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les circonstances exceptionnelles de ce jour. Aussi, malgré le désir, malgré le besoin même que nous éprouvons d'être confirmés dans notre nouvelle situation politique par un acte d entente internationale, nos vœux modestes se réduisent, pour le moment, à obtenir un simple acquiescement à la ligne de conduite que nous avons suivie sous le poids de bien grandes difficultés, et, nous tenons à l'affirmer hautement, en dehors de toute influence extérieure.

Par-dessus tout, nous aspirons à gagner, de nos bienveillants protecteurs, la promesse qu'en aucun cas il ne sera fait violence à la nation roumaine dans le but de la contraindre à renouer jamais ses relations avec la Sublime-Porte.

... Notre conduite dans le passé a pu déjà rassurer toutes les puissances garantes sur le but que nous poursuivons. Notre conduite ultérieure prouvera à tous, et en particulier à nos puissants voisins, que notre politique n'est qu'une politique de conservation.

Le discours de clôture des Chambres est aussi très affirmatif:

... La Turquie, dit le prince Charles, nous a traités en ennemis sur toute la ligne du Danube, en bombardant nos villes ouvertes, en brûlant nos villages.....

Comme conséquence de l'état de guerre créé par la Turquie ellemême, vous avez répondu à ses provocations en proclamant la rupture des liens qui unissaient la Roumanie à la Turquie... Vous avez proclamé, le 9 mai, l'indépendance complète de la Roumanie.

Il reste à enregistrer, comme la conclusion habituelle de ces sortes d'événements, la protestation de la Porte, datée du 6 juin 1877:

La rébellion des Principautés réunies est donc désormais un fait consommé... La Sublime Porte proteste, de la manière la plus solennelle et la plus énergique, tant contre la résolution du gouvernement princier que contre les entreprises ambitieuses de la Russie...

La Sublime Porte déclare que, quoi que le gouvernement princier puisse faire et dire, elle entend maintenir ses droits intacts, en se réservant d'user, envers les Princ pautes, des moyens que lui conseillerait le soin de ses propres intérêts et que la marche des événements lui suggererait.

Le gouvernement impérial prie les puissances signataires du traité de Paris de vouloir bien prendre acte de cette démarche; il espère voir l'Europe s'associer à sa pensée et à sa protestation.

Ainsi, de Constantinople comme de Bucarest, l'Europe

était sommée d'exprimer un avis. Dans les documents publiés, nous n'avons pas trouvé les réponses des gouvernements européens.

VI

LA PARTICIPATION ACTIVE

L'armée roumaine conserva une attitude défensive jusqu'à la fin du mois d'août 1877. A ce moment, la situation des Russes en Bulgarie étant devenue presque critique, le concours actif de la Roumanie fut demandé et accordé. Cette décision est due principalement à la volonté personnelle du prince Charles. Une première division roumaine passa le Danube à Corabia, le 24 août. La proclamation du prince, en date du 11 septembre, explique cette décision avec beaucoup de sens politique et de dignité: on y remarquera que la Roumanie s'y affirme nettement comme une puissance chrétienne, à qui cette qualité impose des devoirs :

..... Nous avons proclamé l'indépendance absolue de la Roumanie, et, aux attaques qui nous étaient faites d'une façon déloyale et barbare, nous avons répondu par une franche déclaration de guerre.

Plus de trois mois se sont écoulés depuis. Désireux d'épargner le plus possible au pays les maux de la guerre, nous nous sommes appliqués pendant tout ce temps à rester sur la défensive...

Malheureusement la guerre au delà du Danube se prolonge plus qu'on ne pensait. Cette guerre prend, de la part des musulmans, un caractère de plus en plus acharné, et, en même temps le sort de la Roumanie devient de jour en jour plus douloureux... Nulle part les effets désastreux de la lutte se sont fait sentir autant que dans notre pays...

Mais combien plus terrible deviendrait notre position, s'il était donné aux troupes turques de prendre l'offensive et de transporter le théâtre de la guerre en deçà même de nos frontières.

Nous sommes obligés de coopérer avec les forces impériales de la Russie, afin de hâter à tout prix la fin de la guerre.

La Bulgarie est dévastée; les populations chrétiennes sont livrées en proie à la cruauté des hordes indisciplinées de l'Asie; une guerre d'extermination est déclarée à tout ce qui porte le nom de chrétien. Nous n'avons donc aucune raison de croire que, grâce à une passivité égoïste, nous pourrions attendre pour notre pays un sort meilleur, si des succès constants donnaient aux armées turques le pouvoir de fouler le sol de la Roumanie.

Tant que les citadelles turques, depuis Ada-Kalé jusqu'à Matchin, resteront debout, non pour faire face à d'autres citadelles ennemies, mais seulement pour bombarder nos villes ouvertes et ruiner notre commerce international et local sur notre grand fleuve; tant qu'un régime d'humanité et de légalité ne sera pas établi en Bulgarie; tant que les droits et la dignité de l'homme ne seront pas assurés aux chrétiens de la Turquie, la Roumanie ne peut ni n'a le droit de se croire à l'abri de catastrophes présentes et futures. Il faut donc que la Roumanie, dans la mesure de ses forces, contribue, elle aussi, à écarter ces maux qui nous menacent incessamment, à assurer à la Bulgarie une situation réclamée par la justice et la civilisation moderne. Ce devoir nous est imposé par le passé glorieux de notre pays, par les intérêts les plus sacrés du présent et la nécessité d'assurer notre avenir.

Et puis, est-ce que nous, Roumains, nous ne sommes pas chrétiens? Est-ce que les intérêts de l'Orient ne nous regardent pas? Est-ce que, dans la grande question de l'émancipation des chrétiens d'Orient, nous n'avons pas nous aussi le droit et le devoir de dire un mot, de donner un concours, de coopérer à une solution salutaire? Est-ce un égoïsme mesquin, une passivité aveugle, qui doit inspirer la politique de notre pays? Mais, si nous nous isolions de la grande lutte, si nous n'apportions aucun secours à ceux qui combattent pour la cause de l'humanité et de la justice, est-ce que, par là même, nous ne semblerions pas renoncer au droit de réclamer le secours des autres à l'heure du danger? Faudra-t-il donc que nous nous appuyions éternellement sur les épaules des autres, et que nous ne comptions jamais sur nos propres forces, sur notre propre vitalité?

...... Roumains, convaincus que tous, depuis le plus grand jusqu'au plus petit et en toutes circonstances, vous saurez remplir vos devoirs envers la patrie, nous entrons ouvertement dans la lutte, en poussant ce cri antique, auquel vos pères ont vaincu si souvent :

En avant, avec Dieu, pour notre pays et notre foi! Donné en notre quartier général de Poradin, le 27 août (11 septembre) 1877.

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Au moment qu'il lançait cette proclamation, dont le caractère élevé n'échappera à personne, le prince Charles de Roumanie était investi du commandement supérieur de toutes les forces russes et roumaines concentrées autour de Plevna. Jusqu'à la fin de la campagne, le contingent roumain prit une part active à la guerre. Sa participation eut une influence marquée sur le succès des opérations, et son action ne fut pas sans éclat.

Au point de vue général et permanent, nous avons à retenir l'attention sur un fait qui aura son poids dans les destinées ultérieures de l'Europe orientale: c'est la manifestation de la Roumanie comme une force militaire, avec laquelle il faudra compter désormais. Jusqu'à présent, beaucoup n'avaient considéré l'élément roumain que comme une masse singulièrement persistante, absolument irréductible et débordant même de tous les côtés sur ses voisins, mais peu propre à une résistance effective, bien moins encore à une action extérieure. L'erreur est dissipée. Par ce seul résultat, plus encore que par les avantages obtenus à la suite, Charles I et ses ministres de 1877 ont rendu à la Roumanie un service inappréciable. L'Europe aussi s'applaudira certainement un jour d'avoir découvert en 1877 qu'entre les Karpathes et le Danube il existe, en dehors du monde slave, dans la race latine, une force respectable pour coopérer à la solution normale de la question orientale, qui est: l'Orient rendu à lui-même.

Après avoir conduit les Roumains sur le champ de bataille, nous aurons à les suivre au Congrès de Berlin et au delà.

LIVRE SEPTIÈME

LA GRANDE-BRETAGNE PENDANT LA GUERRE

I

NOUVELLE INTERVENTION SÉPARÉE DE LA GRANDE-BRETAGNE

M. Layard terminait une mémorable communication du 19 juin 1877, dont nous parlerons ultérieurement, par l'indication des différents partis auxquels le cabinet de Londres pouvait s'arrêter:

Il me parait que l'Angleterre a l'une de ces trois lignes de conduite à poursuivre :

1o Ou bien empêcher l'accomplissement des desseins de la Russie, soit par des mesures décisives, soit en tenant sur-le-champ un langage qui lui fasse comprendre que nous sommes préparés à empècher, si c'est possible, la destruction et le partage de l'empire otto

man.

2o Ou bien laisser les choses suivre leur cours jusqu'à ce que le moment favorable arrive d'intervenir comme médiateur impartial préparé à sauver la Turquie de conditions trop onéreuses et trop fatales.

3° Ou bien encore nous croiser les bras et ne rien faire, abandonnant tout au hasard.

Le cabinet n'était pas tout à fait résigné à se croiser les bras. Il ne voulait pas non plus se borner à attendre le moment favorable d'intervenir comme médiateur; mais, comme il n'était rien moins que décidé à prendre des mesures décisives ou à tenir un langage équivalent, il prit

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