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en Asie six mois après la conclusion de la paix définitive.

Résumé. - Tel est le traité de San-Stéfano; j'en résumerai les traits les plus saillants pour elle-même, la Russie se fait donner, avec Kars, la clef de l'Asie Mineure, et, avec Batoun, le seul bon port sur la côte sud-orientale de la mer Noire. Elle retient la Dobroudja, comme moyen d'échange pour rentrer dans la partie de la Bessarabie cédée en 1856. La position des moines russes au mont Athos est garantie.

En faveur des chrétiens d'Orient, la Russie a stipulé bien davantage; le Monténégro acquiert les forteresses qui l'étouffaient et un vaste accès à la mer; son indépendance de fait est reconnue par la Porte. La Bosnie et l'Herzégovine auront une autonomie administrative. Pour ces deux provinces, comme pour le Monténégro, la Russie exercera le patronage de moitié avec l'Autriche. La Serbie obtient son indépendance et un agrandissement. La Roumanie sera aussi indépendante. Les provinces grecques auront une organisation locale analogue à celle de la Crète. Enfin, les Bulgares acquièrent une indépendance de fait sur tout le vaste territoire entre deux mers, où ils sont estimés habiter soit seuls, soit en majorité.

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Le traité de San-Stéfano marque le point culminant de l'intervention russe en Orient.

Ce qui suivra, c'est-à-dire le traité de Berlin, sera une œuvre collective et de concessions réciproques, l'œuvre de tout le monde, et par conséquent de personne. Le

traité de San-Stéfano, au contraire, est l'œuvre de la Russie seule. Le cabinet de Saint-Pétersbourg montre à San-Stéfano ce qu'il veut dans son for intérieur, et ce qu'il peut lorsqu'il se trouve en tête-à-tête avec la SublimePorte.

Arrêtons-nous un instant pour jeter un coup d'œil rétrospectif sur ce qu'a été jusqu'alors l'intervention russe et sur ses résultats.

J'en étais là de ce travail, lorsqu'il est arrivé au public une impression d'ensemble qui m'a paru d'une haute valeur. Cette impression est l'œuvre d'un homme qui a été mêlé lui-même aux affaires dans le centre de l'Europe; il m'a semblé qu'elle eût sa place ici. Aussi bien, le diraije, j'ai appréhendé quelquefois que ma vieille conviction en faveur de la renaissance chrétienne de l'Orient pût altérer la justesse de mon appréciation. La sympathie pour l'œuvre ne va-t-elle pas rejaillir sur l'ouvrier? M. Julian Klaczko étant Polonais, je le sais à l'abri d'un pareil entraînement; aussi lui passé-je volontiers la parole. Je citerai successivement deux passages de son travail :

Depuis 1571, une apostasie hideuse avait commencé à exercer, parmi les chrétiens d'Orient, des ravages qui, d'abord peu remarqués, finirent par éclater à tous les yeux dans les dernières années du XVIIe siècle. Des voyageurs comme Chevalier, Pocole et la Motraye, observent vers cette époque, dans le Levant, des conversions en masse des populations de l'un et l'autre rite à l'islamisme; mais c'est surtout dans les rapports des nonces et des missionnaires apostoliques qu'on peut suivre la marche progressive et effrayante de ce fléau. Délaissés de l'Occident, oubliés de tout le monde, les rayas avaient commencé par se soumettre, avec le fatalisme oriental, à ce qui pouvait leur paraître l'arrêt irrévocable du destin et par trouver, comme le dit des Albanais une relation contemporaine, qu'il fallait bien obéir à un maître auquel Dieu a définitivement donné la terre. La marée de l'apostasie montait toujours, et à la limite des xvir et xvir siècles, il y eut un moment, dit un historien, où, à en juger d'après différents indices, le christianisme semblait menacé dans toutes les parties de la Turquie d'une fin et d'une destruction silencieuse...

Le courant fut arrêté soudain par l'apparition de Pierre le Grand

sur la scène de l'Orient; les provéditeurs vénitiens purent dire aussitôt dans leurs rapports que les Grecs espéraient voir de nouveau leur Église relevée de l'oppression. Grecs, Serbes et Roumains s'attachèrent aussitôt avec une nouvelle ardeur à leur foi, et il n'y eut plus d'exemple dès lors de ces défections en masse, par clans et par tribus entières, qu'avaient vues, à la honte de l'humanité, les âges précédents.

Ayons la franchise de reconnaître, dit enfin M. Klaczko', que l'action moscovite en Orient, à côté des dangers immenses qu'elle a créés en Europe pour un avenir très rapproché, n'a pas laissé d'exercer une influence bienfaisante sur les populations de ce pays et de contribuer en somme au progrès général de l'humanité. Que les tsars, par leurs croisades orthodoxes, n'aient pas tant cherché à gagner le ciel qu'à posséder la terre, c'est un fait sur lequel il serait presque niais d'insister... tel souverain qui réclame pour les Bulgares une existence humaine et civilisée, ne semble guère se douter que des millions de ses sujets, sur les bords de la Vistule, envient, à l'heure qu'il est, le sort des rayas turcs... Tout cela est vrai sans doute; mais tout cela n'empêche pas pourtant que la Russie orthodoxe n'ait accompli une tâche à laquelle les puissances catholiques s'étaient tristement dérobées depuis le jour de Lépante, et que la renaissance de l'Orient chrétien ne soit l'œuvre plus ou moins intentionnée mais indéniable du peuple de Rourik.

Quelle conclusion tirerai-je des prémisses de M. Klaczko? J'emprunterai ses propres paroles pour conseiller à l'Europe, mais plus particulièrement à mes compatriotes, aux Français, de reprendre courageusement la tâche à laquelle les puissances catholiques se sont tristement dérobées depuis le jour de Lépante.

1. Dans la Revue des Deux-Mondes, du 1er novembre 1878.

TROISIÈME PARTIE

LES NÉGOCIATIONS

QUI ONT ABOUTI A LA PAIX

SOMMAIRE DE LA TROISIÈME PARTIE

LIVRE NEUVIÈME.

Les explications préliminaires.

LIVRE DIXIÈME. Devant Constantinople.

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