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Il semble que l'Europe diplomatique ne soit plus dans son assiette. Depuis 1772, la diplomatie a beaucoup perdu de sa dignité. Il est à craindre qu'elle ne soit aujourd'hui sur la voie de perdre le calme qui en est, pour la pratique des affaires, un des attributs essentiels : elle est devenue nerveuse et criarde; elle est affairée et effarée. Ce nouvel état pathologique, dont je ne veux pas rechercher ici les causes, est menaçant pour l'avenir de l'Europe, car ce n'est pas la seule occasion, depuis un demi-siècle, où il y aurait à constater dans la diplomatie des accès d'affolement. Pour peu que la maladie aille en s'aggravant, il n'y aura plus de diplomatie. C'est dans les journaux et sur les tribunes que les affaires générales se feront, ou plutôt ne se feront pas.

III

LES INTÉRÊTS ANGLAIS EN ASIE

Je ferai d'abord remarquer qu'à l'exception d'une seule, toutes les concessions de la Russie avaient trait à des questions d'un intérêt général, ou du moins présentées comme telles. Le ministère anglais avait prétendu batailler comme gendarme européen, quoique personne ne lui eût attribué une telle mission et que plus d'un la lui eût refusée.

La question purement anglaise est celle de la nouvelle frontière en Asie. Il est admis, paraît-il, que l'Asie mineure est la route de l'Inde, qualité qu'elle partage avec le canal de Suez, avec l'Euphrate, avec le Kurdistan, avec le Koraçan, avec le Turkestan, avec l'oasis de Merv, etc., etc. On peut dire réellement que, sous l'œil jaloux des Anglais, tout chemin mène à l'Inde. Donc il faut que l'Angleterre domine tout chemin.

En dehors de la question si vague, ou plutôt si élastique, de la route de l'Inde, la nouvelle frontière turco-russe en

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Asie intéresse les Anglais incontestablement pour le transit avec la Perse; nous l'allons voir. (Consulter le croquis cijoint.)

Laissant de côté les routes, peu intéressantes aujourd'hui, qui passent par le golfe Persique, par le Chat-elArab et par le Kurdistan, on voit que le commerce de l'Europe avec la Perse se fait par trois voies dont deux sont russes et l'autre turque.

La première route russe par le Volga, Astrakan, la mer Caspienne, Euzeli-Recht, est peu pratique pour le trafic des autres nations. La seconde route russe part de Poti (et bientôt, de Batoun), sur la mer Noire, traverse Kutaïs, Tiflis, d'où elle bifurque allant soit à la mer Caspienne par Bakou, soit à la grande ville de Tabriz, en Perse. Tabriz est aussi l'objectif de la troisième route, la turque, par Trébizonde, Erzeroum et Bayazid.

Cette route turque, autrefois bien entretenue et bien servie, l'administration turque l'a rendue détestable. Tout est en ruine; on trouve difficilement des bêtes de somme; les habitants qui vivaient des caravanes, ou ont disparu. ou se livrent en détail au métier qu'ils voient exercer en grand par les fonctionnaires ottomans, c'est-à-dire au brigandage.

Si détestable qu'on l'ait rendue, cette route est avant tout chère aux Anglais, qui ne veulent pas se résigner à être obligés de faire passer leurs ballots sacrés, et peutètre autre chose, par un territoire russe, pour arriver à Tabriz; car Tabriz mène à Téhéran, Téhéran à Méched, Méched à Hérat et à Merv. Et a-t-on assez dit en Angleterre que Merv est la clef de Peshaver! En outre, la route de Trébizonde à Tabriz ne doit-elle pas amener une partie des forces anglaises qui empêcheront la Russie d'aller envahir l'Egypte par le haut Euphrate, tandis que d'autres Anglais arriveront du sud après avoir enjambé lestement les cimes du Taurus?

Tout cela paraît passablement fantastique; il y a loin de

Cons

Russie dans les contrées grecques, au détriment non seulement de la nationalité grecque, mais de tous les pays qui ont des intérêts dans l'est de la Méditerranée. tantinople devant être séparé par la Bulgarie des provinces ottomanes d'Albanie, de Bosnie, d'Herzégovine, de Thessalie et d'Épire, il en résultera des difficultés pour la Porte et l'anarchie pour les habitants. L'acquisition de Batoun, la reprise de la Bessarabie, l'extension orientale de la Bulgarie assureraient la prépondérance russe sur tout ce qui entoure la mer Noire, en même temps que la possession des forteresses de l'Arménie placerait la population de cette province sous l'influence immédiate de la Russie. D'un autre côté, la rectification de frontières stipulée en Asie obligerait le commerce européen avec la Perse à transiter par un territoire russe. L'indemnité de guerre dépasse les moyens de la Turquie, dont tous les excédents de recette sont déjà hypothéqués à des créanciers antérieurs. La purge de cette créance pèsera longtemps sur l'indépendance de la Sublime Porte; elle pourra amener ou de nouvelles cessions de territoires ou des engagements spéciaux.

Revenant à la question du congrès, le principal secrétaire d'État énonce que ce n'est pas l'effet isolé et séparé de ces dispositions, mais leur effet combiné, qui rendra presque vassal un gouvernement dont la juridiction effective s'étend sur des positions géographiques qui doivent être, en tout état de cause, du plus haut intérêt pour la Grande-Bretagne 1.

A notre avis, cette argumentation sur l'effet combiné est

1. Dans l'énumération de ces positions, lord Salisbury dit que la domination du gouvernement ottoman est reconnue à l'entrée du golfe Persique, at the head of the Persian gulf. Il aurait dû dire au fond du golfe et un peu à l'ouest. Le détroit du golfe Persique est bordé, d'un côté, par l'imanat indépendant de Mascate, et, du côté oriental, par le Belouchistan, le Magistan et le Loristan, qui ne dépendent pas de Constantinople. Pendant un temps, l'iman de Mascate a occupé Bender-Abbas, sur la côte orientale. Je n'ai pas su s'il y est resté.

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