'exagéré, rien qui ne fût parfaitement acceptable par l'autorité souveraine (c'est moins qu'il n'a été accordé à la Crète) elles ont une saveur locale qui montre bien le caractère local du mouvement.

Remarquons, en passant, combien la défiance contre les promesses de la Porte en fait de réforme et d'amnistie, est invétérée dans les populations. C'est ce que les Herzégoviniens exprimaient en disant qu'un firman ne vaut

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