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traient à Reichstadt. Un télégramme du comte Andrassy au chargé d'affaires à Paris expose le résultat de cette réunion :

On est tombé d'accord, en écartant toutes les propositions récentes, de maintenir dans l'état de choses actuel la non-intervention. Seulement, quand les circonstances le réclameraient et qu'un fait spécial se présenterait, on engagerait des pourparlers confidentiels ultérieurs entre toutes les grandes puissances chrétiennes.

Les trois empereurs s'abstiennent donc d'intervenir dans la guerre des Monténégrins et des Serbes contre les

Turcs.

L'Angleterre se jeta entre les combattants. Le 16 août 1876, l'ambassadeur de la reine à Paris écrivait au duc Decazes :

Lord Derby désire que je porte à votre connaissance qu'il a écrit par le télégraphe à l'agent britannique à Belgrad que, si la médiation n'est pas demandée, le gouvernement anglais ne la proposera pas; mais qu'il peut suggérer au prince Milan qu'un appel de la part de Son Altesse aux puissances pour obtenir leurs bons offices, serait favorablement accueilli par l'Angleterre.

C'est alors que le prince de Serbie, qui avait déjà commencé les hostilités, réunit dans son palais les représentants des puissances garantes.

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« Le gouvernement serbe, leur dit-il en présence de son premier ministre, voulant se conformer aux vœux des puissances garantes et désireux de voir se rétablir les bons rapports entre la Sublime-Porte et la principauté, sollicite leurs bons offices pour amener la cessation des hostilités 1. »

Cette réunion avait lieu le 16 août 1876. Dès le lendemain, lord Derby proposait une démarche des représentants à Constantinople pour demander au gouvernement ottoman la cessation des hostilités.

1. Télégramme de M. de Kerjégu au duc Decazes.

Il ne s'agissait que de la Serbie. Encore sur l'initiative de lord Derby, le prince de Monténégro fut mis en demeure de faire la même démarche. Nicolas let y consentit, en priant le gouvernement austro-hongrois d'être son intermédiaire auprès des autres puissances. L'ambassadeur d'Angleterre reçut alors l'instruction de demander un armistice d'un mois pour la discussion immédiate des conditions de paix. Cet armistice se devait étendre à tous les combattants, y compris les raïas insurgés de la Bosnie el de l'Herzégovine. Tous les représentants étrangers se rangèrent à la proposition anglaise.

La Porte refusa.

La réponse ottomane, qui est du 14 septembre, énumère les conditions sous lesquelles la paix pouvait être accordée. Ces conditions sont les suivantes :

1o Le prince de Serbie viendra à Constantinople pour rendre hommage au sultan ;

2o Les quatre forteresses de Belgrad, Chabatz, Semendria et Fethi-Islam seront réoccupées par les Turcs;

3o Les milices seront abolies. L'armée régulière ne dépassera pas dix mille hommes, avec deux batteries d'artillerie:

4° Les réfugiés des provinces limitrophes seront renvoyés dans leurs foyers; les nouvelles fortifications seront démolies;

5° La Serbie devra une indemnité de guerre; si elle n'en peut verser le capital, l'intérêt en sera ajouté au tribut : 6o La Turquie aura le droit de construire et d'exploiter un chemin de fer de Belgrad à Nischa.

Après cette énumération, le mémorandum ajoute que le gouvernement ottoman déclare s'en remettre entièrement, pour les six conditions, au jugement éclairé et à l'appréciation équitable de six puissances médiatrices. En ce qui concerne le Monténégro, on maintiendrait le statu quo.

Un armistice formel était refusé; mais la Porte adres

sait confidentiellement aux commandants militaires l'ordre de rester sur la défensive, à la condition que l'ennemi ferait de même, depuis le 15 jusqu'au 25 septembre 1876. Il s'établit ainsi, de fait, une suspension des hostilités, laquelle fut plus tard prolongée jusqu'au 3 octobre.

L'Europe accepta la suspension d'armes, mais non les conditions à imposer aux Serbes. Dans une instruction sur laquelle je reviendrai bientôt, l'ambassadeur d'Angleterre recevait l'ordre de demander le statu quo en termes généraux à la fois pour la Serbie et le Monténégro. Pendant ces pourparlers, la date fatale du 3 octobre arriva. Les hostilités furent reprises dans la vallée de la Morava et au Monténégro.

Ainsi l'intervention britannique à l'effet d'amener la suspension de la lutte avait échoué. Les négociations reprendront bientôt sur cet objet; mais l'action décisive viendra d'ailleurs.

IV

LE PROGRAMME ANGLAIS

L'intérêt dramatique de la lutte armée ne doit pas faire perdre de vue que les combats avec le Monténégro et la Serbie ne sont que des épisodes.

Le fond du débat était le règlement des difficultés suscitées d'abord par l'insurrection de l'Herzégovine et de la Bosnie, en second lieu par les massacres en Bulgarie. Nous allons donc laisser, pour quelques pages, les belligérants s'entretuer, et, pendant qu'ils se portent les derniers coups, nous devons exposer le programme qui fut mis au jour à l'effet d'amener, non plus seulement une suspension d'hostilités, mais le réglement de la difficulté générale et per

manente.

A mesure que la vérité, avons-nous dit, se faisait jour sur les massacres de la Bulgarie, il se produisait en Angleterre un mouvement d'opinion hostile à la Turquie. La suspension du service de la dette avait aussi indisposé les Anglais contre la Porte. Le ministère essayait de combattre le mouvement produit par les meetings d'indignation, tandis que, de son côté, l'opposition s'appliquait à en tirer parti; mais il était impossible de ne pas tenir compte des impressions produites. Le ministère devait, d'ailleurs, se faire pardonner la légèreté, par trop cavalière, avec laquelle il avait d'abord parlé des massacres.

D'un autre côté, lord Derby avait déjà montré, lors de la dernière insurrection crétoise, une perception assez juste des nécessités de la question d'Orient. Après ce qui venait de se passer, il lui était impossible de ne pas reconnaître qu'il y avait quelque chose à faire.

Sous l'empire de ces diverses circonstances et alors que la Russie n'avait encore rien dit de bien significatif, le cabinet de Londres, en même temps qu'il intervenait pour un armistice, fut amené à formuler un programme.

C'est le 21 septembre, au lendemain du jour où, comme nous venons de le voir, la Porte rejetait la proposition anglaise pour l'armistice, que le programme anglais fut formulé et notifié. Cette pièce a d'autant plus d'importance qu'elle fut approuvée par les autres gouvernements et qu'elle servit de base à tout ce qui a suivi. J'en trouve le texte dans une dépêche de lord Derby à lord Loftus':

Sir H. Elliot fut donc chargé, le 21 septembre, d'annoncer formellement à la Porte que les propositions suivantes paraissaient au gouvernement de Sa Majesté propres à former la base de la pacification, à savoir:

1o Le statu quo, en termes généraux pour la Serbie et le Monténégro;

2o La Porte s'engagerait simultanément dans un protocole qui serait

1. Du 30 octobre 1876. Livre jaune, p. 217.

signé à Constantinople avec les représentants des puissances médiatrices, à accorder à la Bosnie et à l'Herzégovine un système d'autonomie locale ou administrative, c'est-à-dire un système d'institutions locales donnant à la population un droit de contrôle sur ses propres affaires et des garanties contre l'exercice d'une autorité arbitraire.

Il ne devait pas être question de la création d'un État tributaire. Des garanties du même genre devaient être également données contre la mauvaise administration en Bulgarie. Les détails en pourraient ètre discutés ultérieurement.

Sir H. Elliot a reçu l'instruction d'ajouter que les réformes déjà consenties par la Porte dans la note adressée aux représentants des puissances le 13 février dernier, devront être comprises dans les dispositions administratives applicables à la Bosnie et à l'Herzégovine 1.

Sir H. Elliot communiqua à la Porte les conditions ainsi formulées par le gouvernement de la reine. Quelques jours après, ce programme anglais était appuyé par les représentants de toutes les autres puissances, y compris celui de la Russie.

V

MESURES D'EXÉCUTION PROPOSÉES PAR LA RUSSIE

MISSION DE SOUMAROKOV

« Il était devenu évident, expose ensuite lord Derby, dans la même dépêche du 30 octobre, que le gouvernement turc élevait de sérieuses objections, tant au point de vue de la signature d'un protocole promettant des réformes dans les provinces insurgées, réformes qui porteraient atteinte au prestige et à l'autorité de la Porte dans toutes les parties de l'Empire, qu'au point de vue de l'expression autonomie locale appliquée à ces réformes. »

1. Cette note, du 13 février 1876, est la réponse aux propositions du comte Andrassy. Page 101 du Livre jaune.

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