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croyait déjà à Andrinople; mais à la fin du même mois, il était obligé de revenir sur ses pas. Si, à ce moment, et après les deux échecs des Russes devant Plevna, les armées turques avaient eu la faculté et les moyens matériels pour se concentrer et se mouvoir rapidement, il était à prévoir, d'après les données ordinaires de l'art militaire, que les Russes auraient été rejetés sur le Danube et peutêtre obligés de le repasser. Il n'en fut rien; l'officier et le soldat turcs, admirables pour la défense d'une position retranchée, n'avaient pas ce qu'il faut pour se mouvoir rapidement par grandes masses devant l'ennemi. L'armée turque n'est pas maneuvrière. Cette condition seule rendait presque certain le succès des Russes dès qu'ils entreprendraient l'attaque de la manière qu'il faut et en nombre suffisant. Ils ne l'avaient pas fait dès le principe.

Il y a encore à relever, en défaveur des Turcs, une autre cause d'infériorité bien plus irrémédiable et bien plus désastreuse c'est l'absence complète d'une autorité supérieure, qui pût imposer un mouvement d'ensemble et contraindre les commandants à se concerter pour atteindre un but commun.

Le pouvoir qui règne à Constantinople s'est révélé dans la guerre ce qu'il était déjà connu pour être dans la paix : un despotisme de la plus dangereuse espèce, un despotisme impuissant.

Le sultan règne, il ne gouverne pas, et personne ne gouverne à sa place. Dans l'ordre civil, le sultan ordonnera toutes les réformes qu'il voudra; il fera rentrer dans le néant n'importe quel vizir ou gouverneur sur un signe ; mais il n'a jamais pu faire exécuter nulle part sa volonté par personne. Pendant la lutte de 1877, le sultan a changé comme il a voulu, et comme on le lui a fait vouloir, ses généraux et ses ministres de la guerre ; mais il n'a jamais pu obtenir qu'ils concourussent au salut de la patrie en faisant taire leurs rivalités personnelles. Chacun a poursuivi son intérêt particulier, et il n'a jamais été possible

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d'imposer à l'un de venir sauver l'autre ou de concourir avec lui. C'est là un grand symptôme de décadence. Dans de telles conditions et lorsqu'on a en main un instrument merveilleux comme le soldat turc, on réussit à faire répandre beaucoup de sang; on ne sauve pas un empire.

Je passe à une revue rapide des événements militaires. L'objectif des armées envahissantes se présentait de la manière suivante en Asie et en Europe: en Asie, le point à atteindre est Erzeroum; en Europe, Andrinople. De ces deux points, le vainqueur a toujours dicté la paix au maître de Stamboul.

II

EN EUROPE

(Consulter le croquis).

La défense militaire d'Andrinople et des Balkans est composée d'un quadrilatère appuyé sur la mer Noire; les défenses sont à Varna, Silistrie, Choumla et Routchouk. Tout à fait à l'ouest, mais à une grande distance et près la frontière serbe, est la forteresse de Vidin. En 1828, les Russes avaient abordé de front le quadrilatère, par la raison qu'étant alors maîtres de la mer Noire, ils avaient tout avantage à se tenir rapprochés de la flotte, qui les approvisionnait et formait une admirable base d'opérations mouvante. En 1877, au contraire, les Turcs étaient maîtres de la mer. Dès lors, les Russes n'avaient aucun avantage à se heurter contre Silistrie ou Routchouk, avec Choumla en face et Varna à gauche. Il ne leur était loisible d'attaquer que plus à l'ouest, par le grand espace laissé vide entre Routchouk et Vidin.

Routchouk, ou plutôt l'ensemble formé par le quadrilatère, était trop rapproché de cette ligne de marche pour

que l'état-major russe ne vît pas la nécessité de s'en garer. Il y fut pourvu par l'armée du prince héritier qui eut pour mission, depuis le commencement jusqu'à la fin, de contenir la principale armée turque dans le quadrilatère.

Le commandant du quadrilatère n'eut pas affaire seulement à l'armée échelonnée sur son flanc occidental. A l'est, le général Zimmermann fut envoyé dans la Dobroudja d'où il menaçait Silistrie. Enfin, au nord, les Russes, postés à Giurgevo sur la rive roumaine, attaquèrent la place de Routchouk. L'armée du quadrilatère était donc harcelée au nord et à l'est, masquée du côté ouest.

Par ces dispositions, qui montrent chez l'état-major russe une véritable entente de la grande guerre, la principale armée turque se trouva neutralisée pendant toute la campagne. De part ni d'autre on ne fit sur la Zantra et sur les Lom des progrès bien sensibles, mais le but des Russes était atteint leur armée d'attaque pouvait s'avancer sans crainte d'être inquiétée sur son flanc gauche par les Turcs du quadrilatère. Je sais bien qu'un Napoléon ou un Moltke ne se serait pas laissé ainsi enserrer et annihiler ; mais l'état-major russe connaissait sans doute cet ennemi, dont le côté faible est l'impuissance à se concentrer et à se mouvoir.

En guerre comme en mécanique, l'effort est juste lorsqu'il est proportionné à la résistance. C'est pourquoi les dispositions prises de ce côté par les Russes doivent être louées sans réserve.

Dans sa marche vers les Balkans, marche qui va du nord au sud, l'armée d'attaque était donc bien garantie à l'est, c'est-à-dire sur le flanc gauche. A l'ouest, c'est-àdire sur le flanc droit, Vidin est si éloigné que les Russes ne se crurent pas exposés à être attaqués vigoureusement, ou coupés de ce côté : ils n'y concentrèrent pas des forces. imposantes. Ils avaient raison sans doute au point de vue de Vidin même; mais, en cette place, un Turc s'est rencontré qui fit preuve, dans la circonstance, d'un coup d'œil

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