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une attitude qui le compromettait dans la cause ottomane, qui ne pouvait pas arrêter les Russes et qui encourageait les Turcs à la résistance sans leur apporter aucun appui.

Nous sommes à la fin de juin 1877. La guerre est commencée; mais Osman-Pacha n'est pas encore venu occuper à Plevna la position qui devait arrêter si longtemps les Russes. Rappelons quelle fut alors l'attitude de la GrandeBretagne.

Cette attitude a été manifestée : 1° par l'envoi de la flotte; 2° par la présence des officiers à l'armée; 3° par une action en Grèce; 4° par une interposition entre les belligérants.

II

LA FLOTTE

En remontant au début des complications, je rappellerai que deux circulaires, portant les dates des 19 mai et 8 juin 1876 et émanant de lord Derby, avaient annoncé qu'une escadre anglaise se rendait à Besika pour protéger les personnes et les propriétés des étrangers, tout en respectant les droits du sultan et la convention des détroits. Alors, c'est-à-dire en 1876, cette mesure fut interprétée comme une manifestation en faveur de la Turquie.

Au mois de décembre de la même année, durant les conférences de Constantinople et à la demande du plénipotentiaire lord Salisbury, l'amiral reçut l'ordre de quitter Besika et de se rendre au Pirée. « Cela fut fait, comme l'expliquait le Times, non pas autant pour témoigner le déplaisir du gouvernement de la reine au sujet de l'obstination des Turcs, que pour leur donner un signe extérieur et visible qu'ils n'avaient rien à espérer de l'Angleterre,

dans le cas où ils se plongeraient dans une guerre avec la Russie. »

Au moment que lord Derby recevait les confidences du comte Schouvalov sur les intentions de la Russie, l'escadre britannique était au Pirée depuis six mois. Quelques jours après que l'ambassadeur russe eût fait sa communication et que M. Layard eût envoyé sa consultation responsive, l'escadre, composée de sept frégates blindées, vint mouiller de nouveau à la baie de Besika, c'est-à-dire à l'embouchure des Dardanelles.

Cet événement causa une grande émotion en Angleterre. Le 6 juillet 1877, M. Lawson interpella le cabinet : « L'escadre, dit-il, paraît avoir été envoyée à Besika comme un avertissement ou une menace envers l'un ou l'autre des belligérants. M. Lawson ne voit pas comment le gouvernement pourrait, dès lors, éviter de prendre une part active aux événements. » Le chancelier de l'Echiquier nia que le fait d'avoir expédié l'escadre à Besika eût pour signification une menace ou un avertissement. Le gouvernement entend maintenir une complète neutralité. Son but est de placer l'escadre dans une position convenable pour pouvoir communiquer facilement avec le gouvernement, d'une part, et avec l'ambassade, de l'autre.

Lord Derby parla aux lords dans le même sens, le 10 juillet. Néanmoins, la présence à l'entrée des Dardanelles d'une force britannique imposante n'en fut pas moins << un signe extérieur et visible» en faveur de la Turquie. L'impression fut encore plus forte et plus accentuée, lorsqu'on apprit que les garnisons anglaises dans la Méditerranée avaient été augmentées de 3,000 hommes ou, du moins, portées par cet envoi au chiffre normal, en vue de la situation incertaine de la contrée méditerranéenne, comme il fut expliqué au Parlement le 24 juillet.

III

LES OFFICIERS

La flotte turque fut commandée, pendant tout le temps de la guerre, par un officier de la marine royale, HobartPacha. Au vis-à-vis du cabinet russe, le ministère anglais gardait une attitude correcte, en ne laissant pas M. Hobart figurer sur les cadres de l'Amirauté. Mais cette distinction officielle ne pouvait être saisie par l'une ou par l'autre des nations belligérantes, pas plus que ne l'avait été le désaveu infligé de Saint-Pétersbourg au général Tchernaïev, lorsqu'il commanda les Serbes en 1876.

Dans le même ordre d'idées, il reste à signaler la présence et le concours actif d'un grand nombre d'officiers anglais dans l'armée turque. Ce n'est pas, du reste, que cette assistance ait été utile ou bien accueillie. A ce propos, je demande la permission d'insérer ici quelques extraits d'une correspondance adressée d'Asie, le 1° juillet 1877, au Standard, journal ministériel:

L'ancien proverbe est vrai qui dit que « trop de cuisiniers gâtent le bouillon. Lorsque les généraux turcs se soumettent au meilleur jugement des officiers anglais, ils le font contre leur gré. Or le plus mauvais plan de bataille, lorsqu'il est exécuté avec énergie, peut conduire à la victoire; tandis que le meilleur, lorsque des doutes s'élèvent dans le for intérieur du commandant en chef et qu'il ne s'y met pas de tout cœur, doit presque certainement conduire à une défaite... Tant que Sir Arnold Kemball a été auprès de l'armée, les Turcs ont été battus; mais à peine ce général anglais se fut-il retiré ȧ Erzeroum avec tous ses bagages, que les Turcs remportèrent deux brillantes victoires.

Tant qu'un général anglais ou quelque autre général européen n'aura pas une autorité illimitée sur une armée turque et qu'il ne saura pas comprendre leur manière de voir ou européaniser leur caractère, il vaut mieux que les généraux turcs soient abandonnés à

leurs propres instincts, qui frappent souvent le bon côté mieux que ne peut le faire la meilleure instruction adaptée à des circonstances différentes.

Lorsque le bruit se répandit que sir Arnord Kemball commandait dans la malheureuse affaire de Zeïdekan, les musulmans ressentirent presque un malicieux plaisir de la défaite; tandis qu'en mentionnant les récentes victoires, on n'oublie pas d'ajouter que le Ingliz Ferik n'était pas présent dans le camp...

Nous ne recevons pas de remerciements pour nos conseils, qui font plus de mal que de bien aux Turcs.

Les observations qui suivent, du correspondant du Standard, entrent dans le cadre de ce travail, en ce qu'elles font ressortir avec netteté quelques-unes des causes qui paralysent l'action personnelle des Anglais sur les populations de l'Orient en général; on croirait lire un chapitre de l'histoire de l'Inde :

La nature nous a refusé l'amabilité des Français, qui est cause que tant d'Orientaux sont francisés, et la flexibilité des Allemands, qui se conforment si facilement aux mœurs des nations étrangères, adoptant aussi bien leurs vices que leurs vertus. Nous, au contraire, ne sommes attirés par aucune nation et nous n'en attirons aucune; nous restons toujours des étrangers parmi des étrangers en Orient, et, au pôle comme dans l'intérieur de l'Afrique, nous conservons notre individualisme.

Un mur de séparation doit donc exister entre les Turcs et les officiers anglais. Nous pouvons être craints et estimés ici, mais nous ne serons jamais aimés. Les officiers prussiens sont beaucoup plus chez eux dans l'armée régulière turque...

Nous, Anglais, ne sommes nullement aimés en Orient, ni par les musulmans, ni par les chrétiens.

Pour ne pas revenir plus tard sur le même sujet, je citerai un trait, entre mille, qui montre bien, et par une autre face, les difficultés qu'éprouvent les Anglais à se faire, je ne dirai pas aimer, mais accepter par les Orientaux. Deux ans après, au mois de mai 1879, deux prêtres grecs, dans l'ile de Chypre, avaient commis des contraventions légères l'un avait enfreint le règlement qui interdit aux propriétaires l'ébranchage de leurs propres arbres dans certaines conditions; l'autre avait refusé une citation

:

en justice. Le commissaire anglais de Famagouste leur fit couper les cheveux, la barbe et les moustaches. Eh bien! je n'hésite pas à déclarer que l'administration anglaise eût excité moins d'indignation et d'horreur répulsive si, au lieu de raser ces deux têtes, elle les eût tranchées. Nul ne viendra contredire ce jugement, parmi les personnes qui connaissent l'Orient autrement que pour avoir voyagé entre Péra et Buyuk-Déré et entre Buyuk-Déré et Péra, en écoutant, bouche béante, la conversation d'un drogman. Un correspondant du Journal des Débats exprimait plus tard les mêmes idées en parlant d'un autre pays (février 1879):

J'ai recueilli de la bouche de conservateurs le regret que les fonctionnaires anglais, en présence de peuples barbares, finissent tôt ou tard par recourir à la guerre. Il y aurait là un défaut de souplesse, une incapacité à s'assimiler la nature des rapports à entretenir avec des races inférieures.

IV

PRESSION EN GRÈCE

Le cabinet de Londres s'occupa aussi beaucoup du danger que la Turquie pouvait courir du côté de la Grèce'.

Dans une première conversation avec M. Stuart, ministre plénipotentiaire anglais, au sujet de la politique que le gouvernement hellénique comptait suivre à l'égard de la Turquie, le ministre des affaires étrangères, M. Tricoupis, déclara que la Grèce ne se proposait pas actuellement de faire la guerre avec la Turquie ; le gouvernement hellé

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1. Voir, à ce sujet, deux dépêches adressées, le 4 et le 11 septembre 1877, au chargé d'affaires à Londres, par M. Tricoupis, ministre des affaires étrangères de Sa Majesté Georges Ier.

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