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contrées à comprendre dans la Bulgarie. La Russie, dans les préliminaires d'Andrinople, s'était habilement référée à la décision de la conférence comme minimum. L'article 6 de San-Stefano détermine sur le terrain une Bulgarie comprenant des pays que les Bulgares sont supposés habiter seuls ou en majorité, avec la restriction qu'il serait tenu compte des nécessités topographiques et de circulation. En Europe, dès qu'on vit tracée sur des cartes cette Bulgarie, il s'éleva une clameur immense parmi les gens qui savent peu la géographie et pas du tout l'ethnographie, c'est-à-dire dans la grande majorité des publicistes et des diplomates. Comment! ce sera si grand? La Bulgarie, notre Bulgarie de la conférence, allait donc, elle aussi, du Danube jusqu'à peu de distance de la mer Égée et des confins de l'Albanie à la mer Noire ! Comme la poule qui a couvé un canard, les conférenciers n'en revenaient pas d'avoir mis au monde un pareil enfant (voir le croquis, p. 177), et surtout de voir qu'il avait tant grandi en si peu de temps. Comment! ces Bulgares, dont l'année dernière nous soupçonnions à peine l'existence, que nous prenions pour des Grecs ou des Turcs, vont écouler librement et tranquillement leurs utiles produits par deux mers! Et l'Europe va pouvoir traiter directement avec ces tondus, ces pelés, sans subir, avec le contrôle de la Porte, les difficultés et les frais des deux Bosphores? C'est intolérable! Haro! Voilà les belles choses qu'on entendit alors en Europe.

Pour mon compte, je n'admettrai que sous bénéfice d'inventaire l'attribution à la Bulgarie de plusieurs districts frontaliers, à propos desquels il faudra peser les réclamations des Grecs, des Serbes, des Valaques et des Albanais. On doit, cependant, reconnaître que, dans son ensemble, le tracé de San-Stéfano diffère peu du tracé admis par la conférence de Constantinople et paraît en conformité avec les travaux ethnographiques les plus répandus, comme avec les enseignements de l'histoire... Pour ne

citer qu'un fait déjà dix fois séculaire, on peut rappeler à ceux qui se scandalisent de voir la Bulgarie aux embouchures du Vardar, que l'empereur grec de Byzance au 1x siècle, voulant envoyer des missionnaires aux Slaves de la grande Moravie, appela de Salonique saint Méthode et celui qui fut saint Cyrille, parce que ces deux frères parlaient dans leur pays une langue slave, si bien que beaucoup de savants considèrent que le slavon ecclésiastique n'est autre que le bulgare parlé à Salonique au IXe siècle. Chacun sait qu'Ocrida a été la capitale du premier royaume bulgare et est restée la capitale religieuse des Bulgares occidentaux jusqu'à la fin du xvII° siècle. Mais on ne raisonne pas avec l'ébouriffement de l'ignorance 1.

De cette Bulgarie, ainsi motivée, qui comprend les deux versants des Balkans, qui arrive à la mer Égée par les vallées du Vardar et du Strymon, qui laisse à la Turquie Andrinople et le cours inférieur de la Maritza, et qui s'approche de Constantinople de manière à ne laisser guère plus au sultan que la grande banlieue du mur d'Anastase; qui englobe presque tout le littoral de la mer Noire avec Bourgas et Varna, qui isole Constantinople de l'Herzégovine, de la Bosnie et de l'Albanie; de cette grande Bulgarie, dis-je, le traité de San-Stefano fait une principauté autonome, tributaire du sultan, avec un gouvernement chrétien et une milice nationale.

Le prince sera élu par la population et confirmé par la Porte avec l'assentiment des Puissances. Il ne pourra être choisi parmi les dynasties régnantes des grandes puissances de l'Europe. Une assemblée de notables, sous la surveillance d'un commissaire russe et en présence d'un Ottoman, élaborera l'organisation future conformément à ce qui a été pratiqué en 1830 pour les règlements orga

1. Saint Cyrille et Saint Méthode, etc. etc., avec un mémoire sur la langue, 'alphabet et le rite attribués aux apôtres slaves du IX siècle, par A. d'Avril. Paris, Leroux, 1885.

niques de la Moldavie et de la Valachie. L'introduction et le fonctionnement du nouveau régime seront confiés, pendant deux années, à un commissaire russe. Après une année, si une entente s'établit entre la Russie, la Porte et les cabinets européens, ces derniers pourront adjoindre au commissaire russe des délégués spéciaux.

Toutes les anciennes forteresses seront rasées. L'armée ottomane ne séjournera plus en Bulgarie; la Porte aura le droit de faire passer par ce territoire, sur des routes déterminées, les troupes destinées à la Bosnie, à l'Herzégovine ou à l'Albanie, mais seulement les réguliers, à l'exclusion des Circassiens et des Bachi-Bozouks.

Jusqu'à la formation de la milice indigène, la Bulgarie sera occupée par un corps russe qui n'excèdera pas 50,000 hommes. Cette occupation est limitée à un terme approximatif de deux années. Le corps d'occupation conservera ses communications avec la Russie, non seulement par les ports de la mer Noire, mais par la Roumanie. (Cette dernière n'avait pas été consultée, ce qui est au moins un manque d'égards.)

Les Bulgares qui voyageront ou séjourneront dans les autres parties de l'empire ottoman seront soumis aux lois et aux autorités ottomanes.

Dans les localités où les Bulgares sont mêlés aux Turcs, aux Grecs, aux Koutzo-Valaques et Albanais, il sera tenu un juste compte des droits et des intérêts de ces populations pour les élections et dans l'élaboration du règlement organique. (Il fallait ajouter les Serbes.)

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Danube (art. 12 et 13). - Toutes les forteresses du Danube seront rasées. Il n'y aura désormais plus de place forte sur les bords de ce fleuve ni de bâtiments de guerre dans les eaux des principautés de Roumanie, de Serbie et de Bulgarie, sauf les stationnaires usités et les bâtiments légers destinés à la police fluviale et au service des douanes.

Les droits, obligations et prérogatives de la commission européenne du Danube, sont maintenus intacts. La Sublime-Porte prend à sa charge le rétablissement de la navigation sur la branche de Soulina.

Bosnie et Herzégovine (art. 14). -Seront immédiatement appliquées en Bosnie et en Herzégovine les propositions européennes présentées à la conférence de Constantinople, avec les modifications qui seraient arrêtées d'un commun accord entre la Porte, la Russie et l'AutricheHongrie.

Provinces grecques (art. 15).

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Le règlement donné à la Crète en 1868 sera appliqué scrupuleusement.

Un règlement analogue sera introduit en Thessalie, en Épire et dans les autres parties de la Turquie d'Europe pour lesquelles il n'a pas été stipulé une organisation spéciale.

Des commissions spéciales, dans lesquelles l'élément indigène aura une large participation, seront chargées dans chaque province d'élaborer le nouveau règlement, et la Porte consultera la Russie avant de le mettre en exécution.

Arménie (art. 16). -La Porte s'engage à réaliser sans plus de retard les améliorations et les réformes exigées par les besoins locaux dans les provinces habitées par les Arméniens, et à garantir leur sécurité contre les Kurdes et les Circassiens.

Perse (art. 18). Cet article est relatif à une délimitation en cours de négociation depuis très longtemps et il indique une solution favorable à la Perse.

Indemnités de guerre (art. 19).

Avec la question bul

gare, cet article a été le plus gros d'orages et de consé

quences.

L'indemnité est fixée à mille quatre cent dix millions (1,410,000,000) de roubles.

Vu les embarras financiers de la Turquie, la Russie acceptera pour un milliard cent millions de roubles: a) la Dobroudja avec les îles du Delta et celle des Serpents (pour les transférer à la Roumanie); 6) Ardahan, Kars, Batoun, Bayazid et le territoire jusqu'au Saganlongh.

Le payement du reste de l'indemnité sera l'objet d'arrangements spéciaux.

Moines et pèlerins (art. 22). -Les ecclésiastiques, les pèlerins et les moines russes voyageant ou séjournant dans la Turquie d'Europe ou d'Asie jouiront des mêmes droits, avantages et privilèges que les ecclésiastiques étrangers appartenant à d'autres nationalités.

Le droit de protection officielle est reconnu à l'ambassade impériale et aux consulats russes en Turquie tant à l'égard des personnes sus-indiquées que de leurs possessions, établissements religieux, de bienfaisance et autres dans les Lieux-Saints et ailleurs.

Ce qui précède n'est guère que la confirmation des avantages concédés à Kutchuk-Kainardgi en 1774. Une autre disposition de l'article 22 aura pour effet de maintenir au mont Athos la situation des moines russes qui se disent menacés par les moines grecs.

Les détroits (art. 24).

Cet article est l'enterrement de l'espoir où avait été la Russie d'obtenir la liberté des détroits pour sa marine de guerre. L'article stipule seulement que les navires marchands neutres pourront, même en temps de guerre, passer les détroits en arrivant des ports russes de la mer Noire ou en s'y rendant.

Évacuation (art. 25 et 26).

Sauf ce qui a été stipulé

à l'article VIII pour la Bulgarie, l'évacuation complète de l'armée russe aura lieu en Europe trois mois, et

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